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Un nouveau Biafra au Nigeria ?

Afrique. L’Afrique noire ne cesse de connaître de tragiques soubresauts, répétition indéfinie des mêmes schémas. Quel est l’Africain qui aura le courage de dire la vérité de l’Afrique ?

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Un nouveau Biafra au Nigeria ?

Ce 26 mai 2018, ils sont quelques centaines à avoir osé braver l’interdiction de manifester. À Enugu, la capitale de l’État du même nom, on a sorti le drapeau tricolore aux bandes horizontales rouges, noires et vertes, ornées d’un soleil scintillant. Dans cette ville, tout rappelle encore une des plus importantes tragédies humanitaires du XXe siècle. C’est ici que 51 ans plus tôt, l’éphémère république du Biafra a été proclamée sous l’œil incrédule de la communauté internationale. Loin d’être éteintes, les braises d’un sécessionnisme couvent encore au Nigeria et menacent de déstabiliser cette république dont la puissance géopolitique repose principalement sur ses réserves d’or noir.

En septembre 2017, l’armée a lancé l’opération « Danse du Python II ». Officiellement, il s’agissait de simples manœuvres militaires ; officieusement, de mettre fin à un renouveau indépendantiste au sein de l’Igboland. Les affrontements sont violents ; le bilan des journées difficile à chiffrer en perte humaine. L’information est éludée par la presse française, peu de photos circulent sur cet événement loin d’être pourtant anodin dans cette partie de l’Afrique de l’Ouest et qui reste fort en symboles.

Une vieille histoire

Le Nigeria, vaste territoire trapézoïdal de 928 000 km2, est né dans les draps de la journaliste Flora Shaw, maîtresse (et future épouse) du gouverneur britannique Lord Frederick Lugard, à qui elle suggère de réunir sous un seul nom les territoires du bassin du Niger que se partagent 250 ethnies différentes. Ce sera chose faite en 1900. L’histoire de cet État ne va cesser dès lors d’être émaillée par d’incessants épisodes violents ethniques ou religieux alors que le continent vit ses premières phases de décolonisation. Lors de l’indépendance (1960), les principaux partis ethno-centristes – Igbos, Yoroubas et Haoussas – ne tardent pas à s’écharper tant sur les bancs du parlement que dans la rue. Dans une certaine confusion, l’armée intervient finalement dans la nuit du 14 au 15 janvier 1966. Chief Samuel Ladoke Akintola, le leader yorouba de l’Action Group est arrêté, torturé jusqu’à que mort s’ensuive. Le premier ministre (haoussa), Abubakar Tafawa Balewa, est achevé à la mitraillette après 25 minutes de résistance, de même que le fils du calife de Sokoto, Ahmadou Bello, premier ministre de la province du Nord, qui est promptement fusillé avec son épouse. Le major-général Johnson (igbo) Aguiyi-Ironsi, un temps menacé, finit par organiser un contre coup d’État et par s’emparer lui-même du pouvoir.

L’ordre martial ne permet pas de rétablir la sécurité sur le territoire de la République. Les massacres continuent. Des régiments composés exclusivement de militaires, issus du nord musulman et mécontents de la prise du pouvoir par Aguiyi-Ironsi, vont se déchaîner durant 10 jours sur tout ce qui ressemble de près ou de loin à des sudistes chrétiens. Le 5 juin, c’est plus de 3000 igbos que l’on retrouve, les corps coupés en deux dans la brousse. Le Nigeria sombre dans la terreur et connaît un nouveau putsch le soir du 29 juillet 1966. Le corps d’Aguiyi-Ironsi sera retrouvé dans la forêt. Le général Yakubu Gowon lui succède, refusant de faire du pays une confédération. C’est l’escalade.

Le 30 mai 1967, appuyé par les chefferies locales, l’ancien lieutenant des bérets bleus de l’ONU au Congo et gouverneur de la province de l’Est, Odumegwu Emeka Ojukwu, proclame l’indépendance du Biafra. L’Igboland se dote d’un drapeau, d’un hymne national et d’un gouvernement.

Le « Boss » du Biafra aujourd'hui disparu.

Le « Boss » du Biafra aujourd’hui disparu.

