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JOSEPH RATZINGER DANS LA TOURMENTE DE VATICAN II

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JOSEPH RATZINGER DANS LA TOURMENTE DE VATICAN II

Le 20 novembre 1962 marque un tournant pour le concile Vatican II qui s’est ouvert à l’appel du pape Jean XXIII le 11 octobre précédent. Au centre des discussions des 2450 pères assemblés lors de la première session, le texte de la Curie sur la doctrine de la Révélation.
C’est un thème de prédilection du principal conseiller du cardinal de Cologne, Joseph Ratzinger, dont Peter Seewald brosse la vie dans une importante biographie [1]. Le projet des évêques allemands et de leurs alliés rénove de fond en comble l’approche théologique du texte de la Curie romaine. Mais leur désir de réformer l’Église de l’intérieur va aussi créer un précédent et se conjuguer avec une influence grandissante des médias qui ne tarderont pas à mettre en cause l’autorité de l’institution.

Une première session décisive

En toile de fond se dessine l’opposition des cardinaux allemands et de leurs alliés, évêques de langue allemande mais aussi évêques de France et de plusieurs autres pays, face à un Saint Office tenu par leurs collègues italiens. Le débat porté par le vieux cardinal Frings, qui passait pour un conservateur aux yeux des médias allemands, s’appuie sur le nouveau texte de Joseph Ratzinger. Il va créer un précédent historique : c’est la première fois qu’un texte émanant de la Curie est soumis au vote puis retiré.
Ce jour-là, pour contrer le projet de réforme des Allemands, le Secrétaire général Pericle Felici appelle les pères à voter non sur le texte lui-même mais sur la poursuite ou non de sa discussion. Une manipulation de la question à fronts renversés qui fonctionne : avec 68 % de placet, la Curie emporte la majorité des deux tiers requise et retire son texte, renvoyant sa discussion à une commission interne.
La minorité réformatrice se sent pousser des ailes : « La roue avait tourné, commentera Joseph Ratzinger, au lieu d’une position négative et anti(-changement), une possibilité nouvelle et positive émergeait, permettant de sortir de la défensive pour adopter une attitude chrétienne positive et offensive ».
En novembre 1962, Joseph Ratzinger devient officiellement peritus, c’est-à-dire expert en théologie pour le Concile. Joseph Ratzinger jouera un rôle primordial tout au long du concile tout en restant en retrait, et ce rôle restera volontairement minimisé par lui jusqu’à ce que des recherches historiques récentes le mettent en lumière.
Non loin de lui siège un certain Karol Wojtyla qui, contrairement à ce jeune théologien de 7 ans son cadet, ne se réjouit pas du tout : ces victoires contre le camp de la Curie lui font penser aux attaques perpétrées en Pologne par l’administration communiste contre l’Église, la principale force d’opposition. L’évêque polonais souhaiterait plutôt voir le Concile aborder les questions du célibat, de la réforme de la liturgie et du bréviaire, du dialogue œcuménique et… des besoins pastoraux dans les domaines du sport et du théâtre.
Le cardinal Ottaviani, prenant acte du retrait de son texte, s’incline avec dignité ; les critiques fusent, notamment de la part des traditionnalistes français, à l’encontre de Joseph Ratzinger et de son ami le théologien Karl Rahner. Tous deux seront même accusés d’être francs-maçons. Le 8 décembre 1962, les portes de la première session du Concile se referment.

De Bonn à Münster, un public acquis

Joseph Ratzinger revient à Bonn. À l’instar du Spiegel, les médias allemands s’emparent de ce qui s’est passé à Rome et soulignent le rôle prépondérant de son principal conseiller dans la nouvelle attitude du cardinal de Cologne. La prestigieuse université de Münster, la plus grande faculté catholique d’Europe, propose un poste au jeune théologien, mais il hésite. Il étouffe à Bonn où il sent en permanence le poids du pouvoir auquel il doit sans cesse se plier. C’est un esprit libre, non conventionnel, et il sent intuitivement qu’il doit partir pour respirer, et quitter la théologie pour le champ d’études plus vaste que lui offre la dogmatique. Il se décide à accepter la seconde offre de l’université de Münster en février 1963.
Titulaire de la chaire depuis le 1er avril, il commence à enseigner la dogmatique et l’histoire des dogmes le 28 juin 1963 devant un amphithéâtre bondé, des haut-parleurs relayant son discours dans les salles adjacentes pour d’autres étudiants et des gens de la ville. Son discours porte sur la Révélation et la Tradition. Lorsqu’il a fini de parler, il est applaudi à tout rompre. Maintenant Joseph Ratzinger sait qu’il est arrivé à un point où il n’a plus à craindre les réactions hostiles.
Tous les matins, à 6 heures et demie, il célèbre la messe dans la chapelle de la maternité voisine. Quand il corrige les copies de ses élèves, il pratique le dialogue avec eux et les laisse faire les corrections eux-mêmes. À midi, il retourne dans la maison qu’il partage avec sa sœur Maria et des étudiants qui sous-louent les chambres restantes. Comme sa mise, son attitude très simple est bien éloignée des professeurs de son rang. Il parle volontiers avec ses étudiants dont il est très aimé parce qu’il arrive à parler de théologie d’une façon très concrète. Il rit de bon cœur.
Il connaît son niveau intellectuel mais se fait petit à dessein. Sa voix est fluette, mais il émane une force de sa personne et, lors des confrontations, il n’y a pas de place pour le compromis. Ses conférences de l’Avent à la cathédrale Saint-Paul de Münster sont extrêmement courues : il y a là 1500 personnes, essentiellement des jeunes gens, qui viennent écouter ses méditations sur les Saintes Écritures. Ses cours magistraux sont suivis par 600 élèves pour 350 inscrits et ses assistants ont dû mettre en place une petite imprimerie dans les sous-sols de l’université pour répondre à la demande de polycopiés. Sa façon très personnelle d’enseigner, sans jamais se mettre en avant tout en insistant sur l’âme et la relation personnelle à Dieu plutôt que sur une approche strictement intellectuelle et théorique, n’est pas le moindre de ses paradoxes et entraîne une adhésion constante de son auditoire.

