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Retour sur le trône ?

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Retour sur le trône ?

Depuis la proclamation de la République en 2008 et l’adoption d’une constitution fédérale et laïque, le Népal vit dans une permanente instabilité politique. Le 20 décembre dernier, pris en étau entre les monarchistes, qui ont multiplié les manifestations dans tout le pays afin de réclamer le retour du roi Gyanendra Shah, et les nombreuses dissensions internes qui ont considérablement miné la coalition communiste et marxiste-léniniste, le Premier ministre Khadga Prasad Sharma Oli, du Parti communiste du Népal (PCN), a pris la décision de dissoudre le parlement. Un geste qui a pris par surprise tous les partis politiques, plongeant le Népal dans un nouveau chaos dont l’issue incertaine est suivie de très près par ses deux principaux voisins : la Chine et l’Inde se livrent une véritable guerre d’influence dans cet État enclavé de l’Himalaya alors que les Népalais se préparent à voter en avril prochain. Une élection qui permettra peut-être à Gyanendra Shah de remonter sur son trône pour la troisième fois consécutive de son histoire.

Les marxistes-léninistes à la peine

Alors que la crise politique et constitutionnelle s’aggrave de semaines en semaines depuis la dissolution inattendue du parlement népalais, la Chine s’est dépêchée d’envoyer à Katmandou Guo Yezhou, son vice-ministre du département international du Parti communiste chinois (PCC) pour y jouer les médiateurs. À la veille des prochaines élections législatives anticipées prévues en avril prochain, Pékin a tenté vainement de réconcilier les maoïstes et les marxistes-léninistes afin de sauver l’unité du PCN au pouvoir, né de la fusion de deux mouvements en 2018. Les enjeux sont de taille pour les Chinois qui souhaitent sécuriser l’influence qu’ils exercent sur le Népal avec lequel ils ont conclu un traité de paix et d’amitié depuis 1960. Non sans avoir au préalable financé la rébellion marxiste dans sa lutte contre l’institution royale. Or c’est bien là que le bât blesse ! Une partie du gouvernement reproche au Premier ministre KP Sharma Oli de privilégier un peu trop les intérêts géostratégiques de la Chine. Face au géant asiatique qui l’a évincé de sa place de premier investisseur commercial du Népal, l’Inde frontalière entend bien profiter de cette crise et récupérer ce qu’elle a pourtant contribué à détruire en ne soutenant plus la monarchie du roi Gyanendra Shah. Un souverain redevenu subitement le joker de New Delhi.
Officiellement, la capitale indienne s’abstient de commenter les « affaires internes » du Népal, mais en coulisses les nationalistes du Bharatiya Janata Party (BJP) placent leurs pions. Un mois avant la crise, le gouvernement du Premier ministre indien Narendra Modi avait pris soin d’envoyer son chef d’état-major et son ministre des Affaires étrangères régler un contentieux territorial. Un succès, puisque la délégation indienne a obtenu que la portion revendiquée par New Delhi n’apparaisse plus sur les nouvelles cartes de la république du Népal. Tollé au sein des grands partis politiques locaux. Les relations entre les deux pays ont été souvent tendues, notamment dans les années 1950 quand l’Inde dut intervenir pour restaurer le roi Tribhuwan, victime du pouvoir oligarchique de la famille Rana, premiers ministres de père en fils. L’adoption d’une monarchie constitutionnelle avait finalement réussi à apaiser les désaccords avec l’Inde, qui n’avait pas caché son appui à l’opposition démocratique. Une ingérence mal vécue à cette époque et que craignent encore certains partis comme l’ultra-monarchiste Rastriya Prajatantra Party (RPP), conduit par Kamal Thapa (ancien vice premier ministre), qui oscille entre alliance et méfiance avec le BJP. Du côté des nationalistes indiens, les rendez-vous avec le roi Gyanendra Shah se sont multipliés au cours de ces dernières années. Il y a deux ans, il a même été reçu comme un chef d’État par le ministre en chef du gouvernement de l’Uttar Pradesh, Yogi Adityanat, idéologiquement proche du RPP. Des royalistes qui réclament que l’hindouisme redevienne religion d’État au grand dam des marxistes. Pour la coalition d’extrême-gauche, aucun doute possible, les récentes manifestations en faveur du retour de la monarchie sont pilotées de l’extérieur, par l’Inde qui a largement couvert l’événement. Le parti Shiva Sena a d’ailleurs reconnu travailler étroitement avec l’organisation des jeunes monarchistes, Bir Gorkhali. « Nous sommes pour le retour de la nation hindoue mais la question du monarque reste le choix des Népalais » affirme le porte-parole de ce mouvement indien d’extrême-droite.

Le roi, ultime recours ?

Reste encore une troisième force politique qui pourrait faire la différence. Celle du Congrès népalais (NC), premier parti d’opposition, ancien soutien de la monarchie qui a fini par s’en détourner lorsque que le roi Gyanendra Shah a mis en place le régime autoritaire qui a précipité le destin de sa dynastie. La question d’un retour de la monarchie divise ce parti qui se méfie du RPP. Encore plus depuis que celui-ci a réussi à unifier toute la mouvance monarchiste sous sa bannière il y a un an, est revenu brièvement aux affaires du pays entre 2015 et 2018 et menace sérieusement son électorat de droite. Les relations du Congrès népalais avec le PCC sont tout aussi tendues. Lors de sa visite, Guo Yezhou a reçu les représentants du NC qui, loin d’être dupes, ont décliné l’invitation officielle de Pékin à rencontrer le président Xi Jinping. Des négociations en parallèle qui ne sont pas sans inquiéter la branche rivale de KP Sharma Oli, menée par l’ancien chef rebelle et premier ministre Pushpa Kamal Dahal. Acculés, ils ont accusé publiquement l’actuel chef du gouvernement de comploter avec les royalistes et le Congrès népalais pour restaurer le roi Gyanendra Shah. Ce que KP Sharma Oli a démenti farouchement.
Quant à l’ancien monarque, il attend patiemment son heure Il a d’ailleurs multiplié les apparitions et les communiqués, relayés par la presse. « Il est grand temps que les népalais mesurent à quel point la politique actuelle mise en place au Népal est réellement honnête et favorable au peuple » a déclaré le souverain qui a entamé un tour du pays. « La politique doit être le moyen de servir le peuple et la nation et non travailler contre eux » affirme Gyanendra Shah qui a rappelé que son ancêtre Prithivî Nârâyan Shâh avait « uni le Népal sous des bénédictions divines, organisant avec courage un État unique ou chaque caste, langue et communauté culturelle avait apporté sa propre contribution unique à sa construction ». Au-dessus de la mêlée, la Chine se défend de tout soutien à un politicien ou parti en particulier. Pékin reste pourtant ouvert à toute permutation ou combinaison qui protégerait ses intérêts. Et peu importe qu’elle soit communiste ou royaliste, le Grand dragon rouge est désormais prêt à transiger afin de garder son emprise sur le Népal. Y compris remettre sur son trône le roi Gyanendra Bir Bikram Shah qui se pose en ultime recours.

Illustration : Gyanendra Bir Bikram Shah, dernier roi du Népal, en pèlerinage avec sa famille au Temple d’or d’Amritsar, en Inde.

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