L’affaire « Grammy » a paradoxalement relancé le débat sur la légalisation de la gestation pour autrui (GPA). Un arrêt de la Cour européenne des Droits de l’Homme à condamné la France pour avoir refusé de transcrire à l’état civil les actes d’enfants nés par mères porteuses à l’étranger. Les opposants à la GPA se mobilisent…
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Relayée dans les médias cet été, l’affaire a suscité l’émoi dans le monde entier. Pour la somme de 11 000 dollars, une jeune femme thaïlandaise, pauvre et déjà mère de deux enfants, avait accepté de porter l’enfant d’un couple australien, une pratique qui, comme en France, n’est pas autorisée en Australie. Cela n’empêche pas des centaines de couples de faire appel chaque année à des mères porteuses étrangères. Banal, donc. Ce qui a offert un retentissement médiatique considérable à cette affaire, c’est qu’il s’est avéré que Pattaramon Chanbua attendait des jumeaux dont l’un était trisomique et qu’elle a refusé l’avortement qu’on lui conseillait. Le couple australien est venu chercher la fille, bien portante, mais a laissé Grammy, le garçon trisomique, à sa mère porteuse.
Marchandisation de l’humain
Sordide, « l’affaire Grammy » a relancé le débat sur la gestation pour autrui (GPA), cette méthode de procréation par laquelle une femme, dite « mère porteuse », prend en charge le développement « in utero » d’un embryon avant de remettre l’enfant, à sa naissance, à ses « parents génétiques ». Une pratique qui soulève un certain nombre de questions quant à la filiation de l’enfant, à son équilibre psychique et psychologique, à son identité trouble qui l’oblige à distinguer mère génétique, mère porteuse et, éventuellement, mère légale. « L’affaire Grammy » a surtout jeté une lumière drue sur le cynisme absolu qui consiste à utiliser la détresse matérielle de certaines populations pour assouvir un « désir d’enfant », acheté à prix comptant. En Roumanie, en Ukraine, en Thaïlande, les rares enquêtes publiées sur le sujet dénoncent un scandale sanitaire et social : des femmes pauvres acceptent de louer leur utérus afin de satisfaire la demande de couples occidentaux fortunés.
Une marchandisation de l’humain parfaitement assumée dans des pays comme les états-Unis où des agences ayant pignon sur rue mettent en rapport des couples et des mères porteuses, moyennant plusieurs dizaines de milliers de dollars. Pour quelques milliers de dollars supplémentaires, un couple d’acheteurs peut même choisir le physique de la mère porteuse et la sélectionner en fonction de son quotient intellectuel ou de son groupe sanguin. La procédure est si bien organisée qu’elle attire de riches étrangers – qui y voient aussi le moyen de doter leur enfant d’un passeport américain –, mais elle est si chère que des couples américains font eux-mêmes appel à d’autres pays, notamment à l’Inde où des agences proposent un bébé pour la moitié du prix demandé aux états-Unis.
En France la GPA est interdite
De l’interdiction à l’autorisation ou à la tolérance, les législations varient d’un pays à l’autre. En France, comme dans 19 des 27 pays de l’Union européenne, la GPA est interdite : elle est contraire au principe de « l’indisponibilité du corps humain », ce dernier ne pouvant faire l’objet d’un contrat ou d’une convention. Elle n’est donc juridiquement pas une méthode de procréation mais une adoption illégale.
Cette position – l’interdiction – semblait faire consensus jusqu’au vote de la loi sur le mariage dit « pour tous » et les débats qui en ont découlé sur les techniques de procréation. Et pour cause. L’interdiction juridique de la GPA est la même pour les couples hétérosexuels ou homosexuels. Mais, si l’insémination artificielle était accordée aux couples de femmes, ou même aux femmes seules, comme il en fut question dans le projet de loi sur la famille de 2014, il serait difficile de refuser aux couples d’hommes d’avoir eux aussi recours à l’assistance médicale à la procréation. Et donc, dans leur cas, à la gestation pour autrui. Quid alors de l’identité d’un enfant né sous GPA et ainsi projeté à la fois dans une origine impossible et dans une filiation invraisemblable ? Comme l’avait vu ses détracteurs, le chambardement anthropologique du « mariage homosexuel » ouvrait la voie à des enjeux graves et potentiellement explosifs sur le plan social et éthique.
A l’époque, le gouvernement avait pourtant tranché la question en affirmant qu’il ne reviendrait pas sur cette interdiction. Du moins, officiellement. Car une circulaire de Christiane Taubira de janvier 2013, soumise aujourd’hui au Conseil d’état, est venue souligner l’ambigüité du pouvoir socialiste sur le sujet. Elle demande aux tribunaux d’assouplir les conditions de délivrance des certificats de nationalité française aux enfants nés à l’étranger de mères porteuses – qualifiés, dans la circulaire, de « petits fantômes de la République ».
Loin de durcir les sanctions contre ceux qui contreviennent à la loi comme le propose le député UMP Jean Leonetti, le gouvernement, au contraire, les encourage ! Selon différents organismes, ils seraient en effet une centaine de couples français à solliciter chaque année une GPA dans les pays qui l’autorisent. Or, à l’évidence, « si l’on souhaite s’opposer aux contrats de mères porteuses portant atteinte à la dignité humaine et au corps de la femme […] il convient de renforcer notre dispositif législatif de lutte contre cette pratique », explique l’élu des Alpes-Maritimes qui a annoncé son intention de déposer à l’Assemblée une proposition de loi en ce sens.
