Un décret publié le 13 septembre modifie le code de la défense dans des termes qui ont ému certains experts: le ministre de la Défense reprend la « responsabilité de l’emploi des forces » au chef d’état- major des armées (CEMA) qui, désormais, est simplement prié de « l’assister » dans cette attribution. On se souvient comment Hervé Morin, placé à Brienne pour des raisons politiciennes, était régulièrement court-circuité par le tonitruant général Georgelin prenant ses ordres à l’Elysée (sans pour autant être capable d’y empêcher deux lourdes fautes : le « surge » des forces françaises en Afghanistan et leur retour dans l’OTAN).
Plus tôt, les années de cohabitation avait renforcé le lien entre le CEMA et le Président au détriment du gouvernement. Les tensions qui en résultaient entre les deux rives de la Seine auront agacé, elles constituaient de fait une anomalie perturbante et le nouveau décret ne traduit finalement qu’un arrangement « technique » entre l’actuel Président et un fidèle, le ministre de la Défense. Dans les faits, les choix ultimes en préparation comme en emploi resteront ceux des politiques, aux généraux qui les conseillent de bien le faire.
Pure coïncidence car c’est un autre sujet, ce même 13 septembre, le général Bentégeat, ancien CEMA de Chirac, s’inquiète, dans une tribune du Figaro, de la place des chefs militaires au sein du ministère. Personnalité respectée et écoutée, Bentégeat avait eu raison des lobbies d’armées, dont le corporatisme, confinant parfois à la félonie, minait la cohérence de notre défense. En les plaçant clairement aux ordres du CEMA, son décret de 2005 avait remis un ordre salutaire.
Mais l’antagonisme que voit le général Bentégeat entre les militaires garants de la préparation opérationnelle et les hauts fonctionnaires focalisés sur la gestion budgétaire est artificiel. Ces deux aspects sont étroitement liés pour les deux parties qui, au service d’une seule défense, sont capable de synthèse et de discernement. Si tel n’est pas le cas, ils ne sont pas à leur place et la question est ailleurs.
Agiter le spectre de la défiance à l’égard des officiers pourtant « élevés dans le culte de l’obéissance républicaine » (nous ne suivons pas Bentégeat dans cette vision réductrice de l’obéissance), inventer des antagonismes civils/ militaire est contre-productif. Il est des administrateurs civils courageux, vrais patriotes ayant le sens de l’Etat, comme des généraux prévaricateur, arrivistes ayant le seul sens de leurs intérêts. L’éviction prétendue des militaires de la gestion des ressources humaines ou financières n’est qu’une simplification fonctionnelle entre l’état-major des armées et le secrétariat général pour l’administration qui n’est préjudiciable à personne. Contrairement à ce que craint Bentégeat, les militaires peuvent,
comme naguère, « influer sur les choix majeurs des responsables politiques ». Il y faut de bonnes raisons, c’est fréquent, et du courage, ça l’est moins. Qu’on songe ici à nos succès au Mali, à l’impasse afghane, au retour dans l’OTAN.
En évoquant Napoléon et de Gaulle d’une part, Foch, Lyautey, Leclerc et de Lattre de l’autre, Bentégeat craint qu’un univers aseptisé d’officiers « recentré sur le cœur de métier » ne permettent plus de telles carrières. Qu’il se rassure, dans les circonstances exceptionnelles, les décrets et les organisations n’empêcheront jamais de grands soldats de s’emparer du pouvoir politique ou de conduire des campagnes glorieuses.
Photo : L’ancien chef d’Etat-major des armées, le Général Bentégeat.