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Mercosur, le libre-échange en question

Les échanges entre l’Amérique du Sud et l’Europe sont profondément déséquilibrés selon les biens échangés et les pays qui échangent. Les Allemands y ont tout intérêt, les Français pas du tout. Mais l’idéologie libre-échangiste prévaut à la Commission alors que la pertinence économique du libre-échange est historiquement faible et géopolitiquement inexistante. Ça n’arrêtera pas Ursula.

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Mercosur, le libre-échange en question

Madame von der Leyen est donc partie signer l’accord du Mercosur en Amérique Latine, signifiant par là que c’est elle et la Commission qui ont la main sur le commerce extérieur de la France. « Cela marque le début d’une nouvelle histoire », s’est-elle félicitée : ou bien la fin d’une ancienne?

L’image de ce voyage est déplorable, elle relève de la provocation et d’un invraisemblable culot, à l’heure où une puissante jacquerie se profile en France. On entend déjà la bourgeoisie macronienne s’offusquer des conséquences sur l’ordre public, dont les ingrédients sont les palettes, les pneus, le fumier et le lisier, en attendant pire, qui n’est pas exclu si j’en crois ce que m’en disent les agriculteurs que je rencontre dans ma province.

La France et les pays européens ont remis à la Commission ce pouvoir par les traités européens. La France a répondu à von der Leyen en estimant que cette annonce de la Commission européenne « n’engage[ait] qu’elle ». Ce n’est pas exact, on l’avait déjà observé lorsque la présidente de la Commission s’était rendue en Chine aux côtés de Macron pour piloter les accords commerciaux. Nous sommes dans un cas de servitude volontaire tel qu’Etienne de la Boétie s’en étonnait au XVIe siècle : « Comment il peut se faire que tant d’hommes, tant de bourgs, tant de villes, tant de nations endurent quelquefois un tyran seul, qui n’a de puissance que celle qu’ils lui donnent »? Car il s’agit bien de tyrannie puisque, comme chacun le sait, von der Leyen n’est pas élue. On ne saurait minimiser la haine qu’elle concentre déjà sur sa personne car pour certains agriculteurs il s’agit d’une question de vie ou de mort.

L’Allemagne à la manœuvre

Malgré ses difficultés actuelles, ou à cause d’elles, l’Allemagne, elle, a intérêt à ces accords et s’en félicite. La démonstration étant ainsi faite qu’il n’y a pas d’Europe unie, du moins sur le plan du commerce extérieur, et que cette désunion renvoie à des structures industrielles et agricoles différentes, démontrant le contresens de l’intégration. Selon les données de la Commission européenne, les exportations de l’UE vers les quatre pays du Mercosur ne s’élevaient qu’à 55,7 milliards d’euros en 2023. La même année, les exportations vers les États-Unis étaient neuf fois plus importantes, avec 502 milliards d’euros. Après 25 ans de négociations, l’accord de libre-échange (ALE) entre l’UE et le Mercosur ne fait toujours pas l’unanimité parmi les États membres. Comment d’ailleurs 27 pays pourraient-ils s’entendre tant les conditions de productions sont différentes? En 2023, les produits alimentaires et les animaux vivants (32,4 % du total des exportations) ainsi que les produits minéraux (29,6 %) représentaient la majeure partie des exportations du Mercosur vers l’UE. Les droits de douane sur les voitures et les pièces détachées à destination du Mercosur sont actuellement de 35 %. Les machines sont soumises à des taxes de 14 à 20 % et les produits chimiques à des droits de douane de 18 %. Toujours selon la Commission européenne, les exportations allemandes vers le Mercosur représentent 15,4 milliards d’euros par an, provenant de 12 000 entreprises allemandes et garantissant 244 000 emplois dans la plus grande économie d’Europe. L’accord renforcera l’industrie automobile allemande, en grande difficulté ainsi que les entreprises chimiques allemandes.

