Le consommateur d’informations internationales fut pris de stupeur. Tout se mélangeait en effet dans la présentation des évènements : des troupes de combattants hirsutes, aux mœurs barbares, venaient de l’emporter sur vingt années de formations des armées afghanes par les experts occidentaux. L’OTAN, les États-Unis, Hollywood, tout le concert de la puissance, et d’image et de feu, avait pourtant coalisé ses efforts pour parfaire la greffe démocratique libérale. Les meilleurs experts, les savants d’aéroports, les mercenaires, les humanitaires, les « journalistes féminines défiant le regard arriéré d’une bande de sauvages », tout était en place.
Pourtant cela n’a pas fonctionné. Le même échec, constamment renouvelé, scande l’actualité orientale avec une remarquable constance. Irak, Printemps Arabe, Syrie, Libye, Afghanistan, rien ne va. La même candeur, les mêmes reportages, les mêmes témoignages, la même émotion factice sont travaillés avec un savoir-faire éculé. Il suffisait de lire, au soir de l’envahissement désespéré de l’aéroport de Kaboul, les grandes déclarations sur l’avenir des filles et des femmes du pays par tout ce que la planète compte de bonnes consciences. Les mêmes n’avaient rien trouvé à redire des menées préparatoires entre Doha, les États-Unis, et quelques autres capitales, et dont aucun analyste sérieux ne doutait des conséquences.
L’idiote arrogance yankee
Il est possible de disserter sur des pages entières de ce nouveau « signe des temps » géopolitique. L’idiote arrogance yankee, les crimes du néo-conservatisme, l’aveuglement des capitales pour les situations diplomatiques locales – ici, singulièrement, le rôle malfaisant du Pakistan –, les laissés-pour-compte européens, le sort des interprètes, rien ne doit manquer à l’analyse. Elle aura ses singularités. Elle aura son originalité. Elle nécessitera évidemment de se souvenir du traumatisme des attentats du 11 septembre 2001. Elle aura surtout un aspect rébarbatif.
Déjà, les réseaux sociaux bruissent des aberrations économico-politiques tentées sur place. Les programmes inclusifs, le développement de la citoyenneté ouverte, les formules creuses d’une science politique d’opérette abreuvée de millions pour chercher sa validation sur un parc exotique. Cette folie dépensière n’est ni colonialiste, ni naïve. Elle n’est rien d’autre que la signature de la disparition de l’idée de nature humaine dans les sociétés occidentales. À vouloir imposer les névroses universitaires sur des communautés brimées par l’islamisme, l’Occident a sapé ses propres efforts et abreuvé la propagande de ceux qui avaient besoin de désigner nos amis comme des agents de l’étranger. Ces névroses sont au cœur des cancers de nos politiques étrangères : démocratisme idéologique, ignorance de la foi et de sa force, rupture avec le temps long, incapacité à comprendre des cultures et des civilisations qui ne soient pas nivelées par l’uniformisation mondialiste.
Il faut pleurer ces corps qui tombent des avions. Il faut souffrir avec les mères qui ont perdu leurs fils partis tenter l’aventure à l’aéroport de Kaboul. Il faut magnifier la mémoire de ceux qui ont encore suffisamment de cran pour donner leur vie là-bas. Notre nature nous le commande. Elle commande également de dénoncer avec les termes les plus crus l’aveuglement assassin de ceux qui brandissent les mêmes mirages à Bagdad, à Beyrouth ou à Damas. Cela fait deux décennies que toutes les incursions de l’Occident à l’Est de la Méditerranée se soldent par des désastres. Cela ne peut pas nous laisser tranquilles.