Monde
Une Afrique livrée et abandonnée
Un livre qui fait mal. Très mal. Et qui, vraisemblablement et malheureusement, ne changera rien à rien. Comme d’habitude !
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Le 24 septembre 2023, le président Emmanuel Macron a décidé le retrait des troupes françaises stationnées au Niger.
Pour la France, incapable d’assurer son rôle traditionnel de gendarme en Afrique, cette décision représente un tournant majeur. Elle ouvre la porte à des scénarios inquiétants, notamment celui d’un continent africain devenant le prochain califat islamique aux portes d’une Europe affaiblie. En quelques décennies, l’Afrique est devenue le terrain de jeu des organisations islamiques, propageant de terreur à travers tout le continent. Du Sahel à la corne de l’Afrique, les mouvements djihadistes prolifèrent, profitant de l’instabilité de certains pays et d’un vide institutionnel pour s’installer et tenter d’imposer la charia comme unique mode de gouvernement. Ce phénomène, bien que récent dans sa forme actuelle, puise ses racines au cœur du XVIIIe et du XIXe siècles. À cette époque, le djihadisme africain a conduit à la naissance de grands empires, comme celui de Sokoto au Nigeria, qui étaient parmi les plus puissants de l’Afrique de l’Ouest. Empires qui se sont étiolés aux premières heures de la colonisation. Malgré cela, l’influence et l’histoire de ce djihadisme conquérant, fier, source d’indépendance et d’ordre, demeure encore ancrées dans le subconscient des Africains.
Le djihadisme africain, longtemps ignoré et sous-estimé par les historiens, a connu deux résurgences majeures. La première a eu lieu dans les années 90, suivie d’une autre, plus spectaculaire, au début du nouveau millénaire. En Algérie, lors des élections législatives de 1991, le Front islamique du Salut (FIS) s’est présenté comme un parti anti-corruption, promettant de réformer l’administration et instaurer un État islamique afin de remettre de l’ordre dans cette partie de l’Afrique du Nord. Si ce discours a convaincu la majorité des Algériens, la victoire du FIS a été de courte durée. L’establishment militaire a annulé ces élections, plongeant le pays dans une violente guerre civile avec le Groupement islamique armé (GIA), un groupe salafiste, qui a mené une lutte contre le gouvernement algérien et a perpétré des attentats jusqu’en France au nom du Prophète. Officiellement, ce conflit a fait plus de 50 000 victimes.
La désintégration de la Libye, plongée dans un combat fratricide depuis 2011, a permis à des dizaines de groupes islamistes d’émerger après avoir pillé l’arsenal militaire de Tripoli et après avoir fait allégeance à Al-Qaïda ou Daesh. Parmi eux, le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), une dissidence du GIA spécialisée dans le racket et la contrebande. Des moyens illégaux qui permettent aux djihadistes de financer leur guerre sainte. Désormais connu sous le nom d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), ce mouvement terroriste a fini par déchirer tout le Sahel. C’est dans ce contexte qu’Ansar Dine a joué le rôle de cheval de Troie dans un Mali en proie à ses démons politiques. L’avancée rapide des islamistes vers la capitale, Bamako, a forcé la France à intervenir sur demande du gouvernement malien en 2013. L’opération Serval, à laquelle a succédé Barkhane, a réussi un temps à ralentir ces différents groupes, mais elle n’a pu éviter les multiples attentats perpétrés par les terroristes dans les pays de la zone sahélienne, au Burkina Faso ou même en Côte d’Ivoire, ni de mettre fin à aux actions des islamistes.
Solidement armés, les islamistes ont progressivement tissé une toile qui s’étend désormais sur toute l’Afrique de l’Ouest, du Maghreb au Nigeria. C’est d’ailleurs au sein de ce géant pétrolier que le mouvement Boko Haram opère. Il prône un islam radical et rigoriste, n’hésitant pas à enlever des jeunes filles pour les revendre ou les utiliser comme esclaves sexuels, quand il ne massacre pas les chrétiens par centaines. Cette nébuleuse djihadiste entretient des relations étroites avec d’autres groupes au Moyen-Orient et espère se renforcer avec les derniers événements qui ont secoué cette partie du continent.
Trouvant un écho parmi les populations, notamment les classes populaires qui ont le sentiment d’avoir été abandonnées par les élites, les djihadistes exploitent habilement le passé colonial et laïc de la France pour pointer du doigt les carences des « États païens » dont ils espèrent la chute. Rejoints par les rébellions touareg et profitant des tensions ethniques locales, l’idéologie djihadiste est parvenue en peu de temps à séduire la jeunesse, souvent plus par opportunisme (salaire, statut social) que par conviction, comme l’explique le journaliste Antoine Glaser dans son livre Le piège africain de Macron.
Malgré l’envoi de soldats supplémentaires, la France s’est finalement embourbée dans un conflit qu’elle n’a pu contenir, perdant ainsi toute autorité auprès de ses alliés africains. Les coups d’État successifs en Guinée, au Mali, au Burkina Faso, au Niger et au Gabon (2021-2023) ont rebattu les cartes. Les putschistes, pour la plupart passés sous le giron russe et poussés par des mouvements décoloniaux, ont rapidement exigé le retrait des soldats français. Une décision qui n’est pas sans conséquences à court terme puisque ces nouveaux pouvoirs kakis prennent le risque de laisser un boulevard ouvert aux djihadistes, de créer un vide sécuritaire, de provoquer le déplacement de milliers d’Africains qui ne souhaitent pas vivre sous la férule islamiste et qui viendraient grossir le flot incessant de migrants traversant la Méditerranée. « Il faut s’attendre à plus de violences, puisque cela va augmenter la perméabilité des frontières », prévient Mahamadou Sawadogo, chercheur spécialiste des questions sécuritaires au Burkina Faso, sur TV5.
Après celui du Mali, le retrait des troupes françaises du Niger marque un échec cuisant, un aveu d’impuissance et une humiliation à la fois pour « la grande muette » et pour l’Élysée qui démontre une nouvelle fois les difficultés d’Emmanuel Macron à comprendre la complexité de la situation en Afrique. Une situation qui est devenue plus que préoccupante. Malgré les divergences idéologiques entre les groupes islamiques, leur pouvoir de communication et leur puissance militaire se sont étendus jusqu’en Afrique de l’Est, menaçant des régions comme le Kenya et le Mozambique. Cette expansion représente une menace croissante que l’on ne doit pas ignorer, d’autant plus que ces régions sont déjà affectées par la présence et les violentes exactions perpétrées par les Shebabs somaliens.
La présence de dizaines de milliers de combattants islamistes, prêts à unir leurs forces dès que la France sera définitivement écartée, souligne le danger imminent qui plane sur le continent africain. Leur objectif est clair : établir un nouveau califat aux portes de l’Europe. Cette réalité sombre met en lumière l’urgence d’une réévaluation des politiques internationales et de la sécurité en Afrique, exigeant une approche collaborative et stratégique afin de faire face à cette menace de plus en plus grandissante.
Illustration : Habituels heureux effets de la politique macronienne en Afrique. Niger, juillet 2023.