À Baalbeck, les touristes commençent à revenir. Ils avalent le Mont Liban comme ils ingurgitent les « maneesh » à la sortie d’Héliopolis – ceux faits à l’ancienne, avec la pâte qui colle aux parois du four bombé – et arrivent repus du trajet aux abords de la ville.
Souvent, les yeux se dessillent après quelques kilomètres plus avant. À l’occident des voyageurs, les frontons et le temple surgissent, somptueux, énormes. Qui a visité une fois l’acropole n’en a pas cru ses yeux. L’ensemble est presque écrasant, justifiant pour une fois les appels à l’imagination de nos anciens professeurs d’humanités.
Trop de conducteurs font l’erreur de pousser jusqu’à l’évêché grec catholique qui signale le rétrécissement des rues. Il est préférable de se garer au niveau du rond-point, entre les soldats, loin d’être aussi effrayés que le site du ministère des Affaires étrangères le prétend. Ou alors, il faut avoir rendez-vous avec Mgr Elias Rahal, évêque du lieu, qui surveille ses ouailles avec l’espièglerie d’un sage, renouvelant chaque année son rappel : il aurait dépassé la limite d’âge depuis bien trop longtemps pour que l’évêque ne changeât pas dans les mois à venir.
Si c’est votre cas, suivez-le jusqu’à son petit oratoire et priez avec lui. Après tout, vous serez chez Bacchus dans moins d’une heure et cette pause pieuse offre une manière d’ablution ou de repentir, en fonction des prévisions.
J’aime la froideur de la Bekaa l’hiver. J’aurais aimé que les amis qui m’accompagnaient vissent les vestiges de la Cité du soleil sous la neige. Mais nous n’eûmes que les averses, incessantes. Et même un peu d’attente au moment de passer la casemate des billets, où l’on vend des tickets, de mauvais keffiehs, des parapluies et des chandails du Hezbollah.
Un réservoir de pillage
Les historiens racontent que la ville avait la réputation de centre névralgique de la haine des chrétiens. Les païens ne voulaient pas d’autre dieu que les leurs. Ils évoquent aussi les dégâts de l’iconoclasme de certains maîtres des lieux, chrétiens ou musulmans. Sans doute publieront-ils demain la joie de voir les dernières colonnes de l’ancien temple de Jupiter enfin délivrées de leurs échafaudages. Les constructions métalliques évoquaient trop ces immeubles infiniment en construction des villes levantines. L’Européen déambule, incrédule devant l’immense réservoir de pillage et de nouveaux agencements que les Romains offrirent à leurs successeurs. Toutes les civilisations y puisèrent, et d’autres le feront.
Deux ou trois jours après ce nouveau passage, Donald Trump donnait l’ordre d’assassiner Qassem Soleimaini qui avait eu l’inobligeance de séjourner au Levant en même temps que nous. Il fallait voir les visages au matin de son élimination. Avocats, banquiers et hommes de bien partageaient tous l’opinion du changement d’une époque au Proche et au Moyen-Orient. Pour le moment, ils eurent tort, et le tournant annoncé ne se produit pas. Le drapeau d’Hussein flotte à Qom et les missiles d’Oncle Sam patientent. À Dieu ne plaise.
En France, le concert des imprécations retentit. Celui-ci, incapable de s’astreindre à la moindre discipline personnelle, évoque en larmoyant la pureté du pays de la révolution islamique de 1979. Cet autre, prônant habituellement l’amour entre les peuples, décrit les Perses comme autant de pourceaux et de fanatiques. Peut-on rêver une politique harmonieuse là où tout n’est qu’enragements ?
J’oubliais. C’est Guillaume II, l’infâme Guillaume II, qui fit beaucoup pour la redécouverte et la valorisation de Baalbeck. Le même Guillaume II dont Henri Bergson écrirait que les enfants avaient « la brutalité et le cynisme de l’Allemagne, dans son mépris de toute justice et de toute vérité, une régression à l’état sauvage » après le bombardement inique de la cathédrale de Reims. Préférait-il les temples latins de la question d’Orient ?
Quatre collaborateurs de SOS chrétiens d’Orient ont eté enlevés à bagdad le 20 janvier. nous tenons à témoigner de notre vive émotion et exprimer notre solidarité au président de la courageuse association. PM