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Le marécage congolais

Afrique. Le géant africain ne parvient pas à sortir du marasme où il est plongé depuis son indépendance. Corruption, rivalité de personnes, institutions chancelantes constituent, en dépit d’un beau potentiel, un environnement national peu encourageant.

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Le marécage congolais

Le lac politique congolais, jadis poissonneux et fertile intellectuellement, s’est asséché et ne semble désormais plus qu’un vaste marécage où les sauriens de la politique congolaise s’entredévorent afin d’obtenir un siège sur lequel plane toujours l’ombre du maréchal Mobutu Sese Seko.

Congo-Léopoldville, Congo-Kinshasa, Zaïre ou République démocratique du Congo, autant de noms qui résument toute la complexité politique d’un pays, ancien fleuron de l’empire colonial belge. Depuis son indépendance en 1960, l’histoire de ce territoire, quatre fois plus grand que la France, s’est construite sous le sceau de la violence. Guerres civiles, activités de mercenariat, sécessions en tout genre, coup d’états, massacres ethniques, pouvoirs kleptomanes, ont déposé les uns après les autres leurs sombres émaux sur cette partie de l’Afrique centrale. Entre lassitudes et espoirs d’un avenir meilleur, la République démocratique du Congo, vaste puissance minière que chaque pays tente toujours de s’approprier, a été appelée aux urnes le 30 décembre afin de choisir un successeur au président Joseph Kabila Kabange. Celui-ci a finalement choisi de se retirer d’un poste qu’il occupe depuis presque deux décennies.

Le Congo en coupe réglée

Depuis le 16 janvier 2001, où la radio nationale interrompit subitement ses programmes habituels pour annoncer le décès tragique du « Mzee » Laurent-Désiré Kabila. 40 ans jour pour jour après celui du premier ministre Patrice Emery Lumumba, le père de l’indépendance congolaise, le tombeur du maréchal Mobutu Sese Seko avait été abattu de sang-froid par un de ses gardes personnels et dans des circonstances encore non élucidées. Rapidement, ses proches se réunissaient et organisaient sa succession. Son fils Joseph Kabila, jeune trentenaire, était investi des pouvoirs paternels dans un pays secoué par une importante guerre au Kivu, province en proie aux actions de milices rebelles, souvent appuyées par le Rwanda ou l’Ouganda voisin.

Ancien maquisard mué en véritable caméléon de la politique locale, Joseph Kabila aura soufflé le chaud et le froid sur une opposition qui n’a jamais su avancer unie face à lui, y compris du vivant d’Etienne Tshisekedi, le plus vieil opposant de tous les régimes, décédé en février 2017. La dernière tentative d’union des opposants s’est d’ailleurs achevée sur un fiasco retentissant. Invités par la fondation Koffi Annan, les sept chefs de l’opposition congolaise n’ont réussi que 24 heures à s’accorder sur une candidature unique. Le 11 novembre dernier, Felix Tshisekedi et Vital Kamerhe (ancien président de l’Assemblée nationale) se sont retirés de l’accord au nom de leurs intérêts et egos personnels. Sous prétexte de pression ethnocentrée de leurs bases respectives, ils ont sabordé la dernière chance qui leur était offerte de freiner le dauphin présumé du président, Emmanuel Ramazani Shadary, député et secrétaire-général du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD), puis de former leur propre ticket gagnant face à l’alliance soutenant la candidature du député Martin Fayulu au sein de la coalition Lamuka (Réveille-toi, en swahili et en lingala), réduisant fortement leurs chances de remporter cette élection.

Le bilan de Joseph Kabila n’est pourtant pas élogieux même si on note quelques progrès comme la baisse du taux de mortalité infantile ou encore l’augmentation de l’espérance de vie. Le faible taux de croissance, revu de nombreuses fois au cours de ses années de pouvoir, a fragilisé le pouvoir d’achat, lui-même victime de la chute des matières premières. La corruption, dans un pays aux mains du clan Kabila, n’a pas été endiguée. De larges soupçons de détournement de fonds concerneraient même plusieurs familiers du président dont la fortune se compterait en milliards de dollars selon le Groupe d’étude sur le Congo et le Pulitzer Center. Des accusations rejetées par le député Zoé Kabila, frère du président, qui a dénoncé une tentative de déstabilisation du régime par une Union européenne agacée par la dégradation du climat politique et le népotisme ambiant. Des accusations similaires à celles portées à l’encontre du maréchal Mobutu, connu pour avoir faire marcher la planche à billets à diverses reprises afin de s’assurer la fortune d’un pouvoir tranquille. Devant le peu d’efforts fournis par la présidence, le Fond monétaire international (FMI) et la Banque mondiale avaient finalement décidé de lui réduire les vivres. En retour, Joseph Kabila avait décidé de se rapprocher de l’Angola et de la Chine avant, sous le prétexte fallacieux de troubles et de l’impossibilité pour son gouvernement d’organiser des élections à la date prévue, de conserver le pouvoir à la fin de son deuxième mandat en 2016, en dépit d’une interdiction constitutionnelle. Et d’écarter des listes électorales tous ses opposants les plus dangereux comme l’ancien chef de guerre Jean-Pierre Bemba ou encore le puissant ex-gouverneur du Katanga et homme d’affaires Moïse Katumbi, victime d’un nouveau découpage provincial fort approprié pour le PPRD.

Cal Laurent Monsengwo Pasinya.

Le contrepouvoir de l’Église

Restée puissante, l’Église catholique du Congo s’est abstenue de donner des consignes de vote… le cardinal Laurent Monsengwo Pasinya ayant néanmoins déclaré : « Tout Congolais a le droit de faire échec à tout individu […] qui prend le pouvoir par la force et qui l’exerce en violation des dispositions de la constitution ». Cette haute autorité religieuse, dans un pays où pullulent les sectes animistes, évangéliques et messianiques, navigue entre le spirituel et le temporel (il a été Président de la conférence nationale qui a tenu tête au clan Mobutu lors de l’autorisation du multipartisme dans les années 1990). Ses moindres déclarations sont scrutées et analysées. Si la marche des chrétiens catholiques, organisée dans la foulée de ses avertissements au pouvoir et sous la houlette d’un comité laïc proche de l’Église, a été sévèrement réprimée, le pouvoir s’est bien gardé de le faire arrêter. « C’est mon principal opposant » aurait dit le président Joseph Kabila à propos de cet ecclésiastique qui se vante de parler au Souverain Pontife régulièrement et qui s’est engagé dans un bras de fer musclé contre un parti qui entend se maintenir au pouvoir, quitte à couper l’accès aux réseaux sociaux dans l’attente de la proclamation des résultats par la Commission électorale nationale indépendante ou à retirer les accréditations de quelques journalistes, comme ceux de Radio France Internationale (RFI), non sans provoquer la suspicion des électeurs de tous bords.

Si le sigle UN fait partie du paysage congolais depuis son indépendance, l’ONU a été refoulée par le clan Kabila qui accuse la communauté internationale d’ingérence dans sa souveraineté. Par ailleurs, « Gênante pour le régime de Joseph Kabila, de plus en plus décriée par les Congolais, coûteuse pour l’ONU » comme l’écrit Le Monde, la Mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en république démocratique du Congo (Monusco) est un échec patenté, une gabegie financière entachée par de multiples scandales sexuels. Quel que soit le vainqueur du scrutin, il est donc d’ores et déjà contesté et contestable. n

Par Frederic de Natal

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