Le prix Nobel de la paix a été attribué début octobre à Malala Yousafzai, faisant de la jeune militante pakistanaise des « droits des femmes » le plus jeune lauréat de l’histoire de ce prix. Un prix Nobel qui apparaît une nouvelle fois comme une récompense fondée sur les critères du plus profond conformisme moral et intellectuel.
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Il semble que l’Occident entende programmer les futurs dirigeants de la planète. Ainsi, la toute jeune Malala Yousafzai, 17 ans, voit s’ouvrir devant elle une autoroute qui devrait la mener tout droit, à long terme, au plus flatteur statut culturel et aux plus hautes fonctions en son pays. Les journalistes lui prêtent cette prophétie présomptueuse – qu’elle n’a sans doute pas faite elle-même – : « Je deviendrai Premier ministre du Pakistan », qui exprime beaucoup plus leurs vœux que les siens. Comme si l’on conférait à l’avance le droit à la reconnaissance publique et au pouvoir symbolique ou politique y étant lié, et ce suivant les critères du plus profond conformisme moral et intellectuel de ce début de XXIe siècle. Comme si ce conformisme allait durer jusqu’au Jugement dernier. Et, enfin, comme si les personnes dont on trace ainsi d’une manière aussi téméraire qu’infatuée l’avenir, n’étaient pas elles-mêmes susceptibles de changer, moralement, intellectuellement… ou de disparaître prématurément.
Dissipons tout malentendu. Nous n’entendons pas dénigrer le combat méritoire de cette jeune personne, qui a bien failli perdre la vie, contre l’obscurantisme taliban. Ce qui, en l’occurrence, suscite l’irritation, est l’exploitation de cette vie mouvementée et périlleuse et des actes de courage qui l’émaillent par la bonne conscience de l’Occident. Celui-ci y trouve une occasion (parmi d’autres) de légitimer les idéaux-types et autres caractéristiques morales de sa décadence. Malala devient ainsi la justification et l’espoir de nos sociétés européennes et nord-américaines qui voient en elle, en sa jeunesse, le signe qu’elles détiennent la vérité, représentent les vraies valeurs de l’humanité, et qu’elles ont donc encore un avenir malgré les signes évidents de leur décrépitude et des risques de décomposition les menaçant au sein d’un monde qui marche au rebours de leurs idéaux fanés et de leurs utopies mortifères. La surabondance d’éloges, louanges et témoignages de reconnaissance au plus haut niveau politique et culturel qui croule sur cette jeune fille montre à quel point celle-ci est perçue comme une aubaine par et pour ceux qui l’encensent. Les naufragés occidentaux, à grands coups de rames, dirigent leur chaloupe vers le phare mallaléen dont la lumière troue leur nuit glaciale.
Malala incarne tous les combats occidentaux
La jeune Pachtoune incarne à la fois, en sa vulnérable personne de 17 ans, le combat pour l’émancipation des femmes, la cause des enfants des pays pauvres, la lutte du tiers-monde contre l’asservissement, la superstition et la misère, la croisade de l’instruction contre l’obscurantisme, la défense (et, à terme, le triomphe) des droits de l’homme (et de la femme, et de l’enfant, ô combien) et de la démocratie contre l’oppression politique et religieuse et autres formes de barbarie.
C’est beaucoup pour une adolescente. Mais précisément, sa prime jeunesse constitue peut-être le cœur palpitant de l’intérêt qu’elle présente dans nos sociétés occidentales de 2014. D’abord, parce que de la jeunesse dépend leur avenir, bien évidemment. Mais aussi parce que dévorées de gangrène égalitaire, minées par l’effondrement de toutes les autorités, sans hiérarchies entre les générations et alors que les opinions, les désirs et les répulsions et préjugés des enfants ont le même poids et ont droit à la même considération que les avis d’adultes expérimentés et instruits, une enfant finit par avoir le même ascendant qu’une personnalité d’âge mûr, et peut prétendre, moins de vingt ans après sa naissance, à la même consécration, voire au même pouvoir.
Et c’est ainsi que Malala, 17 ans, partage le prix Nobel avec Kailash Satyarthi, digne sexagénaire indien. Acquerrait-elle la nationalité française ou britannique qu’à n’en pas douter, elle deviendrait, à 22 ou 23 ans, ministre en France ou au Royaume-Uni, au mépris de toute raison (damant furieusement le pion aux Macron et autres Vallaud-Belkacem), et peut-être membre de l’Académie des sciences morales et politiques. Aux âmes bien nées, la valeur n’attend pas le nombre des années : le mot de Corneille est plus que jamais d’actualité. Sauf qu’à 17 ans, rien n’est encore joué, et qu’on n’a encore rien accompli. On n’accomplit, on n’achève que dans l’âge mûr. Il suffit d’ailleurs de se reporter aux étymologies respectives d’adolescent (adolescens : grandissant) et d’adulte (adultus : [qui a]grandi) pour le comprendre.
Prix Sakharov 2013, prix Nobel 2014, reçue par la reine d’Angleterre et autres chefs d’état ou de gouvernements encensée par la classe politique internationale, coauteur d’une autobiographie traduite et diffusée dans le monde entier, son portrait exposé à la National Gallery de Londres, suscitant la confection et la vente de tee-shirts à son effigie, à l’origine d’un « fonds Malala » de l’Unesco pour l’éducation, discourant et conférant en mondiovision à l’ONU et en Europe, la petite, ainsi surchargée d’honneurs, risque de vieillir avant l’âge. Mais elle représente l’avenir du monde, la fin de l’histoire grâce aux « lumières », à l’école – « avec des livres et un crayon, on peut changer le monde », clame-t-elle à l’admiration [obligatoire] générale –, et au triomphe planétaire de la démocratie libérale, conformément à la prédiction faite en 1992 par Fukuyama.
Conformisme ridicule
Ses valeurs morales totalement décapées, subverties, chamboulées, l’Occident, la tête à l’envers pour mieux être à l’endroit, croit trouver son avenir dans le moralisme spectaculaire, convivial et commercial le plus simpliste, le plus puéril et le plus caricatural, qui incite ses adultes à s’incliner bien bas devant des enfants censés porter ses plus hautes valeurs d’humanité et de civilisation. Enervé, épuisé, tourmenté, gangrené, il ne sait plus que faire pour se gargariser de son idéal droit-de-l’hommiste benêt et suranné, le seul qui lui reste et lui tient lieu de conscience.
L’exaltation vire au délire total et, à cet égard, la « malalamania » actuelle évoque l’ovation médiatique générale qui avait salué la victoire du transsexuel Conchita Wurst (ça ne s’invente pas) à l’Eurovision de la chanson, il y a quelques mois, triomphe considéré comme celui du droit à la différence et de la tolérance. Droit à la différence pour tous ceux qui pensent de la même manière, et croient en l’avènement d’un meilleur des mondes de clones moraux. Brassens critiquait « les honnêtes gens » dans ses chansons. Ces « honnêtes gens » étaient alors des petits bourgeois pétris de conventions et souvent catholiques pratiquants, abhorrant toutes les « différences » et les comportements « déviants ». La révolution culturelle des quarante-cinq dernières années a fait que les « honnêtes gens » d’aujourd’hui sont « jeunes », branchés, écolos, « tolérants », amis de toutes les « différences » pourvu qu’elles s’abolissent dans la plus parfaite uniformité éthique et culturelle.
En cela, l’attribution du prix Nobel de la paix à Malala Yousafzai consacre le triomphe du conformisme et de la bien-pensance d’aujourd’hui dans une de leurs éclatantes manifestations : le jeunisme.
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