Les attentats du 13 novembre ont ouvert les yeux de ceux qui refusaient encore de le voir : la France est engagée dans une guerre, à la fois intérieure et extérieure, contre l’État islamique. Reste une question : que faire ?
Les attentats du 13 novembre à Paris l’ont démontré : la France est désormais totalement impliquée dans la crise géopolitique provoquée par l’État islamique (EI). Plus encore, du fait de la présence d’une considérable population d’origine musulmane sur notre territoire, la paix civile et les structures mêmes de notre pays sont directement visées par cette forme nouvelle de terrorisme international.
L’EI n’est sans doute qu’un proto-état, mais il administre un territoire. Et il contrôle des terroristes à l’extérieur de ses frontières : comme l’affirme un rapport émanant des services du procureur général de la Confédération helvétique, récemment publié dans la presse suisse, certains des auteurs des attaques contre Paris venaient de Syrie. Ses moyens financiers, considérables, lui viennent du racket local, de la vente du pétrole, du trafic d’œuvres d’art. Son stock d’armes, d’origine irakienne, n’a rien à envier à celui des états voisins et le risque serait qu’il puisse un jour se doter d’armes chimiques. Le but de l’EI est d’établir un « califat », d’abord sur le Moyen-Orient puis élargi à l’ensemble des pays musulmans.
Certes, ses troupes ont subi récemment des revers sur le terrain, face aux forces kurdes et irakiennes en particulier. Mais il poursuit de toute évidence une double stratégie. Une stratégie offensive d’expansion territoriale, qui s’exerce actuellement en direction de la Libye et qui, à terme, vise l’Arabie saoudite, fragile et à la position ambiguë. Et une stratégie défensive, destinée à empêcher toute intervention extérieure sur son territoire. Cette dernière s’est d’abord traduite par une guerre « asymétrique », à l’origine de l’État islamique, menée par d’anciens militaires irakiens sunnites entrés en révolte après l’occupation américaine et britannique. Guerre victorieuse puisqu’elle a largement réussi à faire échouer les projets de Washington en Irak, la quasi-totalité des troupes américaines quittant le pays avant sa stabilisation politique.
Un terrorisme multiforme
Le terrorisme international est ensuite devenu l’autre forme de cette guerre « asymétrique ». L’attentat à la gare d’Atocha (190 morts), à Madrid, en 2004, a précipité la défaite électorale du conservateur Aznar… et le retrait des troupes espagnoles d’Irak. Quant aux attentats du 13 novembre à Paris, ils ont isolé la France au sein d’une Union européenne où beaucoup pensent que Paris aurait été mieux inspiré de ne pas aller bombarder les positions de l’EI. C’est précisément l’objectif recherché : faire pression sur Paris pour qu’il renonce à intervenir. à cela s’ajoute le fait que l’EI ne peut que tirer profit d’une sidération de l’Europe face à la crise des migrants et à la radicalisation de certains jeunes musulmans européens qui vont grossir les bataillons de Daech.
Ce terrorisme est donc multiforme : autochtone, il puise ses forces vives dans nos banlieues ; international, il pratique avec Daech un terrorisme d’« État flou » qui consiste à isoler les dirigeants des pays visés en terrorisant leurs opinions publiques, à dialectiser les différentes composantes de l’adversaire et à provoquer, par le cycle attentats-répression, des réactions de solidarité de certaines populations avec les terroristes.
Que faire ?
Face à l’État islamique, deux priorités doivent guider l’action de la France : la sécurité chez nous et la stabilisation du Proche-Orient, mais aussi de l’Afrique du Nord et du Sahel. Car c’est bien l’immense monde sunnite qui est en jeu et qu’il faut considérer dans son ensemble. La situation s’est tellement aggravée que l’attitude d’abstention prônée par certain – qui était sans doute la bonne en Irak en 2003 et l’eût été sans aucun doute en Libye en 2011 –, n’est plus suffisante face à l’EI.
