France
« La bonne pratique devrait être d’examiner l’utilité ou la nocivité de chaque dépense »
Un entretien avec Jean-Yves Le Gallou, président de la fondation Polémia. Propos recueillis par Philippe Mesnard.
Article consultable sur https://politiquemagazine.fr
Les riches s’enrichissent, les pauvres s’appauvrissent. Cela vaut pour les ménages, les entreprises et même les nations… et la zone euro.
La « start-up nation » semble avoir du plomb dans l’aile, et il y a une vérité qui dérange le gouvernement : avec presque 400 cas par mois, le niveau de défaillances de nos PME est proche du record de la crise financière de 2008. 55 492 entreprises ont fait faillite en 2023. Et comme on le voit sur la courbe ci-dessous, le seul mois de janvier 2024 a été rude pour ces entreprises. Mais, selon la Banque de France, il n’y a pas de « mur de faillites » à l’horizon ! Et chacun sait que Bruno Le Maire est un grand maître en la matière, secondé comme il l’est par le Mozart de la finance qui siège à l’Élysée. Nous voilà rassurés, comme pour la guerre en Ukraine.
La fin des Prêts garantis par l’État (PGE) a eu un effet pervers sur les entreprises zombies, qui ont tenu en raison de ces prêts mais, au moment de les rembourser, n’avaient pas la trésorerie nécessaire pour la simple raison que la clientèle faisait défaut. Elles auraient dû, en réalité, faire faillite plus tôt. Le plus spectaculaire étant la faillite des entreprises de prêt-à-porter, littéralement ruinées par la concurrence chinoise. La liste en est longue : Camaïeu, liquidé en septembre 2022, Go Sport, Gap France et Kookaï placés en redressement judiciaire en début d’année 2023, puis Du Pareil au Même, Sergent Major, et Minelli, Naf-Naf, Pimkie, Jennyfer, Kaporal, Burton of London ou les chaussures San Marina et André.
La Chine a toute sa part dans cette chute : elle est capable, en matière textile, d’offrir plus de 1000 produits différents par jour, il s’agit en l’occurrence d’un véritable dumping, contraire aux réglementations françaises. Et comme elle est entrée en déflation, les probabilités de baisse de ses prix sont accentuées. Le pays est dans une spirale déflationniste et n’arrive pas à rassurer les marchés, la tension sur le secteur immobilier est à son paroxysme et la Chine s’est mise en veille pour le Nouvel An chinois. Au-delà de la Chine, les explications de cette chute sont, plus profondément, la remise en cause du modèle de consommation effréné qui sévissait jusqu’à présent, avec des achats compulsifs à bon marché, ajoutés, bien sûr, à la baisse du pouvoir d’achat. Remise en cause qui se cumule à la hausse des taux (voulue par les banques centrales pour lutter contre l’inflation), à la raréfaction du crédit et à la hausse du coût de l’énergie, due à la politique européenne en Ukraine.
La crise des banques est loin d’être terminée, même si depuis l’été 2023 elle est surtout américaine. Mais une crise politique, sociale et sociétale tend à s’installer en France, dans un contexte de forte inflation, surtout alimentaire, ce qui accroît le ressenti de tout un chacun. Quant à la croissance annoncée à 1,4 %, Bercy a revu à la baisse ses espérances, soit 1 %, et beaucoup d’autres avancent un taux à 0,4 %. Nous payons les conséquences des erreurs stratégiques des dirigeants monétaires et politiques américains, européens et français au cours des dernières années. En effet, la crise bancaire et financière que nous voyons poindre, malgré les dénégations officielles, tient à ce que de nombreux dirigeants ont fait flamber la dette publique (France, États-Unis) au point qu’on s’interroge désormais sur la solvabilité des États ; et, bien sûr, la “planche à billets” (le quantitative easing, QE), même si l’on n’en parle pas, continue de produire ses effets délétères. J’ai toujours souligné dans les pages de Politique magazine la fragilité de la Deutsche Bank qui plonge en Bourse : Société générale et BNP Paribas pourraient être emportées à sa suite.
Les effets de la planche à billets étaient de produire des intérêts à taux zéro, mais ce qui est gratuit ne vaut rien, et le QE provoqua des bulles financières sur les start-up qui n’utilisèrent pas ces fonds avec prudence et parcimonie. Maintenant, la facture arrive. Sur 800 licornes (une licorne est une start-up, non-cotée en Bourse et non filiale d’un grand groupe, valorisée à un milliard de dollars), seules 15 étaient rentables. Il semblerait que la grande fête de l’argent facile prend fin.
Sur la situation des marchés, la Bourse affiche une reprise significative en battant des records d’indices qui donnent l’impression d’une lévitation avancée en contradiction avec l’inflation, le renchérissement du crédit, les faillites bancaires et les banques en situation difficile (même la BCE et la Fed sont en déficit).
Le bilan 2023 et les résultats des entreprises sont-ils au rendez-vous ? On peut répondre par l’affirmative mais la prospérité boursière est limitée à quelques entreprises. Les poids lourds de la tech américaine pèsent de plus en plus “lourd” dans les indices outre-Atlantique, et réussissent à délivrer des rendements financiers exceptionnels : Apple, Microsoft, Alphabet, Amazon, Nvidia, cette dernière connaissant une croissance de plus de 250 % dans l’Intelligence Artificielle. En France les entreprises du luxe comme LVMH tiennent la tête d’affiche.
L’impression générale qui se dégage en ce printemps 2024 est que ce dualisme des entreprises est reflété dans les sociétés. Les 1 % les plus riches de la planète possèdent 43 % de la richesse mondiale. 10 % de la population mondiale possèdent 76 % de la richesse et perçoivent 52 % des revenus.
Côté dividendes, c’est un nouveau record. Les entreprises du CAC 40 ont versé 97,1 milliards d’euros aux actionnaires en 2023, dont 67,1 milliards sous la forme de dividendes en numéraire et 30,1 milliards sous la forme de rachats d’actions (source : La lettre Vernimmen). C’est 17 milliards d’euros de plus que l’an dernier, qui était déjà le niveau le plus haut jamais enregistré depuis 2003, date à laquelle débuta cette étude annuelle.
Mais ce dualisme s’observe aussi sur les deux rives de l’Atlantique : plus l’Europe se vassalise à l’Amérique, plus les écarts de croissance se creusent. Pendant les trois premiers trimestres de 2023, la croissance annuelle moyenne des États-Unis a été de 3,1 % et celle de la zone euro a été d’un peu plus de 0,1 %. Plutôt que de se lancer dans un hasardeuse croisade ukrainienne, le chef de l’État devrait s’interroger sur cet abaissement de la zone euro dont il rêve d’être, demain, le président.
Illustration : « La capitalisation de Nvidia a bondi de 1 000 milliards de dollars depuis le début de l’année, ce qui correspond à une hausse de son cours de 90 % en moins de trois mois. » (Les Échos)