L’arrêt de la CEDH
La démarche de Jean Leonetti a cependant peu de chance d’aboutir. Surtout après la décision du gouvernement de ne pas faire appel d’un arrêt de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH), rendu en juin dernier, sommant la France de reconnaître la filiation de ces enfants. Pire, la ministre de la Famille, Laurence Rossignol, a estimé qu’il était « juste que les enfants nés de GPA bénéficient de la même sécurité juridique que les autres ». Or, si l’état reconnaît une telle filiation, il est évident que la pratique frauduleuse du recours à la GPA à l’étranger n’aurait plus aucune conséquence pour les fraudeurs et qu’il s’agirait alors d’une forme de légalisation, en douce, de la gestation pour autrui.
Ludovine de la Rochère, qui qualifie d’« hypocrite » la position du gouvernement, le déclarait récemment au Figaro : « Si les filiations des enfants issus de contrats de mères porteuses faites à l’étranger sont inscrites à l’état civil français, alors le marché des bébés devient efficace ». Une victoire pour les lobbies idéologiques et financiers qui militent pour la légalisation de la gestation pour autrui et qui ont déjà réussi à imposer dans le débat l’expression de GPA… « éthique » (voir ci-dessous).
Alertés par ce revirement gouvernemental, les opposants à la marchandisation de l’humain se mobilisent. La Manif pour tous a appelé à une grande manifestation contre la politique familiale du gouvernement et, particulièrement, contre la GPA, le 5 octobre, à Paris et à Bordeaux. Difficile, en effet, de ne pas établir un lien entre les coups répétés portés à la famille et le refus de la France de contester la décision rendue par la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Un marché de bébés pourrait s’ouvrir dans notre pays. Un marché qui, légalisé de fait, achèverait de détruire le modèle familial et ouvrirait la voie à toutes les dérives…
Lionel Jospin et Sylviane Agacinski
A gauche, la GPA ne fait pas l’unanimité
« Louer son ventre pour faire un enfant ou louer ses bras pour travailler à l’usine, quelle différence ? ». On se souvient du cynisme et de la suffisance avec lesquels Pierre Bergé, proche du pouvoir socialiste, avait exprimé son soutien à la GPA. Mais la question dépasse heureusement le clivage entre la droite et la gauche et oblige chacun à se situer sur une question aussi fondamentale. Dans une lettre ouverte à François Hollande, publiée par Libération en juillet dernier, une soixantaine de personnalités de gauche tels que Lionel Jospin, Jacques Delors ou Bernard Poignant demandaient ainsi au président de la République d’exprimer son opposition à « l’entrée en France des contrats de mères porteuses ».
Si ce rejet de la GPA est loin de faire l’unanimité dans les rangs de la majorité, le combat de gauche contre la marchandisation de l’humain est résumé par l’épouse de Lionel Jospin, la philosophe Sylviane Agacinski, dans son essai Le corps en miettes, paru en 2009 chez Flammarion : « Après l’aliénation des hommes dans le travail à la chaîne et leur exploitation économique, une forme inédite d’aliénation biologique s’installe dans la procréation artificielle. » La critique de la GPA sous le seul angle d’une lutte des classes revisitée est cependant insuffisante. On aimerait l’entendre complétée, avec autant de conviction, par les personnalités de droite les plus en vue…
Vous avez dit « éthique » ?
Face aux difficultés à défendre le système actuel qui fait de l’enfant un objet que l’on commande, que l’on produit et que l’on livre, les partisans de la GPA croient avoir trouvé la parade. L’idée a ainsi germé il y a quelques années (le think tank proche du parti socialiste Terra nova est particulièrement actif sur le sujet) d’une « GPA éthique ». Magie de la communication ! L’enjeu est de faire admettre une différence supposée entre une « bonne » et une « mauvaise » GPA. Une GPA « éthique » serait donc une GPA encadrée, légalisée et… gratuite. Une des figures de proue de la « GPA éthique », la sociologue Irène Théry, l’expliquait ainsi dans Philosophie magazine : « Une GPA inscrite dans le respect de normes légales, impliquant la présence des parents d’intention auprès de la gestatrice tout au long de la grossesse, qui soit fondé sur le don bien pensé, cadré par un accord préalable prévoyant les situations extrêmes, comme l’avortement. »
Dans une interview au magazine Elle, en mars dernier, une autre prêtresse de la « GPA éthique », Elisabeth Badinter, renchérissait : « Le processus serait bénévole. Ses frais de santé, le suivi de la grossesse, son arrêt de travail seraient pris en charge mais (la mère porteuse) n’en tirerait aucun bénéfice financier ». Dans un système aussi « vertueux », digne du monde des Bisounours, les candidates à la GPA – qui mettraient 9 mois de leur vie entre parenthèse – seraient donc uniquement motivées par l’altruisme. Soit. Mais en quoi la gratuité rend-elle une pratique « éthique » font remarquer les opposants à la GPA ? De même, en Grande-Bretagne où la loi prévoit un « dédommagement raisonnable », il n’est plus possible de trouver suffisamment de femmes pour porter des enfants. Et imagine-t-on une femme riche porter l’enfant d’une femme pauvre ? Pour la philosophe Sylviane Agacinski, la gratuité est une illusion : « La gestation autorisée sera forcément rémunérée, faisant du ventre des femmes un instrument de production ». De fait, par où qu’on prenne le problème, il demeure que la GPA fait du corps de la femme une usine de production et, de l’enfant, une simple marchandise.
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