Le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM) est devenu la principale force djihadiste du Sahel. Sous le commandement du touareg Iyad Ag Ghaly, il incarne aujourd’hui la mutation du terrorisme sahélien : plus enraciné, plus politique et infiniment plus durable, ce mouvement pourrait établir le premier califat islamique dans le Sahel.
Le 7 novembre 2025, l’ambassade de France au Mali a émis un communiqué particulièrement alarmiste à l’attention de ses expatriés, leur recommandant « de prévoir un départ temporaire du Mali dès que possible par les vols commerciaux encore disponibles ». Depuis plusieurs semaines, la situation sécuritaire du pays s’est sérieusement dégradée laissant craindre une prise de la capitale par les djihadistes du Jama’at Nusrat al-Islam wal-Muslimin (JNIM, Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans).
Depuis le coup d’état en mai 2021 du colonel Assima Goïta, 42 ans, le Mali ne cesse de sombrer dans une crise aux multiples facettes. Pétri de néo-panafricanisme, issu d’une longue tradition militaire, cet officier avait poussé le président Ibrahim Boubacar Keïta vers la sortie un an plutôt avant de décider lui-même de s’installer dans le fauteuil présidentiel. Accusant le gouvernement d’avoir failli dans sa lutte contre les djihadistes opérant dans le Nord du Mali et se faisant l’écho du mécontentement de l’armée, ce « coup d’État dans le coup d’État » (comme l’avait dénoncé le président français Emmanuel Macron) avait été, malgré tout, plutôt bien accueilli par la population malienne.
Dans la foulée, la junte avait décidé de mettre fin à l’opération Barkhane mise en place par la France (2014) afin de juguler la menace djihadiste et prévenir toute déstabilisation du Sahel (résultante d’une Libye en décomposition depuis la chute du régime de Mu’ammar Kadhafi par une rébellion et ses alliés occidentaux), estimant que l’ancienne puissance coloniale ne répondait plus aux accords passés entre la France et le Mali à l’indépendance. Un échec pour la France qui a permis à la Russie de placer ses pions auprès de la junte avec Wagner, une société nébuleuse de mercenaires, remplacée ensuite par des unités plus formelles liées au ministère russe de la Défense, mais qui se sont révélées inefficaces et ont été accusées à de nombreuses reprises d’avoir massacré des civils.
Ces multiples crises et atteintes aux principes démocratiques ont permis au JNIM de se développer, de profiter de l’affaiblissement politique et du retrait de la France pour contrôler une partie du Mali où il a imposé la charia. Fondé en 2017, issu de la fusion de plusieurs mouvances islamistes armées, le JNIM a fait allégeance à Al Qaïda, dirigé par le touareg Iyad Ag Ghali. Un leader au long curriculum vitae de combattant aguerri. On le retrouve en Libye aux côtés de Kadhafi, au Liban avec les Palestiniens de Yasser Arafat, combattant au Tchad avant de revenir dans son pays d’origine, chargé par le même Kadhafi de monter une rébellion. Il prend même le luxe de venir organiser ses réunions à Paris sans être inquiété le moins du monde.
Se débarrasser des « croisés »
C’est au cours des années 2000 que ce touareg, ulcéré de voir le traitement que le gouvernement réserve à ses compatriotes, se tourne vers le fondamentalisme, Une révélation pour Iyad Ag Ghali décrit comme peu religieux et amateur de femmes. D’accords de paix en reprises des combats, un bref séjour en France avec femme et enfants, une fois les rivalités entre les différents groupes islamiques apaisés, Iyad Ag Ghali a refait surface sur le devant de la scène avec un mouvement plus structuré. Désigné terroriste par les États-Unis, il affirme désormais mettre en place un état islamique, « débarrassé des croisés, la France en tête ».
