Civilisation
Vauban pour toujours
1692, le duc de Savoie franchit le col de Vars, emporte Embrun, puis Gap. Louis XIV demande à Vauban de fortifier le Queyras.
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Voici cent dix ans, frappé par la séparation de l’Église et de l’État que mettait en œuvre le gouvernement français laïc et maçonnique, un romancier catholique anglais, Robert Hugh Benson, vit dans cet événement un signe précurseur de la Parousie. Partant de là, il imagina comment, en quelles circonstances, « la crise des derniers temps » pourrait se déployer. Le Maître de la Terre (Téqui, 420 p ; 15 €) paru en 1906, fut le résultat de ses réflexions.
Censée se dérouler vers 2020, l’intrigue racontait la survenue, surgi du néant, de Julian Felsenburgh, politicien américain charismatique qui, en quelques semaines, réussissait à fédérer toutes les nations de la planète et se faire proclamer chef suprême d’un gouvernement maçonnique mondial dont le premier souci était d’abolir le christianisme, au demeurant déjà réduit au rang d’opinion minoritaire et à peine toléré. Après la destruction de Rome où les derniers catholiques avaient cru trouver asile, Felsenburgh, l’Antéchrist, faisait vénérer l’Homme à la place de Dieu…
L’ennui de la politique-fiction est d’être rapidement décrédibilisée par des événements que l’auteur n’avait pas prévu. Benson n’y échappait pas. N’ayant vu venir ni la Première ni la Seconde Guerre mondiales, pas davantage la révolution russe, les accords du Latran ou le réveil de l’Islam, incapable d’extrapoler l’avenir des techniques, à commencer par les moyens de communication et de déplacement, moins encore la libération des mœurs et l’émancipation des femmes, Benson se bornait à projeter dans l’avenir les façons de son époque, en subodorant quelques progrès timides, tels ces dirigeables qui mettraient Londres à dix-sept heures de Rome … Autant dire que son roman a beaucoup vieilli. Alors, pourquoi le rééditer ?
Parce que, s’il se trompait sur le déroulement possible des événements, Benson se montrait clairvoyant s’agissant des causes et avait mis le doigt sur l’une des clefs de la compréhension de notre époque : le matérialisme triomphant, le refus de se soumettre à la loi et la morale naturelles. Dans ce contexte, il est remarquable qu’il mette au centre de son funeste XXIe siècle le libre accès à l’euthanasie, sommet de la compassion et de la liberté individuelle. Là seulement, Benson s’est montré bon prophète. Et il n’y a pas de quoi se réjouir.
L’on peut à bon droit soupçonner une filiation directe entre Le Maître de la Terre, resté célèbre dans le monde anglophone, et Père Elijah du romancier catholique canadien Michael O’Brien.
Il y a vingt ans, O’Brien publiait ce roman ambitieux, sous-titré, afin que les choses soient claires, « une apocalypse ». Il s’agissait, en effet, d’imaginer à quoi pourrait ressembler l’avènement de l’Antéchrist dans notre monde.
Père Elijah, ancien dirigeant juif israélien devenu moine catholique après la mort de sa femme et son enfant, devait, à la demande du Souverain Pontife, approcher le très charismatique Président d’une Union européenne dont la neuve puissance faisait la maîtresse du jeu politique international et sonder les intentions d’un homme aussi séduisant que dangereux. Très vite, face à des forces occultes et des dangers matériels, le religieux comprenait que le Président était un péril pour l’Église et l’humanité, peut-être même était-il l’Antéchrist. Aux dernières pages de ce gros livre que l’on dévorait, O’Brien abandonnait Elijah éclairé mais impuissant face au danger.
Vingt ans ont passé. Des événements sont intervenus qui écartent, dans l’immédiat, la possibilité de ce scénario « européen » de l’Apocalypse. D’autres se sont produits, rendant plausibles l’éventualité d’une crise majeure qui pourrait être, en effet, les prémisses de la Parousie. Raconter l’ultime confrontation d’Elijah, vieilli, traqué par toutes les polices du monde, et du Président près d’imposer son ordre mondial et sa religion universelle de l’Homme, n’est donc pas superflu (Père Elijah à Jérusalem, Salvator ; 272 p ; 22,90 €.).
L’on retrouve le moine, devenu évêque clandestin d’une catholicité salie par tous les moyens, en Israël, où le Président va révéler son Message universel. Bien des gens croiseront sa route, pour le meilleur et pour le pire, qu’il tentera de préparer à la bataille suprême ou d’arracher à leurs erreurs.
Si l’intrigue est relativement statique, se bornant ou presque à une galerie de portraits révélateurs des comportements contemporains, le message ne perd rien de sa force. Qu’il s’agisse des dérives de certains cardinaux, des attaques médiatiques contre un catholicisme vu comme un obstacle à l’épanouissement suprême de l’humanité, de la multiplication des martyrs, de la soif désespérée de jouissances illusoires, tout se met en place pour une conflagration dont nul ne saurait dire si elle sera la dernière, mais qui, d’avance, s’annonce dramatique.
Cependant, derrière ce scénario catastrophe, la leçon de foi et d’espérance reste, immense, et rappelle que, quoiqu’il arrive, l’Agneau a déjà et définitivement vaincu le prince de ce monde.