L’affaire ratée du Biafra

De guerre civile, le conflit deviendra vite international avec en fond de toile, un général de Gaulle tapi dans l’ombre, qui voit ici l’occasion d’affaiblir ce puissant pays africain qui regorge de pétrole mais qui a osé rompre ses liens diplomatiques avec Paris. Les réseaux de la Françafrique établis par le secrétaire général de l’Élysée aux affaires africaines et malgaches, Jacques Foccart, se mettent en action. La plupart des anciennes colonies françaises comme la Côte d’Ivoire ou le Gabon reconnaissent rapidement la jeune république qui a bien du mal à stopper l’avancée de l’armée fédérale qui encercle les séparatistes. La famine va bientôt sévir au Biafra, faisant des centaines de milliers de victimes parmi une population prise en otage à la fois par son propre gouvernement et par des luttes d’influence que se livrent les grands puissances occidentales sur fond de guerre froide. Sous couvert d’aide humanitaire – qui fera connaître médiatiquement un jeune médecin et futur ministre Bernard Kouchner –, l’Hexagone intervient et déclenche une grande opération de sensibilité auprès des Français. Photos d’enfants à l’allure cadavérique, reportages sur les atrocités de la guerre, les dons se multiplient, les Français se montrent généreux sans savoir que cet argent récolté va servir à l’acheminement d’armes via la Côte d’Ivoire, pour le président Biafrais qui, en outre, perçoit allègrement des dividendes de la société Elf.

Mais au bord du désastre, en dépit d’un renfort de mercenaires acheminés par Paris, acculé, Ojukuwu finit par signer un cessez-le-feu en janvier 1970. Le Biafra est réintégré dans la république fédérale, Ojukuwu s’exile à Abidjan en Côte d’Ivoire. Le pays va continuer à connaître une instabilité politique qui aboutira à plusieurs coups d’État militaires jusqu’au dernier en 1993. Avant que le Nigeria n’entame enfin un nouveau processus de démocratisation.

Mais alors comment expliquer ce regain de tensions séparatistes qui agitent l’ancien Biafra ? Avec la fin du conflit, le mouvement indépendantiste persiste mais a du mal à se faire entendre. Le sujet est quasiment tabou au Nigeria, les Igbos restent les victimes d’une stigmatisation permanente qui les prive des principaux postes de l’administration. Avec la création en 1999 du mouvement – non-violent – pour l’actualisation de l’État souverain du Biafra (MASSOB), puis d’une radio éponyme 10 ans plus tard, c’est un inconnu, Nnamdi Kanu, qui va sortir véritablement l’indépendantisme biafrais des livres d’histoire, n’hésitant pas à appeler violemment à la sécession : « Nous avons besoin d’armes et de balles. Si nous n’obtenons pas la création du Biafra, tout le monde devra mourir », affirme-t-il avant de devenir un martyr de sa cause pour ses partisans. 18 mois de prison sans jugement entre 2015 et 2017, Nnamdi Kanu a soudainement disparu depuis le raid opéré par l’armée sur sa résidence en octobre dernier. Clandestinité, mort suspecte, exil, nul ne sait ce qui est advenu, ces derniers mois, du « boss », celui qui se considère plus comme un leader spirituel que comme un chef rebelle. Depuis quelques semaines de véritables batailles rangées et éparses ont lieu dans le sud-est entre l’armée et les militants du mouvement indépendantiste pour les peuples indigènes du Biafra (IPOB), son parti qualifié ouvertement d’« organisation terroriste » par Abuja qui toutefois appelle au dialogue inter-ethnique « et rationnel ».

Le drame se noue au Biafra.

Toujours le drame

Le ressentiment entre les Igbos et le gouvernement fédéral s’est accentué depuis la mise en ligne d’une vidéo montrant les soldats loyalistes humilier des séparatistes en septembre 2017. Pire, des groupes rebelles, actifs dans le delta du Niger, ont appelé le président Mohammed Buhari à accepter l’inéluctable sécession en cours alors que le mouvement a reçu le soutien de Debe Odumegwu Ojukwu, le fils aîné du premier président biafrais – gracié en 1982, devenu sénateur et décédé à 78 ans en 2011. Bravade ou réalité d’une situation qui lui échappe, le gouvernement fédéral, qui n’entend pas perdre cette manne pétrolière, a décidé d’imposer le silence total sur les opérations en cours, interdisant aux journalistes étrangers de s’approcher de la zone des combats, tandis que des dissensions ont éclaté parmi les élites au pouvoir qui critiquent les décisions de gestion de crise du président Buhari : un ancien militaire qui avait pourtant participé à la guerre du Biafra au côté des loyalistes, et qui n’a toujours pas effectué de déplacement dans l’Igboland depuis son élection en 2015.

En Europe, on ignore tout de ce nouveau drame qui se joue dans la brousse de ce géant africain, lui-même déjà en proie aux exactions meurtrières perpétrées par la secte islamiste Boko Haram qui ravage actuellement tout le nord du pays. Pour ceux qui ont connu les affres de la guerre civile, parmi les plus anciens, ceux-ci ne souhaitent pas réellement que le Biafra retrouve une indépendance, fustigeant un mouvement devenu très mystique, qui manipule des jeunes au chômage et qui se considère désormais et étrangement comme une « tribu perdue d’Israël ».

Par Frédéric de Natal

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