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L’Occident n’est plus

Une partie des intellectuels français trahit notre pays depuis plus d’un siècle, du communisme au wokisme en passant par tous les courants de la gauche.

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L’Occident n’est plus

Même si certains se repentent, tous ces intellectuels autrefois de gauche, désormais réactionnaires ou conservateurs, ont rejoint le camp des prétendus fascistes : le qualificatif de “fasciste” a pris une extension tellement considérable qu’au final il désigne tous ceux qui ne se résignent pas à la chute de notre civilisation, ce qui commence à faire beaucoup de monde !

Qu’est-ce que le monde occidental ?

Grosso modo, c’est le monde qui a fait la synthèse de Jérusalem, d’Athènes et de Rome. Le discours de Vladimir Poutine à l’occasion de l’annexion des régions orientales de l’Ukraine a été moins géopolitique que culturel, sa violente diatribe contre l’Occident est d’ordre civilisationnel. Qu’est-ce que donc, alors, que l’Occident ? Le mot est équivoque car, dans son extension maximale, il désigne aussi la Russie et les États-Unis. Mais ces deux pays affichent des « destinées manifestes » divergentes, calviniste pour les États-Unis et orthodoxe et slavophile pour la Russie : tout cela est bien issu la matrice chrétienne. L’Europe, coincée entre ces deux messianismes, refuse dans ses institutions ses racines chrétiennes et se divise entre l’Est et l’Ouest, entre illibéralisme et libertarisme des mœurs. L’Est refuse l’idéologie des droits illimités mais ne rêve que de la protection militaire des États-Unis. L’Europe de l’Ouest ne sait plus où elle est et ne s’aime plus, ne se connaît plus. La France, quant à elle, se cramponne à un messianisme républicain d’une très grande pauvreté intellectuelle, qui a éteint tous ses feux depuis longtemps.

Genèse d’un déclin total

La guerre en Ukraine joue, comme toutes les guerres, le rôle d’accélérateur de l’histoire et fait apparaître en pleine lumière l’irrésistible basculement économique et géopolitique du monde et sa désoccidentalisation, comme nous l’écrivions dans Politique magazine en juin dernier. L’Europe n’a plus les ressources qui firent sa domination industrielle, elle est devenue dépendante de l’énergie et grand importateur en dollars (mais où est donc passé l’euro ?).

Elle a été la dupe de la mondialisation qu’elle a appelée de ses vœux, elle s’est aveuglée et n’a pas vu que, derrière la « mondialisation heureuse » annonçant la fin de l’histoire (Fukuyama) se déployait le choc des civilisations (Huntington). Surtout quand cette mondialisation est d’abord une américanisation très temporaire du monde, la vassalisation de l’Europe s’aggravant.

Démunie en termes de rapport de forces matérielles, l’Europe – l’est aussi « moralement », elle a renié les valeurs sur lesquelles elle avait construit son ancienne hégémonie. L’effort, la science, la curiosité scientifique, l’école de l’excellence et du mérite, le respect des libertés et de l’opinion, les valeurs chrétiennes, même laïcisées, demeuraient opérantes, car la science et l’économie n’ont pu se développer qu’à la mesure du libre arbitre qui est le propre du christianisme.

L’UE veut aujourd’hui continuer d’imposer son hégémonie, mais sur des antivaleurs, souvent passées à la moulinette du made in USA : offensive LGBT, wokisme, racialisme, indigénisme, décolonialisme, inclusivité, autant de lubies idéologiques que la partie orientale de l’Europe veut refuser et que l’UE veut lui imposer par le prétendu état de droit et le honteux chantage à la subvention. C’est une hégémonie de la décomposition ! Il y a quelques analogies saisissantes à faire entre Gibbon (Histoire du déclin et de la chute de l’empire romain) et aujourd’hui : les esclaves barbares préférés à la plèbe de la capitale, gratifiée du pain et des jeux, c’est l’ubérisation des immigrés et le football, le RSA…

Et puis il y a ce que les Grecs appelèrent l’oliganthropie, le petit nombre des hommes, l’infécondité européenne (1,4 enfant par femme), tandis que le coucou migrant pond ses œufs dans le nid de la fauvette qui le nourrit avec des allocations en tout genre. Non seulement il y a grand remplacement mais nous le finançons !

Géopolitique et géoéconomie, les illusions de la puissance

Civilisation d’exception, l’Occident a commencé à avoir peur de lui-même en 1945, oubliant que les horreurs de la guerre sont le propre de tous les peuples, même les guerres techniciennes et utilitaristes. Ayant mis l’accent sur l’économie, de Trente glorieuses en Trente piteuses, l’Occident ne se considère plus porteur d’un message destiné aux autres civilisations. Pire encore, il entend se fondre parmi les autres peuples par la mondialisation.

Son état-providence et la norme européenne lui ont fait changer de paradigme, il a perdu son esprit créatif. Quelles grandes inventions industrielles depuis Maastricht ? Des réglementations ultra-normatives qui s’imposent aux peuples d’Europe contre sa volonté, voilà désormais l’inventivité européenne ! L’UE berce d’illusions les Européens sur leur puissance, et leur masque leur déclin industriel et leurs échecs militaires et diplomatiques, auxquels viennent s’ajouter les crises à répétition dont la fréquence augmente sans cesse et traduit le déclassement occidental face à la montée des BRICS.