Il s’agit donc de concentrer ses forces et de diviser celles des adversaires. Du point de vue français, l’urgence est à la recherche d’alliés. Force est de constater qu’actuellement nos intérêts stratégiques convergent avec ceux de la Russie et de l’égypte mais sont opposés à ceux de l’Arabie saoudite et de la Turquie et différents de ceux des États-Unis qui considèrent toujours que leurs adversaires principaux dans la région sont les Russes et les Iraniens.
Au Sahel, la France ne peut pas faire l’impasse sur une coopération avec l’Algérie, même si les relations sont complexes. Le danger serait de refaire l’erreur de la guerre froide en subsumant tout sous le conflit contre l’EI. Il y a des oppositions locales à exploiter, entre sunnites, ou à propos des Kurdes. La situation doit s’apprécier de façon rigoureusement objective.
Action extérieure et action intérieure
La nouveauté du conflit implique une coordination précise entre action extérieure et action intérieure. à l’extérieur, il faut se concentrer sur l’adversaire principal – qui n’est pas Assad ! – et diviser les autres. Premièrement : viser les ressources vulnérables de l’État islamique (transports de pétrole, trafics d’œuvres d’art, flux financiers internationaux). Deuxièmement : s’appuyer sur les éléments chiites de la région pour le refouler sur le terrain car les Kurdes refuseront d’intervenir au-delà des limites de leur territoire. De plus, ces derniers compliquent encore les relations de l’Occident avec la Turquie, puissance sunnite et de plus en plus « ottomane ».
A l’intérieur, une politique antiterroriste, dure mais chirurgicale, s’impose : elle doit éviter de solidariser les musulmans avec les extrémistes tout en intégrant les deux directions stratégiques, intérieure et extérieure. Dans l’immédiat, Paris peut agir sur des problèmes particuliers : cesser l’opposition systématique à Assad (discrètement, nous avons déjà commencé) ou réexaminer la question touarégue qui préexiste au problème islamiste au Mali.
Une politique d’équilibre
A plus long terme, quel pourrait être l’évolution de la situation ? On sait la volonté des états-Unis et de leurs alliés, en particulier l’Arabie saoudite, de créer un grand ensemble sunnite. En face, l’Iran, allié à la Russie, l’Irak et des groupes chiites comme le Hezbollah libanais, entendent constituer un ensemble chiite, géographiquement d’ailleurs beaucoup moins étendu que celui de leurs rivaux. En effet, les ambitions iraniennes sont régionales alors que le sunnisme s’étend de l’Atlantique à l’Asie centrale.
Viser à l’équilibre entre ces deux grands groupes est l’intérêt de la France, même si, comme c’est probable, les frontières héritées de la Première Guerre mondiale et de la fin de l’Empire ottoman ne survivent pas à la crise actuelle. En outre, avec l’aide de la Russie et de l’Égypte, le deuxième volet de cette stratégie différenciée viserait à permettre aux minorités religieuses – notamment chrétiennes, druzes, alaouites – de se maintenir le long de la Méditerranée, à portée d’intervention aéronavale, dans des états, comme le Liban ou la Syrie, encouragés à leur faire un sort correct. Quant aux États-Unis, ils continueront à garantir en dernier recours la sécurité d’Israël. Mais tant que Jérusalem n’aura pas accepté une solution étatique à la question palestinienne, toute tentative de reconstruction et de stabilisation du Moyen-Orient échouera tôt ou tard.
En ce qui concerne la menace déjà actuelle sur la Libye, qui grandit de jour en jour, la solution pour notre pays est la même qu’au Sahel : coopérer avec l’Égypte et les pays d’Afrique du Nord dont les dirigeants sont directement concernés par la menace islamiste. Le chemin sera long et difficile. Il implique de plus de revoir notre organisation de défense et de sécurité. En admettant enfin la notion si discutée d’un continuum sécurité-défense.