Tribunes
Que faire ?
Adieu, mon pays qu’on appelle encore la France. Adieu.
Article consultable sur https://politiquemagazine.fr
Le président chinois, Xi Jinping a déclaré au directeur général de l’OMS, le 28 janvier 2020, que « l’épidémie est un démon. Nous ne pouvons pas laisser le démon se terrer. »
Pour la Chine de toujours, « la politique n’est qu’une forme suprême de l’art médical ». Elle se doit donc de purifier l’ensemble du corps social de tout ce qui le corrompt. En 2017, dans un discours au Parti communiste chinois, il avait dénoncé l’extrémisme religieux comme un poison devant être éradiqué. Pour lui, seule la religion chinoise traditionnelle est bonne. C’est pourquoi les hôpitaux bâtis à la hâte dans la périphérie de Wuhan s’appellent « l’hôpital du dieu du mont tonnerre » et « l’hôpital du dieu du mont volcan ». « Ainsi la religion est considérée par le pouvoir chinois à la fois comme la source du mal qu’il faut combattre et comme la solution pour venir à bout de ce même mal : à la fois le poison et le remède. Lorsqu’elle est entre les mains du pouvoir qui l’utilise pour ses objectifs politiques, c’est un remède, mais lorsque la religion est vue par le pouvoir comme un phénomène incontrôlable qui propage des maladies idéologiques ou physiques dans le corps socio-politique, c’est un mal démoniaque contre lequel il faut lutter sans pitié » [1].
En France, le gouvernement semble suivre la même ligne que le président chinois, à ceci près qu’il professe la religion de la laïcité. C’est pourquoi il a préconisé aux évêques de mettre en œuvre le principe de précaution inscrit dans la Constitution depuis la présidence de Jacques Chirac. Le soir du 29 février on apprenait : « pour limiter la propagation du nouveau coronavirus et conformément à l’interdiction des “rassemblements collectifs” annoncée dans le département de l’Oise par le gouvernement ce samedi, l’évêque de Beauvais et le préfet ont pris la décision de suspendre jusqu’à nouvel ordre les messes ». On est confondu devant un tel message. En effet le prétexte de la décision est la demande du gouvernement de suspendre tous les rassemblements collectifs de plus de 5 000 personnes dans un lieu confiné. Or, dans les églises de l’Oise, on ne rencontre pas 5 000 fidèles présents ensemble dans une même église pour participer à la messe dominicale.
Hélas, cette décision venait à la suite de l’interdiction des messes dans les diocèses de Milan et de Venise et presqu’en même temps que la même interdiction dans le diocèse de Turin. Dans ce dernier diocèse, l’archevêque déplorait publiquement que l’arrêté d’interdiction pris par la Région du Piémont considère les « services religieux […] comme superflus et [sont] donc non exemptés de mesures restrictives ». Ces diocèses du nord de la France et du nord de l’Italie rejoignait ainsi des pays comme la Chine et la Corée du sud qui avaient déjà interdit les messes au prétexte de l’épidémie due au COVID-19[2].
L’application de cette interdiction de messe laisse penser – précaution oblige – qu’on fait primer la santé au cours d’un moment de la vie terrestre sur la Vie éternelle. Que des autorités politiques interdisent des messes pour raison de santé, comme c’est le cas en Corée du sud, en Chine ou à Hong-Kong, passe encore, mais que des évêques ne s’élèvent pas contre une telle mesure montre combien les chrétiens d’aujourd’hui sont devenus tièdes. Mais, si le sel s’affadit, n’est-il pas bon à être jeté dehors et foulé aux pieds par les passants ? Ajoutons, qu’au stade actuel de l’épidémie, l’extrême dangerosité du virus n’est pas clairement établie. Il était autrement plus dangereux pour les chrétiens des catacombes d’assister à la messe, pour les chrétiens à l’époque de la Révolution de courir dans les bois ou les granges pour assister à la messe d’un prêtre réfractaire… et même de se réunir dans une église au cours des bombardements de la Seconde Guerre mondiale.
On a plutôt l’impression que les chrétiens d’aujourd’hui se conduisent comme nos premiers parents : au lieu de mettre leur confiance en Dieu, ils veulent décider par eux-mêmes ce qui est bien et ce qui est mal et donc être « comme des dieux ». Mais, face au danger, ils s’aperçoivent aussi qu’ils sont nus.
