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Les carnets d’un chercheur en extrémismes

Les extrêmes, qu’ils soient de droite ou de gauche, sont violents, hiérarchisés et aimantés par le désir de transgresser l’ordre établi, surtout celui de notre monde « apaisé ». Cet essai fournit un tableau très complet des partis extrémistes. Même si l’auteur tient à tenir la balance égale entre les deux extrêmes, ce qui est en fait déséquilibré, son ouvrage est très bien documenté.

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Les carnets d’un chercheur en extrémismes

Christophe Bourseiller publie La France en colères, un essai où il passe en revue ceux qui, dans les extrêmes gauches comme dans les extrêmes droites – le pluriel est bel et bien nécessaire, il le démontre –, souhaitent une révolution et se disent prêts à la mener. Usage de la violence, stricte hiérarchie interne et désir de transgression seraient les caractéristiques communes de ces extrémismes que l’auteur suit depuis de longues années.

Entomologiste de l’extrémisme, Bourseiller évoque ainsi tel ou tel groupuscule, suit son évolution, commente ses scissions, et si la place lui manque pour en détailler la doctrine en donne un aperçu clair – quand du moins elle existe. Il y a nécessairement un effet de loupe dû à l’intérêt du chercheur pour son sujet, mais il en a conscience, et s’il a plaisir à citer un tract, il sait aussi que les réalisations pratiques sont loin des projets plus ou moins fumeux qui y sont exposés. Au fil des débats, on ne sait d’ailleurs jamais si nos extrémistes deviendront modérés… ou si, de scissions en scissions, la radicalisation va croître d’elle-même, dans une perpétuelle course en avant.

Mais cette radicalisation peut, selon Bourseiller, surgir à tout moment dans notre monde dit « apaisé ». Aussi, avant que de traiter des partis extrémistes, il choisit d’évoquer d’autres « colères » présentes dans nos sociétés. Extrémisme ainsi du wokisme ou de la cancel culture ? Il se pose la question, face aux violences, aux États-Unis mais aussi maintenant en France, contre des œuvres, des hommes ou des institutions. On suivra par contre moins notre auteur lorsqu’il évoque la radicalisation d’un contre-wokisme de droite : les quelques campagnes menées contre des films ou des pièces ne suffisent pas à justifier un quelconque « équilibre » entre les deux camps en termes de niveau de violence, d’atteintes aux libertés… ou de réception dans les médias.

Qui manipule qui

Bourseiller donne ensuite de manière assez étonnante une vision plutôt globalement négative du mouvement des Gilets jaunes, semblant oublier que les violences de ses manifestations ont été largement liées, d’une part, à leur infiltration par l’extrême gauche après quelques semaines de combat, et, d’autre part, à une répression particulièrement violente des forces de sécurité. Il évoque enfin dans ces « colères » les mouvements « anti-vax » ou ceux des camionneurs – il n’a pas pu intégrer ceux agriculteurs –, les liant cette fois un peu rapidement à un « complotisme » dont il dit pourtant que « la formule est à la mode » et qu’on « la met volontiers à toutes les sauces ».

C’est ainsi que très (trop ?) influencé par certains analystes du « complotisme », Bourseiller peine à dégager ce qui dans nombre de ces colères spontanées résulte d’une méfiance compréhensible envers un État qui porte de graves atteintes aux libertés individuelles sans véritablement les justifier. Agriculteurs et camionneurs, Gilets jaunes comme antivax, ont certes comme point commun une même défiance envers les directives étatiques, mais la manière dont l’oligarchie au pouvoir s’est refusée depuis des décennies à entendre leurs angoisses en reste sans doute la cause première, et non l’influence de telle ou telle théorie fumeuse qui ne fait que se greffer ensuite sur cette angoisse.

