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Les nouveaux hérétiques

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Les nouveaux hérétiques

La République laïque s’enorgueillit de son « droit au blasphème ». Ce droit, évidemment, a cessé d’exister depuis longtemps : il s’est transformé en « devoir d’approbation », qui étend le blasphème à la race, au sexe et au corps, des domaines autrefois profanes et désormais sacralisés.
Ainsi peine-t-on à trouver une publicité pour des assurances qui ne mette en scène un couple métissé ; un film qui ne dénonce l’avilissement des femmes par l’hétéro-patriarcat ; un livre qui ne décrive avec émotion le calvaire des migrants, des gays ou des obèses – car les librairies sont devenues, au même titre que la télévision, le cinéma et les journaux, un des hauts lieux du catéchisme antiraciste, antisexiste, antivalidiste[1]. C’est la raison pour laquelle, comme l’a montré un de nos plus brillants romanciers, Patrice Jean[2], on sera obligé de réécrire ou de censurer les classiques : il est hors de question que Rabelais, Molière ou Shakespeare continuent de se moquer des femmes, des étrangers et des surchargés pondéraux. Un metteur en scène italien, Leo Muscato, soucieux de lutter contre les « féminicides », a déjà changé la fin de Carmen : finalement, c’est la bohémienne qui tuera Don José.
On comprend que l’une des plus fameuses gardiennes de la foi, Mme Caroline De Haas, se soit réjouie, dans un français d’adolescente de quarante ans, au-dessus d’une photo des livres d’Alice Coffin et de Constance Debré[3] : « Y a des librairies, tu rentres et en un clin d’œil aux tables dans l’entrée, tu sais que tu vas t’y sentir bien. Et y en a où tu sens que ça va pas le faire. »[4]
Toujours prête à dénoncer l’hérétique, elle était venue surveiller la bonne tenue des rayons. Dieu merci, l’apostat menacé de l’Index, ou d’un tweet de Mme De Haas, a déjà été banni, ou se tait, le plus souvent : il met un couvercle sur les blasphèmes qui lui viennent assez naturellement.
De temps en temps, néanmoins, l’eau bout tant que le couvercle saute :
« Madame Diallo se plaint de la France, elle se plaint des Blancs, a récemment remarqué une auditrice de Sud Radio. [Mais] Madame Diallo, elle n’aurait pas bénéficié de tout ce que donne la France, il y a de fortes chances qu’elle serait en Afrique avec trente kilos de plus, quinze gosses, en train de piller le mil par terre, et d’attendre que Monsieur lui donne son tour entre les quatre autres épouses. »[5]
Ces sacrilèges, qui ont surgi sans crier gare, et dont on sentait que l’auditrice se libérait, n’ont pas échappé à Mme Diallo, l’interpellée :
« Ces propos traduisent un mélange de mépris de “l’Afrique” […] et de négation de la légitimité politique des non Blanc.he.s en France (+ grossophobie). Pour les signalements CSA, voici la vidéo entière qui m’avait échappée [sic]. »[6]
Le « signalement », c’est le nom que les tenants du respect de la religion donnent à l’excommunication, pour laquelle ils ont deux arguments : le feu et le jeu – un mécréant, toujours, « jette de l’huile » (sur le feu) et « fait le jeu » (des « extrêmes »).
Il y a quelques incommodités à être un gardien de la foi : on est obligé de se passer de bons livres pour faire l’éloge d’œuvres qui ont pour titre, par exemple, Chattologie – un essai menstruel avec des dessins dedans, de Mlles Louise Mey et Klaire Fait Grr [c’est son « nom »], aux éditions Hachette Pratique (sic). Mais ces inconvénients sont bénins par rapport aux bénéfices : on y gagne très confortablement sa vie, par exemple, grâce au détournement de l’argent public. Ça s’appelle du racket dans la mafia ; et des subventions dans la République.
On peut très bien prévoir comment vont finir la plupart des défenseurs de l’orthodoxie ; et ça pourrait en surprendre plus d’un, et d’abord eux-mêmes. Il y a toujours un moment, en effet, dans la course à l’excommunication, où les Torquemada deviennent littéralement fous, se plaisant à imaginer, par exemple, que des policiers, postés dès potron-minet à Trappes ou à Bobigny, guettent les premiers banlieusards pour les « massacrer », en se repérant à leurs cheveux frisés[7]. Mais la folie n’est que la première étape ; la seconde, c’est l’entre-dévoration : dans les périodes de terreur, les plus méritants chasseurs d’impies deviennent toujours, à leur tour, gibiers. Tous les Savonarole finissent sur un bûcher, tous les Robespierre, sur la guillotine : il y a toujours plus pur que soi.
J. K. Rowling, l’auteur de Harry Potter, ou l’historien Ivan Jablonka, ou même le premier ministre Justin Trudeau, malgré les preuves de leur allégeance au dogme, et même leurs génuflexions, ont déjà été soupçonnés d’hérésie : la première est accusée d’être transphobe ; le second de « minimiser l’apport théorique de la pensée féministe » ; le troisième de s’être livré au blackface dans sa jeunesse.
Ce ne sont que trois exemples parmi d’autres : les dévots les plus sincères recevront un jour l’anathème. « Ils ne mourront pas tous, mais tous seront frappés » : un texto, une photo, un mot suffiront.
En ce moment, c’est Mme Françoise Vergès qui est menacée d’illégitimité. Cette universitaire, fameuse « féministe décoloniale », qui depuis vingt ans ne cesse de pourfendre le « racisme systémique » et le « blantriarcat », a un défaut, un seul, mais il se voit : elle « n’a pas une goutte de sang afro » ; « elle bégaye quand on lui demande de se situer racialement donc quelque chose n’est pas net ». Certains la défendent en disant qu’elle est « métisse et asiatique ». « Et alors ? Ça lui donne le droit d’employer le mot nègre ? »[8]
Accusée de se livrer au « blackfishing », c’est-à-dire de s’approprier indûment la culture et l’Histoire des Noirs, on la soupçonne en outre d’être une « descendante de colons ».
Ce n’est que le début : d’autres bûchers viendront. Ce sera la victoire des premiers hérétiques, qui regarderont brûler leurs anciens persécuteurs. Personne n’a dit que la parousie devait se dérouler sans petites satisfactions.

  • Dernier livre paru : Les Cosaques et le Saint-Esprit (éditions La Nouvelle Librairie)
  • À paraître : La littérature à balles réelles (éditions Jean-Dézert)

[1]  On appelle « validisme » l’automatisme qui fait de l’individu qui ne souffre pas de maladies ni de handicaps, qui est donc « valide », la norme, provoquant une discrimination à l’égard des invalides, des infirmes, des malades.
[2]  Dans L’homme surnuméraire (Rue Fromentin) et dans La Poursuite de l’idéal (Gallimard).
[3]  Auteurs connus pour leur engagement lesbien.
[4]  Twitter, 13 février.
[5]  Les Vraies Voix, Sud Radio (20 déc. 2020).
[6]  Rokhaya Diallo, Twitter, 20 déc. 2020.
[7]  On aura reconnu les délires de la chanteuse et actrice Camélia Jordana.
[8]  Témoignages parus sur les réseaux sociaux et recueillis sur le site Observatoire de la déconstruction (25 janv. 2021).

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