Le phénomène « Rassemblement Bleu Marine » est loin d’être isolé en Europe. Sur le continent, d’autres mouvements nationalistes ou identitaires sont aux portes du pouvoir. Tour d’horizon.
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C’est un nouveau parti qu’aucun observateur n’attendait en Europe. Lancé en avril 2013, l’Alternative für Deutschland (AfD) a obtenu outre-Rhin 4,7 % des voix aux législatives de septembre 2013, puis 7 % aux élections du Parlement européen en mai 2014, puis plus de 10 % lors des scrutins tenus dans trois régions de l’est de l’Allemagne. Son credo ? La sortie de l’euro et l’opposition à la création d’un super état à Bruxelles. Ses meneurs ? Un économiste de l’université de Hambourg, qui a apporté avec lui des experts en économie, des juristes ou encore l’ancien président de la puissante fédération des industries allemandes.
En dix-huit mois, près de 20 000 personnes auraient rejoint le parti. « C’est un mouvement disparate en matière de sensibilités : on y trouve des professeurs ou d’anciens hauts fonctionnaires, mais aussi d’authentiques militants nationalistes », explique Alain Favaletto, ancien expert détaché à la Commission européenne et auteur d’un remarqué Essai sur le néonationalisme allemand (éd. L’Harmattan). « Il existe des dissensions en interne mais tous se retrouvent sur un sujet : l’euro ». La crise des obligations d’état et les différents plans de renflouement mis en place à partir de 2010 pour prêter des liquidités à la Grèce ou à l’Espagne ont été mal perçus outre-Rhin. « Depuis les débuts de la crise de l’euro, on assiste à un véritable bombardement d’articles dans les grands médias allemands sur l’iniquité du bloc monétaire. Ils ont peur de devoir payer pour les autres. Et c’est sur ce créneau que réussit l’Alternative für Deutschland. Car, pour le reste, il existe déjà en Allemagne une cohésion politique pour défendre l’intérêt national, tant de la part des sociaux-démocrates que des conservateurs d’Angela Merkel », explique Alain Favaletto.
Une « vague populiste », en 2000 déjà…
Ailleurs en Europe, la défense des intérêts locaux et la critique du système en place s’intensifient. En Hongrie, un mouvement national est déjà au pouvoir. Après plusieurs années à la tête du Parlement, le Fidesc de Viktor Orban vient d’être réélu triomphalement cette année. Des actions aussi diverses que la réorientation de l’enseignement scolaire ou la poursuite du projet de construction du gazoduc russo-européen South Stream sont autant de signes d’indépendance envers une Commission européenne très mécontente.
Au Royaume-Uni et en Italie, un mouvement souverainiste et un courant populiste ont connu une ascension fulgurante. Outre-Manche, c’est l’United Kingdom Independance party (Ukip) du médiatique eurodéputé Nigel Farage : après avoir atteint 23 % des voix à des élections partielles en 2013, il est arrivé en tête aux élections européennes de mai 2014, devançant les travaillistes et les conservateurs anglais, une première en plus d’un siècle de scrutins. Chez nos voisins transalpins, le Movimento 5 Stelle, créé en 2009 seulement, a réuni plus de 25 % des votes tant lors des élections à la chambre des députés en 2013 que durant la dernière consultation européenne. Ce parti « anti-partis », qui met tour à tour en avant des thèmes aussi divers que l’écologie, un revenu universel ou la critique de l’euro, refuse de participer au gouvernement italien tant qu’il n’y sera pas majoritaire.
Une stratégie destinée à éviter la mauvaise expérience de la Lega Nord, puissante fédération séparatiste et identitaire du Nord de l’Italie dont la dynamique avait été cassée après sa participation à l’ancien gouvernement de Silvio Berlusconi. Aux Pays-Bas, le libéral et anti-immigration Partij voor de Vrijheid de Geert Wilders obtient bon an mal an 15 % des voix et il a déjà fourni des ministres. En Scandinavie, c’est un mouvement similaire, le Fremskrittspartiet, qui est entré pour la première fois au gouvernement norvégien à la suite des élections du mois d’octobre. En Autriche, on assiste au retour en force du nationaliste Freiheitliche Partei Österreichs, qui a obtenu 22 % des suffrages aux législatives de 2013. Retour en force ? Oui, car le mouvement avait déjà intégré le gouvernement de Vienne au début des années 2000. Son meneur charismatique, le gouverneur régional Jörg Haïder, avait alors été victime d’une violente campagne médiatique en Europe et l’Autriche subi des sanctions diplomatiques de la part de l’Union européenne. Le thème de la « vague populiste » n’est pas nouveau.
Autre pourfendeur de l’immigration de peuplement, le leader néerlandais Pim Fortuyn manquait de peu de prendre la mairie de Rotterdam en 2002, avant d’être assassiné quelques jours avant les élections générales par un militant de la cause musulmane. En Pologne, en 2005, Lech Kaczynski parvint au poste suprême et promit une « révolution morale ». L’année suivante, en Bulgarie, un meneur nationaliste qui faisait campagne contre l’entrée de son pays dans l’Otan et contre l’influence turque parvint au second tour de la présidentielle.
Non respect des référendums
Une différence demeure : la « vague populiste » de la décennie 2000 était éparse et les mouvements affiliés ne possédaient pas la profondeur politique qui leur aurait permis de s’implanter durablement au plan local. Que s’est-il passé entretemps ? « Il y a eu la crise économique et financière dans la zone euro. L’Union européenne en général est loin d’avoir tenu ses promesses, relate un ancien député français au Parlement européen. Je pense par ailleurs que le non respect des référendums de 2005 sur la Constitution européenne en France et aux Pays-Bas pèse aujourd’hui dans le débat ». L’immigration semble être une autre donnée importante. En Italie, une manifestation déclamant « Stop invazione » a réuni près de 100 000 personnes en octobre dernier. En Autriche et aux Pays-Bas, les mouvements nationalistes louent le modèle suisse, qu’ils promettent de reproduire en cas d’accession au pouvoir. Dans ce pays européen qui n’a pas adhéré à l’Union européenne, des référendums visant à contrôler l’immigration ou à interdire les minarets ont été menés avec succès. C’est que la Suisse est également touchée par les flux de population extra-européenne. Dans l’UE, les étrangers sont officiellement au nombre de 72 millions, soit 20 millions de plus qu’aux états-Unis. Un chiffre qui ne tient pas compte des nombreuses naturalisations.
A Bruxelles, tout se passe comme si cette pression politique nouvelle était nulle et non avenue : lancement des négociations pour un traité aux vastes ramifications avec les états-Unis, dont le contenu est encore tenu secret, études régulières de la Commission appelant à augmenter le débit migratoire sur le continent… Quant au tout nouveau président de la Commission européenne, l’ancien Premier ministre du Luxembourg, Jean-Claude Juncker, n’avait-il pas déclaré à un quotidien anglais, en 2005, le matin même du référendum français sur la Constitution européenne : « Si c’est Oui, nous dirons : « Allons-y ! » ; si c’est Non, nous dirons : « On continue !« » ?…
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