Non à « l’épidémie de la peur » ! comme le demande Andrea Ricardi, le fondateur de la communauté Sant’Edigio. Et de rappeler qu’à l’époque de la peste de Milan en 1576-1577, on visitait les malades, on priait avec le peuple, on faisait des processions pieds nus : « le comportement des chrétiens dans les épidémies était décisif : ceux-ci ne fuyaient pas […] mais se rendaient des visites et se soutenaient, priaient ensemble, ensevelissaient les morts ». Mais il est vrai qu’ils étaient galvanisés par saint Charles Borromée. Pragmatique, le sociologue américain Rodney Stark constate, quant à lui, que cette attitude des chrétiens avait eu pour résultat que « leur taux de survie fut bien plus élevé que celui des païens en raison de l’assistance consciencieuse, pourtant sans médicaments, et en raison du lien communautaire et social ».
Les habitants de Padoue ont cependant sauvé l’honneur et montré la voie. Alors que toute cérémonie religieuse y était interdite, des centaines de personnes, bravant les consignes de prudence des autorités, ont participé aux obsèques d’Anna Modenese, 14 ans, décédée tragiquement d’un arrêt cardiaque le 20 février. Ils sont venus lui dire un dernier A-Dieu au cours d’une messe célébrée en plein air, à côté du cimetière du quartier de Terranegra. Le maire de la ville s’est même joint à la cérémonie, où de nombreux camarades de classes de la jeune fille étaient présents, ainsi que des collègues policiers de son père.
L’évêque de Belley-Ars, Monseigneur Roland, a lui aussi décidé de mettre l’accent sur ce qui est essentiel. Refusant de céder à « l’épidémie de la peur[3] », et rejoignant Dostoïevski, dans Les Possédés, il nous a posé les questions fondamentales : « La panique collective à laquelle nous assistons aujourd’hui n’est-elle pas révélatrice de notre rapport faussé à la réalité de la mort ? Ne manifeste-t-elle pas les effets anxiogènes de la perte de Dieu ? Nous voulons nous cacher que nous sommes mortels et, nous étant fermés à la dimension spirituelle de notre être, nous perdons pied ». C’est pourquoi il n’a pas craint de proclamer avec force : « une église n’est pas un lieu à risque mais un lieu de salut. C’est un espace où l’on accueille celui qui est la Vie, Jésus-Christ, et où par lui, avec lui et en lui, on apprend ensemble à être vivants. Une église doit demeurer ce qu’elle est : un lieu d’espérance ! […] Un chrétien ne craint pas la mort. Il n’ignore pas qu’il est mortel, mais il sait en qui il a mis sa confiance ». Alors que le chrétien soit prudent, certes, et surtout pour les autres qu’il ne doit pas risquer de contaminer. Mais les précautions qu’il prend doivent d’abord être marquées par le souci des autres et ensuite par respect pour le corps que Dieu lui a donné. « Il ne s’expose certes pas indûment, mais il ne cherche pas non plus à se préserver ». Il ne doit pas se laisser voler son espérance.
Mais cette confiance doit aussi s’exprimer par des actes. À Montpellier, patrie de saint Roch, le curé de la cathédrale a décidé de lancer une neuvaine pour demander au patron des médecins d’intercéder pour nous auprès de Dieu le Père. Mais, si cette démarche de prière est une action normale en pareille circonstance, il lui manque cependant la dimension communautaire – que l’on trouve dans les processions –, dimension qui est une caractéristique fondamentale du peuple de Dieu, comme l’a rappelé le père de Menthière dans sa première conférence de Carême consacrée à l’Eglise.
Le 1er mars, c’est le préfet du Morbihan qui a pris un arrêté pour interdire tout « rassemblement collectif » (sic) dans le département. Et, dans la foulée l’évêque de Vannes annonçait la suppression de toute messe comme de « toute séance de catéchèse et d’aumônerie » ajoutant : « les autorités civiles nous imposent[4] ces mesures restrictives ». Il annexait à son communiqué le texte de l’arrêté préfectoral. Or ce dernier est intéressant, non à cause du pléonasme qui agrémente son article premier, mais par l’un des textes visés pour justifier la décision : « Vu la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 et notamment les articles 10 et 11 ».
Que disent ces articles ?
Article 10 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuse, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ».
Article 11 : La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ».
