Président de la Coordination rurale, deuxième syndicat agricole derrière la toute-puissante FNSEA, Bernard Lannes alerte sur la crise qui touche l’agriculture française. Il appelle de ses vœux à un protectionnisme européen afin de redonner de l’air à un secteur asphyxié par la concurrence mondiale.
Forte concurrence internationale, lourde fiscalité, contraignantes normes environnementales… Ce sont les arguments souvent avancés pour expliquer la mauvaise santé de l’agriculture française. Pour vous, quel est le mal principal qui la touche ?
Nous devons faire face à des coûts bien trop élevés de production pour le lait, la viande et maintenant les céréales. Ajoutez à ce problème la crise économique et l’absence de protection de notre secteur et vous obtenez une défaillance générale de l’agriculture française. Mais il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Avec la Coordination rurale, nous militons depuis plusieurs années pour une régulation au niveau européen. La question agricole n’est pas franco-française : nous sommes en concurrence avec des pays membres de l’Union européenne qui ont des coûts de production très inférieurs aux nôtres. Les Allemands, par exemple, pratiquent le dumping social – en faisant travailler sur leur sol des étrangers à bas salaires – et disposent d’une fiscalité avantageuse. C’est un ensemble de facteurs qui nous pénalisent.
L’agriculteur doit également faire avec les industriels de l’agroalimentaire et de la grande distribution…
Pour négocier le prix de vente d’une matière première, la partie se joue en effet à trois : agriculteurs, industrie agroalimentaire et grande distribution. Le problème n’est pas tant l’existence de cette dernière que le rapport de force qui découle de la concentration des grandes enseignes. Il n’y a que quatre centrales d’achats sur l’ensemble du territoire. Nous sommes donc en position de faiblesse lors des négociations. Cela dit, nous devons balayer devant notre porte ! En ce qui concerne l’agroalimentaire, nous devrions en principe pouvoir nous appuyer sur des coopératives puissantes. Hélas, elles ne jouent pas le jeu… Une entreprise comme Sodiaal, coopérative spécialisée dans le lait, n’est plus au service des agriculteurs.
Les coopératives, au sein desquelles les agriculteurs assurent en commun la commercialisation ou la transformation des produits, sont pourtant régulièrement présentées comme une voie d’avenir pour les petits exploitants agricoles français…
Certes, mais la FNSEA de Xavier Belin prône le développement d’une agriculture de type industrielle afin de « massifier l’offre » pour employer sa propre expression. Son modèle, ce sont des coopératives où l’agriculteur n’a plus son mot à dire et où il n’est plus qu’un fournisseur de matières premières à bas-prix. Comment voulez-vous que les agriculteurs s’y retrouvent ? Le pire, c’est, qu’en soi, le système de coopérative est une excellente idée ! Mais il n’est profitable aux agriculteurs qu’à partir du moment où ces coopératives leurs appartiennent directement et que les revenus générés ne vont pas dans d’autres poches que les leurs. Nous demandons simplement la possibilité de récupérer notre « part ». C’est ce que la Coordination rurale a expliqué à François Hollande quand il l’a reçue à l’Elysée, à la mi-février.
Un rendez-vous dont vous êtes sorti rassurés ?
Le président de la République a promis une baisse de dix points des cotisations sociales pour les entreprises agricoles. On sent que le gouvernement prend enfin conscience de la crise qui touche notre métier dont il n’avait, semble-t-il, pas imaginé l’effet domino négatif qui entraîne un à un tous les secteurs de l’agriculture dans la tourmente. Cependant, cette baisse de dix points profitera d’abord aux agriculteurs disposant déjà de revenus confortables, comme ceux de Champagne. Pour ceux qui sont dans des situations d’extrême difficulté, comme les éleveurs de porcs, cette mesure n’aura que peu d’impact. Le mal est plus profond ! Par ailleurs, je reste bien évidement conscient qu’il y a aussi un effet d’annonce : cette décision de François Hollande intervient fort à propos, à quelques jours du Salon de l’agriculture… Ce n’est certainement pas nous qui allons penser que c’est un hasard du calendrier.
Dans ces conditions, comment pouvez-être être rassuré par ce qui ressemble à une déclaration opportuniste ?
Elle va dans la bonne direction : celle d’une réforme fiscale d’ampleur. Tout le monde sait que les charges sociales sont un véritable handicap pour les entreprises françaises. En ce qui concerne les exploitations agricoles, l’urgence est telle qu’il faudrait mettre en place des mesures qui permettent, par exemple, de lisser leurs comptes entre les bonnes et les mauvaises années. Mais, encore une fois, les solutions ne pourront pas venir uniquement du gouvernement français. à l’échelon supérieur, nous souhaitons la mise en place d’une organisation agricole européenne avec un « protectionnisme éclairé » aux frontières qui ne nous laisse pas seuls face aux quatre vents du marché mondial. Il faut agir rapidement. La production agricole se déplace de plus en plus vers l’Est, dans les pays d’Europe centrale et orientale comme la Pologne. Si cette dynamique se confirme, la France ne disposera bientôt plus que d’une agriculture de niche. Surtout, elle perdra son autosuffisance alimentaire. Si rien n’est fait, notre pays va devoir importer !
Une des conséquences sociologiques de la crise agricole est la disparition progressive de la ruralité. Est-ce inéluctable ?
Lorsqu’un agriculteur dépose le bilan, sept emplois sont détruits dans le même temps. C’est donc tout un écosystème rural qui est mis à mal. Et ce phénomène ne touche pas uniquement les petits producteurs de montagnes ! Même les bastions agricoles comme le grand Ouest sont touchés. Dans cette région, on risque d’assister au déménagement total de la filière porcine vers l’Est. Les producteurs de porcs bretons, qui manifestent, n’ont pas compris que la concurrence hollandaise ou allemande va mécaniquement déplacer leur production en Alsace en raison de sa position de centre névralgique de l’Europe. Il faut se souvenir qu’à l’origine, cette filière florissante avait été montée en Bretagne par De Gaulle pour nourrir Paris ! L’ouest de la France va payer très cher cette délocalisation. Ce n’est qu’un exemple, mais il risque de se multiplier. Il faut que tous les acteurs en prennent conscience, l’agriculture française est en grand danger.