Macron n’aura pas mis longtemps à s’aligner sur la doxa euro-otanienne servie par la grosse presse : c’est sûr, à Londres l’ex-agent secret Sergueï Skripal et sa fille ont été empoisonnés par Poutine. Des preuves ? Les Anglais n’en donnent aucune mais ils ont convaincu Macron. Élémentaire, comme dit imperturbablement le limier britannique, le toxique utilisé s’appelle Novichok ! Paris avait d’abord voulu attendre les conclusions de l’enquête, ce qui était intelligent, mais Jupiter, qui n’est donc pas empereur en son royaume, a dû se faire taper sur les doigts comme un vilain petit dieu. Il est rentré dans le rang au point d’avoir annulé sa visite au Pavillon de la Russie, pourtant invitée d’honneur au Salon du livre parisien. C’est une faute politique, doublée d’une muflerie qu’en termes mesurés la veuve du grand Soljenitsyne regrette : « J’avais l’impression qu’il était moins influencé par cette hystérie qui règne dans les médias occidentaux quand il s’agit de la Russie… Quand les diplomates ne savent plus se parler, il devient encore plus important que se parlent les artistes et les gens de la culture et des arts…Tourner le dos au dialogue avec les gens de la culture et des arts c’est extrêmement étonnant et ne sied pas à un leader politique français ».
Hystérie
Pour l’Elysée, qui manque d’imagination, il n’y a donc « pas d’autre explication plausible » (sic) que la faute à Poutine. Mais comment imaginer que Poutine, alors qu’il se présentait aux suffrages des Russes, ait pu offrir volontairement à ses adversaires le cadeau d’une telle provocation ? D’autant plus qu’il s’agit d’une triple bavure : 1 – l’agent double neutralisé depuis longtemps est une cible sans intérêt; 2 – toucher sa fille en « dommage collatéral » n’est pas utile ; 3- le coup est raté puisqu’à l’heure où ces lignes sont écrites, ils sont tous deux heureusement en vie. Tout cela ne correspond pas au professionnalisme du FSB, le contre-espionnage russe, qui siège à la Loubianka. Même Hollande, le parrain de Macron, a fait mieux et il a fallu qu’il s’en vantât auprès de journalistes pour que le public apprenne l’élimination discrète « d’ennemis » par les services français. Quant au produit neurotoxique russe, il est connu depuis 20 ans et sa formule est accessible sur internet.
L’hystérie médiatique que regrette Madame Soljenitsyne et l’affaire Skripal qui l’a déclenchée, ont probablement d’autres « explications plausibles ». Elles sont à rechercher vraisemblablement au Proche-Orient où la Syrie pourrait sortir de son calvaire grâce au soutien efficace des Russes. Mais cette réussite déplaît aux prédateurs qui misaient sur son dépeçage.
Effectivement l’étau se resserre sur les 10 à 20 000 islamistes incrustés dans la Goutha orientale. Cette riante banlieue de Damas était devenue un enfer pour ses infortunés habitants qui peuvent enfin essayer d’en sortir par les couloirs sécurisés de l’armée syrienne.
C’est de cette zone que les terroristes, modérés (!) ou pas, pilonnaient le centre de Damas et massacraient donc « le peuple de Bachar » avec une artillerie installée de préférence sur le toit de dispensaires ou d’écoles, au milieu de civils où se mêlent les familles des islamistes, des civils armés et d’autres malheureux, otages et boucliers humains, menacés de fatwa s’ils ne collaborent pas, tués par des snipers s’ils essaient de fuir, ou enfermés dans des cages près des objectifs sensibles. Il est évident qu’ainsi les marges de l’armée syrienne et de l’aviation russe sont très étroites, alors qu’à l’opposé l’ennemi terroriste tire sans discernement sur les quartiers les plus peuplés de Damas. Ainsi, à la Goutha, l’évacuation massive des civils marque la fin des groupes djihadistes qui se trouvent dépouillés de leur bouclier humain. Redditions et évaporations s’accentuent.
La chute d’Afrine et l’exil des Kurdes. Le Turcs et leurs alliés islamistes peuvent massacrer… Politique magazine
Chiffons et lignes rouges
Dans ces conditions l’inénarrable « observatoire syrien des droits de l’homme », officine médiatique de l’opposition gouvernementale, aurait signalé des odeurs de chlore et des civils suffoquant avec les yeux rouges. Mais tout explosif conventionnel est un produit chimique et les fumées qui suivent un bombardement peuvent suffoquer, piquer les yeux ou sentir le chlore sans qu’il soit question d’attaque chimique. D’ailleurs de telles attaques ne donneraient au pouvoir syrien aucun avantage militaire et le disqualifieraient sur le plan politique.
L’enfumage fonctionne pourtant bien à Paris ! Le chiffon rouge du chimique met en effervescence la coterie en place qui réagit aussi bien qu’en 2013 où Hollande s’était retrouvé tout bête, lâché par Obama, après avoir promis à Assad la foudre de ses missiles de croisière.