Christophe Bourseiller est donc plus à l’aise quand il revient à son sujet de prédilection, les partis extrémistes, nous régalant ici de tableaux très documentés. On suit ainsi dans les extrêmes gauches l’évolution des courants léniniste, maoïste, trotskiste ou situationniste et de leurs « minichapelles ». On lit avec beaucoup d’amusement les infiltrations de ces différents groupes les uns par les autres, au point que plus personne ne sait bien qui manipule qui. Il pose aussi la question des autonomes, une mouvance qu’il estime à un millier de personnes, très structurée, et dont l’objectif est d’exercer une violence réelle pour pousser d’autres organisations à les rejoindre. Très intéressantes encore sont ses analyses sur la manière dont la lutte contre l’islamophobie est devenue un élément du corpus de cette ultra-gauche où, selon lui, « l’intersectionnalité et les luttes des minorités ont tendance à supplanter la lutte de classe ».

Chez les extrêmes droites ensuite, on suit avec amusement, chez les contre-révolutionnaires, les royalistes, leurs dissidences et leur presse – et nos lecteurs y retrouveront Politique Magazine et Philippe Mesnard –, ou les catholiques « tradis ». Traitant ensuite des « révolutionnaires », Bourseiller se demande un temps quoi faire des nationalistes « classiques » – ce qui, on le verra, est révélateur –, avant de s’intéresser aux nationalistes-révolutionnaires, d’évoquer quelques néo-nazis délirants, et de se demander si la notion « d’ultra droite », apparue dans les médias à partir de 2010, n’est pas simplement la conséquence de la « dédiabolisation » du Front national.

La réussite du nationalisme

Il lui reste alors à placer dans ce monde de rebelles et de révoltés des formations populistes de droite dont la plupart des membres semblent pourtant nettement moins extrémistes que les précédents. S’il évoque ces formations populistes, c’est qu’elles diffuseraient « à grande échelle […] diverses thématiques, initialement élaborées au sein des mouvances d’extrême droite ». On aurait alors aimé qu’il se pose la même question à gauche, pour LFI de manière évidente, mais peut-être aussi pour EELV. On pourrait surtout lui répondre que si certaines thématiques – la nation ou l’identité, pour prendre ces deux exemples – ont été longtemps relégués à l’extrême droite, c’est uniquement parce que la droite dite « de gouvernement », tétanisée par la gauche médiatique, s’interdisait de seulement penser s’en réclamer. Quoi qu’il en en soit, les temps ont changé, et si le Rassemblement national lui semble être « la réussite du nationalisme », Reconquête prônerait selon lui « l’union des droites extrêmes » – ce qui semble moins cohérent, car on voit mal ce parti rassembler le fatras précédemment décrit par notre auteur, quand Reconquête lorgne surtout du côté des électeurs des Républicains. On perçoit ici la difficulté à traiter de la question du champ intellectuel et politique du ou des populisme(s), ou de celle de la réapparition de la question nationale, sinon du nationalisme.

Chercher à maintenir une balance égale entre extrêmes gauches et extrêmes droites, au vu de la situation intellectualo-médiatique de notre pays, est un acte courageux. De plus, Bourseiller ne nie pas la différence existant en termes de moyens, d’hommes ou de préparation technique entre les formations de l’extrême gauche – ou surtout, de nos jours, de l’ultra gauche –, et leurs rivales de l’extrême-droite. Reste qu’il manque peut-être sur ce point une mise en perspective des violences effectivement commises, et des impacts médiatiques qu’elles ont pu avoir comme des sanctions qui ont pu être prononcées à leur suite. Cela aurait pu conduire à relativiser le prétendu « équilibre » toujours avancé par le ministère de l’Intérieur au fil de ses dissolutions (un coup à droite, un coup à gauche) et, plus encore, à montrer le déséquilibre flagrant de notre justice dans ses condamnations.

Mais c’était peut-être donner de nouvelles raisons de « colères ». Ne boudons donc pas notre plaisir en demandant à Bourseiller autre chose que ce qu’il fait fort bien, dresser un panorama bien documenté des nébuleuses extrémistes, avec un don réel pour trouver l’anecdote parlante et citer le propos révélateur.

 

Christophe Bourseiller, La France en colères. Les éditions du Cerf, 2024, 304 p., 24 €.

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