Son groupe combine avec efficacité tactiques militaires classiques (embuscades, raids ciblés) et stratégies socio-politiques — pénétrer des territoires en offrant protection ou « justice » là où l’administration est absente —, ce qui lui permet d’asseoir progressivement un contrôle territorial. Avec un discours anticolonial et souverainiste, lequel fait aussi écho à celui propagée par la junte, le JNIM n’a pas de mal à recruter ses membres. Cette capacité à se fondre dans le tissu local distingue ce mouvement de ses rivaux de l’État islamique au Sahel (ISGS/ISSP), plus brutaux et centralisés. Les deux groupes s’affrontent souvent, notamment dans la zone des « trois frontières », mais concluent parfois des trêves tacites pour concentrer leurs efforts contre les armées nationales ou les forces étrangères.
Une emprise tentaculaire
Une chute de Bamako à court terme aurait de multiples conséquences. Premièrement, elle accélérerait la diffusion des flux de combattants, d’armes et de réfugiés vers les États voisins compliquant encore la coopération frontalière. Deuxièmement, elle renforcerait l’attractivité des modèles alternatifs d’alliance (jonction de différents mouvements comme avec Boko Haram au Nigeria), fragilisant la capacité des organisations régionales et des partenaires occidentaux à contrer l’expansion jihadiste. Troisièmement, la privatisation croissante de la sécurité — contrats miniers, trafics, milices locales — risquerait d’enraciner des économies de guerre, rendant toute restauration durable de l’État plus coûteuse et plus lente.
Enfin, une débâcle à Bamako mettrait la Communauté internationale face à un dilemme : doit-elle à nouveau se réengager massivement (coût politique et humain élevé) afin de contrer cette menace aux portes de l’Europe, d’éviter un nouveau flux migratoire qu’elle ne pourrait. L’influence du JNIM dépasse largement le Mali. Désormais, le groupe contrôle ou influence des territoires au Burkina Faso, au Niger, en Mauritanie et jusque dans le nord de la Côte d’Ivoire. Son extension répond à une logique géographique : relier les zones pastorales et frontalières où l’État est faible, et sécuriser les routes de contrebande vers le golfe de Guinée. Cette expansion menace l’ensemble de la région : la prise de Bamako ou un effondrement du front burkinabè ouvrirait un corridor continu du Sahara jusqu’à l’Atlantique établissant de facto le premier califat en Afrique post-coloniale.
Par ailleurs, les blocages logistiques (pénuries, routes coupées) et les offensives coordonnées ont rendu certaines zones intenables pour l’État malien, amplifiant l’effet domino. Les opérations récentes — blocus des approvisionnements, sièges ciblés — montrent que JNIM cherche non seulement des gains territoriaux mais aussi à faire plier la population et les autorités par l’asphyxie économique rendant la situation de Bamako intenable.
Soutenu par la Turquie, qui tente une incursion dans l’espace malien, le régime militaire d’Assima Goïta (devenu entre-temps général 5 étoiles) semble acculé et dépassé par les événements. Ayant dissous tous les partis politiques, il n’est même plus à l’abri d’être à son tour renversé par d’autres militaires, ultime chapitre d’une tragédie qui se dessine inéluctablement. Pourtant, les leçons de terrain et l’analyse des experts convergent vers un point identique : la solution ne passe pas uniquement par la force militaire. Pour établir l’ordre, la junte n’a pas le choix. Elle doit combiner restauration de l’autorité publique (justice, administration locale), trouver des réponses aux causes socio-économiques (emploi, gestion foncière), lutter contre les financements illégaux, renforcer le renseignement régional et mettre en place une coordination internationale adaptée (en évitant l’exclusion de la population malienne dans les décisions)
Le Mali est devenu en peu de temps le miroir du monde multipolaire : un espace où s’affrontent influences russes, intérêts français, ambitions turques et fractures internes. L’avenir du Sahel dépendra moins des armes que de la capacité de ses dirigeants à construire une légitimité populaire et à répondre aux aspirations des populations abandonnées aux marges. Sans ce sursaut politique et moral, le Sahel risque de devenir le nouvel Afghanistan africain, une terre de conflits sans fin.
Illustration : Vidéo de propagande de JNIM.
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