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La fin du nouvel ordre mondial [PM]

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Le modèle universaliste occidental, un temps qualifié de « nouvel ordre mondial », est en train d’éclater. La faute au désordre international créé par les Etats interventionnistes, États-Unis en tête…

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Après la fin de la guerre froide, époque de relative stabilité, une vision du système international a dominé les esprits : celle d’un « nouvel ordre mondial », c’est-à-dire d’un monde uni autour de l’économie de marché et des valeurs démocratiques, dont les conflits seraient gérés par l’ONU et les organismes internationaux, sous le bienveillant leadership américain. Las, cette vision a vécu. Après l’échec des États-Unis et de l’ONU en Somalie en 1994 et les problèmes rencontrés par les Occidentaux en Irak et en Afghanistan depuis 2003, force est de constater que la parenthèse « optimiste » de l’après-guerre froide s’est très vite refermée. Et la situation se dégrade désormais de façon accélérée. Comment en sommes-nous arrivés à perdre ainsi nos illusions ?

Pourtant, il y a peu encore, le monde, certes complexe, comportait de vastes zones d’ordre et de stabilité qui paraissaient durables. Les états développaient des relations sous l’autorité de plus en plus scrupuleuse de l’ONU et des organisations internationales. De ces organisations internationales émanait un réseau de normes en matière de droits de l’homme, d’économie et d’écologie, encadré par des traités internationaux inédits et des cours de justice internationales.

Bien sûr, subsistaient ici où là des zones d’anarchie composées d’« États faillis » ou de ce que les Américains appellent des « rogue states » (états voyous) : ex-Yougoslavie, Corée du Nord, Libye, Somalie… Mais de la première guerre du Golfe, en 1991, jusqu’à la Libye en 2011, des interventions internationales, justifiées juridiquement par le soi-disant « droit d’ingérence » et politiquement par la préservation de la paix – au sens du chapitre VII de la Charte des Nations unies –, faisaient espérer que ces zones où les règles du droit international ne s’appliquent pas seraient ramenées dans le système.

Au fond, la dichotomie héritée de la Rome antique continue à produire ses effets sur notre vision des relations internationales : d’un côté le monde civilisé, de l’autre celui des Barbares. Antique perception occidentale du monde qui, dans les années 60, distinguait le « monde développé » et le « monde sous-développé », dans les années 70, « le Nord » et « le Sud » et, après 1990, les « pays à économie de marché », auxquels même la Chine s’agrégeait, et les retardataires. Prévalait toujours cette confiance spontanée dans la capacité de l’Europe, puis de l’Occident, à progressivement civiliser le monde à partir de ses valeurs, considérées comme universelles. Le triomphe total du « nouvel ordre mondial » n’était plus qu’une question de temps.

La fin du « nouvel ordre mondial »
Mais depuis un an ou deux, force est de constater que cette vision, déjà moins optimiste que celle de 1991, l’est encore trop : depuis celle d’Afghanistan, aucune des interventions occidentales dans le monde n’a réglé le problème qu’elle était censée résoudre. Dans certains cas, ces interventions ont même aggravé la situation.

L’instabilité croissante du Proche-Orient, à la suite de l’échec des « printemps arabes » et de la guerre en Syrie, la politique russe en Crimée et en Ukraine, celle de la Chine vers les mers voisines, ont changé la donne. La zone du désordre international s’élargit et atteint l’Europe. Ce n’est pas la mondialisation heureuse, l’extension des valeurs occidentales, la parousie du droit et des organisations internationales qui l’emportent.

C’est une mondialisation perverse, nourrissant le désordre international que certains États utilisent pour tirer leur épingle du jeu (Russie, Chine). Sans doute le modèle d’une zone d’ordre appelée à résorber progressivement les zones de désordre n’est-il pas adéquat. Elles s’interpénètrent. Et la mondialisation, avec la multiplication des échanges, l’accroissement des migrations, l’ubiquité des moyens de communication, en particulier de l’Internet, abolit progressivement la distance entre les deux zones, mais pas nécessairement au profit de la zone d’ordre. En outre, l’universalité revendiquée des valeurs occidentales est contestée de plus en plus fermement, de la Chine au monde musulman. Il n’y a plus de modèle unique.

Dans ce monde désormais multipolaire, une autre dichotomie s’affaiblit : celle qui séparait la sphère des relations interétatiques classiques de la sphère des relations transnationales de toute nature (de l’économie aux migrations en passant par les mouvements d’idées). Il est évident que le transnational se développe de façon exponentielle depuis les années 1970 et la nouvelle phase de mondialisation, réduisant la distance entre les deux sphères, facilite de fait l’intrusion de désordres de toute nature dans la sphère étatique.

Les grands États, États-Unis en tête, sont désormais convaincus de la nécessité d’agir concomitamment dans les deux systèmes : c’est aujourd’hui la clé de la véritable puissance. Le monde n’en est pas plus stable pour autant. D’autant plus que les règles du droit international et les grandes structures de type ONU, déjà peu à l’aise avec la sphère étatique, ont encore plus de mal à appréhender la sphère non étatique.

Jouer de l’ambiguïté
L’ensemble de ces « bouleversements » conduit à un système international complexe et même ambigu, dont l’ambiguïté même peut être utilisée de façon offensive. En dehors des États, qui peuvent également jouer de cette situation de flou pour avancer leurs pions, des grandes sociétés, des ONG, des nébuleuses politico-terroristes, de nombreuses organisations internationales deviennent parties prenantes du jeu international et transnational.

L’illustration de cette confusion entre sphère étatique et sphère transnationale c’est Daesh, l’État flou par excellence. Daesh n’est pas un État au sens classique du terme, mais il est bien plus qu’Al-Qaïda : il possède un territoire, une armée, des ressources. C’est un ensemble de type nouveau qui brouille les repères établis comme la vieille distinction entre état de paix et état de guerre : au Proche-Orient, comme en Ukraine, les deux états se mêlent en effet dans des proportions variables. Guerre et politique se poursuivent réciproquement en permanence.

Ainsi, la mondialisation et la prolifération des relations transnationales de toute nature, indépendantes des gouvernements, contribuent à cette nouvelle donne mondiale. Les États ne sont plus les seuls acteurs des relations internationales. En outre, leurs efforts ne portent plus seulement sur la défense de leur souveraineté au sens classique, avec la diplomatie et l’armée, mais leurs actions comportent également tous les moyens indirects d’influence, y compris la pénétration de l’infosphère informatique. Finalement, la stratégie d’organisation du monde qui remonte aux Lumières et que l’Occident pensait pouvoir relancer après la fin de la guerre froide, a échoué.

Cette nouvelle donne implique un certain nombre de nouveaux principes. D’abord, l’existence d’un continuum sécurité-défense : la séparation étanche entre sécurité intérieure et sécurité extérieure n’a désormais plus lieu d’être. Dans le monde, le soutien des forces qui concourent à l’ordre doit être la priorité.

Et il faut réarmer : on ne peut plus se contenter d’armées seulement aptes à des opérations d’interposition, de maintien ou de rétablissement de la paix, ni même d’opérations ponctuelles comme en Libye en 2011. Toute la gamme des opérations doit être envisagée, de la contre-insurrection aux opérations à haute intensité allant jusqu’à la menace nucléaire.

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