Les percées régulières du FN et de sa présidente, dans des électorats de plus en plus variés, seront l’une des données incontournables des prochains rendez-vous électoraux. Et, notamment, de la présidentielle. Jusqu’où ira le parti de Marine Le Pen ?
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Mars 2013. Au micro de l’émission C politique, sur France 5, Marine Le Pen se réjouit. Le député sortant UMP, Jean-François Mancel, vient pourtant d’être réélu face à Florence Italiani, la candidate du Front national, au second tour de la législative partielle de l’Oise. Mais en gagnant presque 6 000 voix entre les deux tours, Italiani a déjoué les pronostics. Mieux, une grande partie des suffrages obtenus par la candidate de gauche éliminée au premier tour, ne se sont pas reportés sur le candidat UMP comme l’avait demandé les responsables nationaux du Parti socialiste. Le « Front républicain » est battu en brèche. « Chaque jour qui passe nous rapproche du pouvoir », veut croire la présidente d’un mouvement porté par une telle dynamique politique que les petites défaites sont fêtées comme des victoires à venir.
Un an plus tard, aux municipales de 2014, les listes du « Rassemblement Bleu Marine » – coalition politique souverainiste fondée par Marine Le Pen – enlèvent 12 villes, dont la mairie du VIIe secteur de Marseille où vivent 150 000 habitants. Aux sénatoriales qui suivent, deux élus frontistes, Stéphane Ravier et David Rachline, font leur entrée au palais du Luxembourg. Une première dans l’histoire du mouvement. Au Parlement, ils rejoignent Marion Maréchal-Le Pen et Gilbert Collard, élus députés aux législatives de 2012, respectivement dans le Vaucluse et dans le Gard. Ces succès électoraux créent les conditions de victoires futures : dans la foulée des municipales, l’élection de 1 544 conseillers municipaux confirme une implantation locale solide… En attendant les régionales de 2015 – le FN pourrait emporter deux régions – et la présidentielle de 2017, pour laquelle la présence de Marine Le Pen au second tour est quasiment admise par tous les observateurs. Un sondage Ifop, réalisé en septembre dernier, la donne même gagnante en cas de duel avec François Hollande ! Il est loin le temps où la qualification de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle était vécue comme un séisme politique.
Le FN impose ses thèmes dans le débat public
A l’heure de son 15e congrès, à Lyon, le parti affiche donc une confiance et un moral au beau fixe. Jamais il n’a renvoyé une image aussi positive. Une popularité qui tient avant tout à sa présidente dont la « cote d’avenir » (cote de popularité telle qu’elle est mesurée par la Sofres pour le Figaro Magazine) dépasse régulièrement les 30 %, là où son prédécesseur n’a franchi ce seuil qu’une seule fois, en 1995. Quant à son influence idéologique, une enquête de la Sofres, réalisée pour Le Monde en janvier 2013, montrait que 32 % des personnes interrogées déclarent être d’accord avec les idées défendues par le parti. Du jamais vu !
Ce dynamisme inédit d’un parti qui, fondé en 1972, a connu bien des turbulences, repose avant tout sur la stratégie élaborée et mise en œuvre par Marine Le Pen et ses équipes. Elle consiste à adopter un discours débarrassé des stéréotypes attribués habituellement à sa famille de pensée et des outrances et provocations en tous genres. Au sein même du FN, cette entreprise de « dédiabolisation » n’a pas été sans heurts. L’exclusion d’Alexandre Gabriac, chef d’un petit mouvement identitaire, les Jeunesse nationalistes, provoqua un incident diplomatique entre Marine Le Pen et son père. Mais force est de reconnaître qu’elle a permis au FN d’imposer ses thèmes de prédilection dans le débat public – immigration, chômage, rejet de l’Union européenne, perte de pouvoir d’achat, corruption des élites. Une visibilité médiatique qui lui permet de « dépoussiérer » certaines de ses propositions – la « préférence nationale » est devenue la « priorité nationale » – et de toucher des franges plus larges de la population et, notamment, celles qui se regroupent dans ce que Christophe Guilluy appelle « la France périphérique ».
Le vote FN prospère sur les fractures françaises
Dans ses livres, le géographe met en évidence les effets politiques de la recomposition des territoires sous l’effet conjugué de la crise économique et de la mondialisation. Il montre ainsi que la création de richesse se concentre de plus en plus dans les grandes métropoles – qui génèrent à la fois des emplois très qualifiés, occupés par des cadres, et des emplois sous-qualifiés, souvent tenus par des immigrés – d’où sont chassées les classes populaires, ouvriers et employés, encore majoritaires dans la population. Cette fracture entre une France urbaine et dynamique, profitant pleinement des effets du multiculturalisme des « villes-monde » (mais qui évite soigneusement tout contact avec les populations d’origine immigrée) et une France des zones périurbaines, occupée par des classes moyennes en voie de paupérisation, est consommée. « Laissée pour compte, volontiers méprisée, cette France-là est désormais associée à la précarité sociale et au vote Front national », écrit Christophe Guilluy dans La France périphérique (Flammarion).
