Monde
« Nos dirigeants actuels invoquent souvent la révolution »
Un entretien avec Ludovic Greiling. Propos recueillis par courriel par Philippe Mesnard
Article consultable sur https://politiquemagazine.fr
L’impression fallacieuse d’un calme apaisé après 1918, troublé seulement par une guerre d’Espagne qui frappe les trois coups du nouveau conflit mondial, doit être revue : loin de cette paix universelle qu’espéraient certains, la période allant de 1919 à 1925 permet de tirer sur d’autres théâtres d’opérations les leçons de la Première Guerre mondiale. C’est tout le mérite de ce riche ouvrage dirigé par François Cochet que de nous en donner les éléments.
On sait, et François Cochet le rappelle, les ambiguïtés de 1919. Chez les vaincus, débris de l’empire des Habsbourg (Jean-Noël Grandhomme) ou République de Weimar (Sylvain Schirmann), on allait préparer la revanche contre les traités. Mais chez un vainqueur déçu comme l’Italie (Emmanuel Mattiato), la lutte pour Fiume ouvrait aussi la porte à la poussée fasciste. Olivier Dard suit pour sa part l’influence de la menace bolchevique dans l’Europe de l’entre-deux-guerres, aux implications variées.
Au-delà, Michaël Bourlet montre comment les quatorze points de Wilson n’ont pas empêché les interventions étatsuniennes dans cette Amérique latine qui avait vocation à être une chasse gardée (Panama, Nicaragua, Haïti..). Un néo-colonialisme plus prégnant encore dans un Moyen-Orient où, après l’effondrement de la Turquie, les accords Sykes-Picot répartissent les zones d’influence de la France et du Royaume-Uni. Julie d’Andurain évoque ainsi les interventions françaises en Syrie et la révolte du djebel druze, Philippe Chassaigne la manière dont les Britanniques agissent dans leur zone, posant dans les deux cas la question de ce droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, qui, dans la sphère britannique, culmine avec l’affaire d’Irlande et ses luttes sanglantes, du soulèvement de Pâques 1916 au traité de 1921.
Mais c’est avec la guerre du Rif (Julie d’Andurain) que se dessine le mieux l’usage des nouvelles formes de guerre : si la bataille d’Anoual est une catastrophe pour les Espagnols, lorsqu’en 1923 Abdelkrim attaque les tribus soumises aux Français, menaçant Fez, Pétain usera des chars de combat comme de l’aviation. Mieux, le débarquement franco-espagnol d’El Hoceïma tirera les leçons des échecs de la Grande Guerre et préfigurera les succès des opérations combinées de la Seconde Guerre mondiale.
Reste à François Cochet à évoquer la réflexion des militaires sur les apports de la Grande Guerre. Elle porte dans tous les pays sur la place des armes nouvelles, avec la question des blindés, de l’aviation ou des sous-marins, mais aussi sur le type d’armée souhaitable, de conscription ou professionnelle, et sur son volume. Mais l’on voit aussi dans tous les cas combien les choix stratégiques faits dans les États-majors furent dépendants dans leur réalisation pratique des contraintes budgétaires ou de la pression du pacifisme… Des débats sur les moyens nécessaires à nos forces pour remplir leurs missions qui sont encore les nôtres.