Le piège de Thucydide

Pour l’heure, la Russie a choisi, poussée largement par l’État profond américain, le camp des puissances montantes et, donc, le camp anti-occidental. Néanmoins, celui-ci ne représente pas une idéologie commune. Qu’y a-t-il de commun entre la Russie, l’Inde, l’Iran et la Chine, hormis le rejet de l’Occident ? … Mais cette adhésion se fait en termes de rapports de force, elle se fonde sur le rejet de la mondialisation en ce qu’elle est américaine. L’histoire est déjà écrite en termes de puissance économique. Les BRICS (sans compter ceux qui pourraient les rejoindre, tentés par une sortie de l’hégémonie du dollar) pèsent 45 % de la population de la planète, près du quart de sa richesse et les deux tiers de sa croissance. Mais une guerre peut en cacher une autre, et l’on peut s’interroger sur l’acharnement de l’État profond américain à combattre la Russie. C’est, potentiellement, le piège de Thucydide qui est pertinent. Ce concept polémologique théorisé par Graham Allison (*) fait référence à la Guerre du Péloponnèse, Sparte contre Athènes, causée, selon lui, par la perception de la montée en puissance de la Cité-État rivale. Dans cette guerre, l’île de Mélos qui voulut rester neutre fut anéantie par Athènes. Allison considère que les États-Unis et la Chine, du fait du développement de cette dernière, sont engagés dans une concurrence qui les mènera presque inéluctablement à se mesurer militairement. Que fera alors la Russie ? L’état profond américain, anticipant son affrontement avec la Chine, veut peut-être la priver d’un allié potentiel.

Les paradoxes du libéralisme

L’Europe et la France ont été piégées par la mondialisation. Notre génération a combattu le communisme et s’est félicitée de sa chute en 1991. Mais nous vivons un immense paradoxe. D’aucuns, à la suite de Fukuyama, ont voulu croire à la fin de l’histoire. Nous allions désormais nous livrer au doux commerce en remplaçant le gouvernement des hommes par l’administration de choses (Saint-Simon). Énorme erreur ! L’histoire, qui est toujours tragique, est revenue avec les guerres en Irak, en Syrie, en Serbie, où l’OTAN bombarda Belgrade pendant trois semaines, aux États-Unis avec le World Trade Center, puis en Libye, etc. Erreur géopolitique mais aussi erreur économique. Nous avons cru que le libéralisme, le libre-échange, la concurrence allait nous apporter le bonheur consumériste et une économie libre et décentralisée : nous avons récolté les GAFAM, le fonds BlackRock (son bilan égale la somme des PIB de l’Italie, de la France et de l’Allemagne), nous avons changé un Big Brother communiste contre un Big Brother libéral. Avec la financiarisation de l’économie et l’enterrement du capitalisme rhénan, anti-spéculatif, où le retour sur investissement était lent, voilà venu le capitalisme qui écrase les États ! Cette finance mondialisée semble résister à toutes les crises et échappe à la baisse tendancielle des profits dont Marx avait fait la cause de sa chute possible et, ivre de sa puissance et de sa richesse, elle se comporte de façon totalitaire. Sortie par la porte, la tyrannie revient par la fenêtre et nous fait du Big Brother mâtiné de Meilleur des Mondes appuyés sur la « davocratie », car cette tyrannie a besoin, pour durer, du contrôle social.

Vers un communisme de marché

La première tentative de contrôle social fut le passe sanitaire, il a partiellement échoué eu égard à la résistance relative des peuples. Mais il revient sous la forme monétaire. En quelques mots : les banques commerciales étant en grande difficulté à cause des taux négatifs, les banques centrales (dont la BCE, en violation des traités) rachetaient les actifs des banques, provoquant l’inflation. Pour se sortir de cette impasse, les banques centrales vont progressivement imposer une monnaie numérique qui fera, à terme, disparaître l’argent liquide. Pour la première fois dans l’histoire, la monnaie est en passe de quitter la réalité physique. Et la monnaie numérique, c’est beaucoup mieux que le passe sanitaire, les autorités monétaires pourront plafonner par exemple les déplacements par un quota de dépense d’essence, tout ça au nom de la morale (sobriété) et surtout la nouvelle religion écolo-punitive. Beaucoup mieux que le passe sanitaire, la monnaie numérique de banque centrale peut exercer un contrôle social à la chinoise sur toute la population. Et voilà comment, la numérisation, la finance, les grandes entreprises et leurs agents, les politiciens, nous préparent un communisme de marché, un comble ! « Vous ne posséderez rien et vous serez heureux ! », proclame Klaus Schwab, le patron de Davos.

Tout ceci est possible mais n’est pas certain. La désoccidentalisation du monde se lit dans l’affaiblissement continu des États-Unis et de leurs alliés. G8, G7 et G20 s’enchaînent sans effet, comme les COP, qui ne servent qu’à exaspérer les BRICS et l’Afrique. Ainsi nous parle-t-on beaucoup du monde de demain sur un mode quelque peu naïf, mais ce monde de demain ne sera pas la partition que l’orchestre médiatique entend jouer. Il sera à la fois le même, parce que l’histoire est toujours tragique et l’humanité toujours égale à elle-même, mais aussi très différent de ce qu’imaginent les tenants fatigués du progressisme, avec la fin du multilatéralisme et le retour des nations. 

 

(*) Graham Allison, Vers la guerre. La Chine et l’Amérique dans le piège de Thucydide ? Odile Jacob, 2019.

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