Menaces de mort pour les agriculteurs

Après la question énergétique, où l’Allemagne joua contre la France, il apparaît clairement qu’elle continue de privilégier ses intérêts propres au détriment de l’économie française; et condamne à mort son agriculture. Le Mercosur permettrait aux pays sud-américains d’exporter 99 000 tonnes de bœuf supplémentaires vers l’UE, avec un droit de douane de 7,5 %, qui s’ajouteraient aux 200 000 tonnes actuelles. L’accord prévoit par ailleurs que 180 000 tonnes supplémentaires de volaille seront exemptées de droits de douane, ainsi que 45 000 tonnes de miel, 60 000 tonnes de riz et 180 000 tonnes de sucre. Mais les agriculteurs de l’UE sont en effet soumis à des coûts plus élevés en raison des normes européennes strictes en matière de sécurité alimentaire, de bien-être des animaux et d’environnement et de salaires plus élevés que ceux des agriculteurs du Sud. Donc c’est la double peine infligée par l’UE, des importations dumping et des normes enchérissant les coûts agricoles français, normes dont on s’aperçoit d’ailleurs que la France les applique avec une rigueur bien supérieure à l’Allemagne.

Un peu d’histoire du protectionnisme

Le cas d’une libéralisation des échanges qui tue l’agriculture a un précédent. Après les guerres napoléoniennes, les propriétaires fonciers obtiennent le vote des Corn Laws dès 1815 : le blé étranger ne peut entrer dans le pays qu’à condition que son prix ne concurrence pas celui du blé britannique. En 1846, Robert Peel abolit les droits sur les céréales et sur plus de 700 articles et consacre l’entrée du Royaume-Uni dans une économie de libre-échange. Les blés russes envahissent le marché anglais et condamnent l’agriculture anglaise qui demeurera ultra-minoritaire dans le PIB anglais jusqu’à nos jours. Les partisans anglais du libre-échange espéraient que l’ouverture du marché britannique convaincraient les Européens des bienfaits du libre-échange. Mais le 11 janvier 1892, Méline, ministre français de l’agriculture, fait voter la loi protectionniste sur les blés. Elle s’inscrit dans un mouvement entamé dès la fin des années 1870. La date de 1879 est généralement avancée comme jalon du « retour au protectionnisme ». En Allemagne, la coalition « du seigle et de l’acier », c’est-à-dire le rassemblement des intérêts agrariens et industriels, obtient alors de Bismarck un durcissement de la politique commerciale pour faire face à une concurrence accrue des pays neufs… On remarquera néanmoins que cette période fut pour les deux pays une période de forte croissance et un développement de la première mondialisation commerciale dans un contexte protectionniste.

Le mantra libre-échangiste

Mais ce qu’il faut souligner surtout c’est que le mantra libre-échangiste n’est pas une religion. Les États-Unis demeurèrent protectionnistes après la guerre civile (1865) au moins jusqu’en 1945 et leur prodigieuse croissance se fit dans un contexte protectionniste hérité des Yankees vainqueurs de la Guerre de Sécession et attachés à défendre leur industrie naissante contre l’industrie dominante de l’Angleterre. Aujourd’hui, avec le retour du protectionnisme, déjà sous Biden et plus encore Trump, les États-Unis renouent avec leur tradition. Ainsi le GATT (General Agreement on Tariffs and Trade) signé en 1947 apparaît-il, avec le recul, comme une parenthèse. Quant à la croissance dite des Trente Glorieuses, en France, elle se fit dans un contexte largement protectionniste.

En conclusion, on ne saurait faire du protectionnisme un fléau et du libre-échange une bénédiction. C’est, politique d’abord, le contexte qui les justifie : lorsque la Grande-Bretagne agissait dans le sens libre-échangiste, elle le faisait grâce à son avance industrielle. Dans le cas européen, le laisser-faire laissez-passer ne devrait pas passer, pour des raisons politiques et sociales évidentes. À moins que certains ne veuillent sciemment la mort de l’agriculture française, ce qui serait beaucoup plus dramatique que le cas anglais dont on sait que la surface agricole utile et les aptitudes pédologiques et climatiques étaient modestes. Dans le cas de la France, ce serait une perte gigantesque pour elle, pour l’Europe et pour la planète entière.

 

Illustration : Un coq espagnol, lors d’une manifestation d’agriculteurs à Madrid. Suffira-t-il de distribuer l’aumône des subventions pour tenir les paysans en laisse ?

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