Il ressort très clairement que cet arrêté est directement pris contre les opinions religieuses dont les manifestations (en l’occurrence les messes et séances de catéchèse), troubleraient l’ordre public. Et les citoyens qui voudraient alors « parler, écrire [ou] imprimer » sur le sujet, pourraient donc être amenés à répondre de l’abus de droit.
Entre les messes dominicales supprimées dans le diocèse de Beauvais, toutes les messes et séances de catéchèse dans celui de Vannes et l’interdiction de la communion dans la bouche dans d’autres diocèses, de nombreux fidèles ont été déstabilisés. Cela a donné l’occasion à certains prêtres de rappeler ce qu’est la « communion de désir » ou « communion spirituelle ». Et, l’évêque de Vannes a composé à cette occasion l’acte de communion spirituelle suivant :
Seigneur Jésus, je crois fermement que Tu es présent dans le Saint Sacrement de l’Eucharistie. Je T’aime plus que tout et je Te désire de toute mon âme.
Après toi languit ma chair comme une terre assoiffée. (psaume 62)
Je voudrais Te recevoir aujourd’hui avec tout l’amour de la Vierge Marie, avec la joie et la ferveur des saints.
Puisque je suis empêché de Te recevoir sacramentellement, viens au moins spirituellement visiter mon âme.
En ce temps de carême, que ce jeûne eucharistique auquel je suis contraint me fasse communier à Tes souffrances et surtout, au sentiment d’abandon que Tu as éprouvé sur la Croix lorsque Tu t’es écrié : « Mon Dieu, mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné ».
Que ce jeûne sacramentel me fasse communier aux sentiments de Ta Très Sainte Mère et de Saint Joseph quand ils T’ont perdu au temple de Jérusalem, aux sentiments de Ta Sainte mère quand elle Te reçut, sans vie, au pied de la Croix.
Que ce jeûne eucharistique me fasse communier aux souffrances de Ton Corps mystique, l’Église, partout dans le monde où les persécutions, ou l’absence de prêtres, font obstacle à toute vie sacramentelle.
Que ce jeûne sacramentel me fasse comprendre que l’Eucharistie est un don surabondant de Ton amour et pas un dû en vue de mon confort spirituel.
Que ce jeûne eucharistique soit une réparation pour toutes les fois où je T’ai reçu dans un cœur mal préparé, avec tiédeur, avec indifférence, sans amour et sans action de grâce.
Que ce jeûne sacramentel creuse toujours davantage ma faim de Te recevoir réellement et substantiellement avec Ton corps, Ton sang, Ton âme et Ta divinité lorsque les circonstances me le permettront.
Et d’ici là, Seigneur Jésus, viens nous visiter spirituellement par Ta grâce pour nous fortifier dans nos épreuves.
Maranatha, viens Seigneur Jésus.
A Saint-Nicolas-du-Chardonnet, les prêtres traditionalistes ont invité les fidèles à venir participer à une messe votive contre les grandes épidémies. Si demain, l’épidémie s’étend en France, ne doutons pas que d’autres préfets suivront l’exemple de celui du Morbihan. Les chrétiens devront alors montrer ce qui est le plus important à leurs yeux.
[1] Emmanuel Dubois de Prisque, www.aleteia.org, le 2 mars 2020.
[2] En Iran, le gouvernement avait décidé, toujours pour le même motif, d’interdire les prières dans les mosquées le vendredi 28. Et l’Arabie saoudite a fermé de nombreux centres religieux.
[3] « À notre époque, qui a enlevé à l’homme la peur du péché et du salut et qu’il a soi-disant libéré de la peur, de nouvelles angoisses prolifèrent et prennent souvent la forme de psychoses collectives : angoisse devant les fléaux des grandes maladies décimant les hommes, angoisse devant les conséquences du pouvoir de la technique, peur devant le vide et l’absurdité de l’existence. […] Toutes ces peurs ne sont que des masques de la peur de la mort, l’effroi devant la finitude de notre existence. Cette peur et cet effroi s’installent lorsqu’on a accueilli l’infini avec peur et non avec amour et lorsqu’on croit s’être débarrassé de cette peur en la niant. Mais la peur de la finitude est plus effrayante et désespérante que ne pourrait jamais l’être la peur refoulée de l’infini, dans laquelle est toujours caché le mystère de la consolation qui nous attend. » (Joseph Ratzinger, « Auf Christus schauen » (1989), Touché par l’invisible, 2008).
[4] C’est nous qui soulignons.