C’est à cette France de la « mondialisation malheureuse » que s’adresse le « nouveau » discours social, régalien et protectionniste de Marine Le Pen. Elle en retire un bénéfice électoral considérable. Une enquête de l’Ifop, publiée dans le journal Le Monde en février 2012, indiquait que le vote FN était faible dans les agglomérations de plus de 200 000 habitants et leur proche banlieue, mais surreprésenté lorsqu’on se situe à 50 km de l’agglomération. Si on a longtemps parlé d’une « France du Front national », avec ses spécificités sociales et culturelles et ses limites géographiques, ces caractéristiques seraient donc en passe de disparaître ou, du moins, seraient en phase de profonde mutation. Au Front national, on parle de « lissage du vote » sur l’ensemble du pays.
Une histoire mouvementée
Né il y a 42 ans, le Front national a tout connu. Fondé en 1972 pour rassembler et donner une existence politique aux différents mouvements de la droite nationale, il peine d’abord à sortir de la marginalité. Il faut attendre les années 80 pour voir le parti se professionnaliser et percer électoralement. A la présidentielle de 1988, Jean-Marie Le Pen obtient 14,4 % des voix, arrivant en troisième position. C’est le début d’une montée en puissance qui atteindra son apogée aux municipales de 1995, mais qui sera brutalement interrompue par la scission de Bruno Mégret en 1998. L’ancien numéro 2 du FN, qui entendait mettre le parti en ordre de bataille pour la conquête du pouvoir, se heurte frontalement à Jean-Marie Le Pen, critiqué en interne pour ses provocations. Déserté par une grande partie de ses cadres et de ses dirigeants, le FN, malgré la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle de 2002, entame alors une traversée du désert marquée par un fort reflux électoral. L’arrivée à sa tête de Marine Le Pen, en 2011, bouleverse la donne : renouant avec l’ambition de Bruno Mégret, elle relance la stratégie de dédiabolisation afin d’en faire une formation capable de gagner des élections majeures. Le projet de la nouvelle présidente qui, contrairement à son père, veut réellement aller aux affaires, est tout entier tourné vers cet objectif.
Le FN bénéficie du rejet des partis de gouvernement
L’autre effet, d’apparence paradoxale, de la « stratégie de dédiabolisation », c’est qu’elle est favorisée par le rejet croissant de la part des électeurs des partis dits de gouvernement. « Le FN se nourrit du discrédit qui touche les deux grandes forces de gouvernement autour desquelles s’organisent depuis des décennies toutes les alternances politiques », explique, dans La france au Front (Fayard), le politologue Pascal Perrineau. De fait, la défiance est telle entre les Français et leurs représentants qu’une partie croissante d’entre eux voit le FN comme la seule formation susceptible de sortir le pays de « l’alternance unique », selon le mot du philosophe Jean-Claude Michéa. Combat de longue haleine : Jean-Marie Le Pen pointait autrefois du doigt « l’establishment » ; sa fille, Marine, dénonce aujourd’hui « l’UMPS ». Après 30 ans d’échec des partis de gouvernement, après des années de crise économique ressentie de plus en plus durement par toute une partie de la population, le FN apparaît comme le dernier parti capable d’apporter un réel changement politique.
Jusqu’où montera le Front national ? Depuis son accession à la présidence du parti, en 2011, Marine Le Pen n’a eu de cesse de brouiller les pistes, exhortant les valeurs de la République, célébrant la laïcité et menaçant de poursuites judiciaires toute personne qui qualifierait son parti « d’extrême droite ». Ce positionnement sui generis, « ni droite-ni gauche », déconcerte les vieux sympathisants qui ont parfois l’impression que le mouvement a dévié de sa ligne traditionnelle, notamment sur les sujets de société. Ou sur la question de l’immigration, souvent remisée au second plan, derrière les thématiques économiques et le combat contre l’euro et l’Europe de Bruxelles. En réalité, dans un contexte de délitement général de la chose publique, Marine Le Pen ratisse large et a fait de ce positionnement la condition de son ambition. Face à une droite défaite et divisée, un pouvoir socialiste déjà rejeté par ses électeurs, une gauche de la gauche qui n’a jamais été populaire chez les ouvriers et les employés, une chose est sûre : si toute prévision reste incertaine, l’élection de Marine Le Pen à la présidence de la République ne relève plus d’un scénario de politique-fiction. Reste à savoir si le Front national est en mesure d’atteindre « l’objectif 51 % » qu’il s’est fixé pour 2017, alors que ses adversaires raillent sa supposée incapacité à gouverner et qu’ils l’estiment démuni, tant en compétences qu’en moyens, pour affronter le défi d’une présidentielle. Réponse dans les deux ans qui viennent.
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