La grande désillusion

Le 3 juin 1963, la mort de Jean XXIII est un choc pour Joseph Ratzinger. À l’annonce de la nouvelle, il interrompt son cours à l’université de Münster et lui rend hommage. Le cardinal qui va lui succéder sous le nom de Paul VI, l’Italien Giovanni Battista Montini, a été le proche collaborateur de Pie XII de 1937 à 1954. Au sein de la Curie, il est proche du courant réformateur. Il décide la reprise du Concile dont la deuxième session s’ouvre le 29 septembre 1963, et met l’accent sur la rénovation mais aussi sur la tradition de l’Église.
Joseph Ratzinger écrit à propos du texte De Ecclesia sa satisfaction de voir « 90 % du texte qui dataient des 19e et 20e siècles réécrits pour laisser place dans des proportions équilibrées aux trois époques patristique, médiévale et contemporaine ».
Les tensions se poursuivent entre les cardinaux conservateurs et réformateurs et il en sera ainsi tout au long des 3e et 4e sessions qui se succèdent jusqu’à la clôture du Concile le 8 décembre 1965. Paul VI marque plusieurs fois son autorité : il publie le décret Lumen gentium qui marque une fois pour toutes que le pape est seul successeur de Saint-Pierre lorsque les progressistes tentent d’imposer l’idée d’une conduite collégiale des évêques avec le pape et l’Église ; il passe outre la pétition d’évêques américains qui lui demandaient une déclaration sur la liberté de religion ; et au grand dam des évêques allemands, il marque par le titre de Mater Ecclesiae une reconnaissance du rôle de Marie en tant que protectrice de l’institution qu’est l’Église catholique, fermant la porte à un rapprochement avec les protestants.
Le premier commentaire écrit de Joseph Ratzinger fait état d’« une grande désillusion » : est-ce à dire qu’il souhaitait ardemment à l’époque une réunion avec ses frères évangéliques ? Ce qui est certain, c’est qu’il avait déjà commencé à prendre ses distances avec les progressistes vers la fin de 1964 ou le début de 1965. Ainsi, le 18 juin 1965, il fait une conférence sur le thème de « la fausse et la vraie rénovation dans l’Église ». Il se demande devant ses étudiants de Münster « si les choses sous le régime de ceux qu’on nomme conservateurs, n’allaient pas mieux que sous l’empire du progressisme ». Il appelle à une nouvelle simplicité et considère que le contraire du conservatisme selon le Concile n’est pas le progressisme mais l’esprit missionnaire, et que c’est là le vrai sens de l’ouverture au monde. Une ouverture qui ne signifie pas pour les chrétiens un conformisme mondial sur fond d’une culture de masse à la mode, mais qui au contraire exige d’eux un non-conformisme dans l’esprit de la Bible. « Ne vous appropriez pas la manière du monde [2] », devait-il écrire plus tard.
Il commence dès ces années-là à lutter contre la déformation opérée par les médias qui s’appuient sur des théologiens en quête de renommée, à l’instar du théologien suisse Hans Küng qui se prête à leur jeu, se pavanant au volant d’une Alfa Romeo, et avec lequel il prend ses distances tout en poursuivant paradoxalement le dialogue : « Derrière cette tendance au règne des spécialistes se profilait l’idée d’une souveraineté du peuple de l’Église, idée selon laquelle c’est le peuple qui décide ce que l’Église doit comprendre ». En 1966, nouvelles critiques dans ses cours magistraux : « l’Église a certes ouvert ses portes au monde, mais le monde n’a pas afflué dans cette maison grande ouverte, il la harcèle encore davantage ». « Bien sûr j’étais pour un progrès », confie t-il à Peter Seewald, mais « à l’époque cela ne signifiait pas faire exploser la foi de l’Église, cela visait à mieux faire comprendre et vivre la foi des origines ». 
Illustration : Professeur de dogmatique et de théologie fondamentale à Freising en 1959, © KNA/SIPA.
[1] . « Bendikt XVI. Ein Leben », Peter Seewald, Eds Droemer, mars 2020.
[2] . « Das neue Volk Gottes », Joseph Ratzinger, Düsseldorf, 1969.

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