Il y a juste un an, ému par les photos de cadavres d’enfants ou agacé par les néoconservateurs auquel il donnait un gage, Trump en tirait 60 de sa flotte en Méditerranée, sur une base syrienne. Frappe chirurgicale exemplaire : des radars, des dépôts et une poignée de vieux Sukhoi 22 détruits dans leurs abris. Impact militaire nul, l’aviation syrienne trop rustique est hors jeu ; en l’air les Russes ont la main. Impact politique nul, on n’en a pas parlé une semaine. Alors, tirer sur un bâtiment gouvernemental à Damas pour tuer quelques fonctionnaires et les enfants qui jouent à côté ? Idiot ! Sur le plan strictement militaire les deux objectifs justiciables d’une frappe par missile de croisière en Syrie sont le port de Tartous et l’aéroport de Lattaquié (Khmeimin), les deux piliers du dispositif militaire russe. Y toucher est impensable, de surcroît un sous-marin russe coulerait immédiatement la frégate d’où seraient partis les missiles.
« La ligne rouge chimique » ressassée à l’envi par Macron est donc une ineptie ; elle nous tient à la merci de la moindre manipulation – nous savons combien le sujet s’y prête – et risque de nous mettre dans une posture intenable.
Pendant ce temps, le bon Erdoğan, notre allié turc, a bombardé Afrine en toute tranquillité, massacré et chassé les Kurdes qui avaient éliminé Daech. Mais « comme il est turc et pas syrien, c’est évidemment beaucoup moins grave », observe judicieusement l’excellent analyste Antoine de Lacoste.
La chute d’Afrine et l’exil des Kurdes. Le Turcs et leurs alliés islamistes peuvent massacrer… Politique magazine
Syrie-leak
Les gesticulations occidentales à propos de la Syrie laissent donc dans une grande perplexité et il aura fallu une fuite providentielle en février pour éclairer de coupables connivences où la France est compromise.
Voici l’affaire. Un diplomate britannique rend compte, dans un télégramme confidentiel, de la réunion du « Petit groupe américain sur la Syrie » (États-Unis, Grande Bretagne, France, Arabie saoudite et Jordanie) à Washington le 11 janvier 2018. « La réunion publique la plus secrète de tous les temps », précisent les Jordaniens qui en sont. Elle fut suivie d’une deuxième réunion à Paris le 23 janvier.
Les cinq États complices veulent saboter les efforts russes dans la région par une stratégie machiavélique : « 1) endiguer l’influence iranienne en militarisant durablement l’Est de la Syrie ; 2) faire échouer le plan de paix russe ; 3) poursuivre une guerre de basse intensité afin de diviser la Syrie pour aboutir à une partition territoriale et politique ». On y apprend la présence de Jérôme Bonnafont, directeur Moyen-Orient au Quai d’Orsay. Il y est question de torpiller les efforts russes de stabilisation dans le groupe d’Astana comprenant la Turquie et l’Iran et dans la conférence de réconciliation de la Syrie à Sotchi pour privilégier, dans le processus concurrent de Genève, la partition syrienne et son préalable, le départ d’Assad. Il faut donc « créer les conditions et des institutions qui permettraient des élections qu’Assad ne pourrait pas gagner »… et, par conséquent, il faut « maintenir la pression sur la Russie ». « Nous devons continuer – ce que nous faisons déjà – à dénoncer l’horrible situation humanitaire ainsi que la complicité russe dans la campagne de bombardements de cibles civiles »! D’où l’hystérie médiatique évoquée plus haut.
On y prévoit aussi l’installation pérenne des Américains au nord-est de l’Euphrate, en s’appuyant non plus sur les Kurdes, ce qui agace Ankara, mais sur des Arabes sunnites recyclés de Daech. Du déjà vu : en Afghanistan les Américains avait armé les Talibans contre l’URSS. Ils ne sont pas sortis du schéma. L’Amérique veut donc reprendre la main en condamnant la Syrie au sort de l’Irak, de la Libye ou de l’Afghanistan pour la satisfaction de Tel-Aviv et de Ryad.
Il faut lire intégralement ce télégramme, révélé par le journaliste Richard Labévière, accablant pour ceux qui prétendent diriger le monde, terrible pour le peuple syrien. Une telle révélation justifierait une commission d’enquête parlementaire. À Washington, Trump vient d’ailleurs de virer son secrétaire d’État Tillerson pour d’obscures raisons qu’on aimerait éclaircir.
La politique suivie par Sarkozy, Hollande et Macron vis-à-vis de la Syrie nous a mis hors-jeu. Nous n’y avons plus d’ambassade et plus aucun moyen d’action ou de pression. Nos diplomates nous compromettent maintenant dans des conspirations internationales qui veulent délibérément maintenir le peuple syrien dans la guerre. Pour quel profit ? Inutile de préciser que les chrétiens d’Orient sont le dernier souci de la diplomatie française.