Lorsque nous rencontrons Ivan Blot, avant Noël, nous passons rue du Faubourg Saint-Honoré, à deux pas de l’Élysée et de l’ambassade des États-Unis. Des chants de Noël résonnent dans des haut-parleurs : un crooner américain lance de lancinants « Merry Christmaaas… ». On se croirait dans une série télé filmée à Manhattan. De quoi nous mettre dans le bain de notre entretien. Son sujet ? Un livre : L’Europe colonisée (éd. Apopsix, 2014).
Pourquoi « l’Europe colonisée » ?
La colonisation revêt des formes multiples. En Europe, nous subissons en premier lieu une colonisation politique par les États-Unis et leurs relais européens. La situation sur le continent dépend toujours de l’issue militaire de la seconde guerre mondiale. Et, depuis, l’Union soviétique s’est effondrée, laissant les Etats-Unis seuls en piste.
Que pensez-vous de l’Otan ?
L’Otan, créée en 1949 à Washington, est clairement une structure militaire colonisatrice. Son premier secrétaire général, Hastings Lionel Ismay, déclarait que ses buts étaient de « garder les Russes à l’extérieur, les Américains à l’intérieur et les Allemands en tutelle ». La baisse récente des dépenses militaires en Europe montre que cette dernière est militairement colonisée et ne fait plus guère d’efforts propres.
Quelles sont les autres formes de colonisation ?
Il y en a trois. L’une est économique. La structure des marchés est influencée historiquement par des relations de pouvoir ; or, les centres de décision économiques sont de moins en moins chez nous. On assiste à un transfert. Je rappelle que la valorisation du CAC 40 dans son ensemble n’équivaut qu’au tiers des sommes détenues par le plus grand fonds au monde, l’américain Blackrock.
La seconde est physique. Elle découle de l’immigration incontrôlée qui s’installe actuellement sur le territoire européen. La dernière, la plus importante, est culturelle et spirituelle : l’Europe est gagnée par l’utilitarisme américain, qui met la fonction marchande au sommet avec comme valeurs suprêmes les droits et l’argent.
Dans votre ouvrage, vous faites référence à Aristote. Pourquoi ?
Aristote propose des outils qui permettent de comprendre le monde. Dans sa Physique, il décrit quatre causes servant à analyser l’existence d’un fait social humain : la cause matérielle, la cause formelle, la cause motrice et la cause finale. Prenons l’exemple du temple grec. Il s’explique par sa cause matérielle : la pierre et le bois destiné à sa construction ; nous sommes dans de la technique et de l’économique. La cause formelle, c’est le plan de l’architecte selon les vœux de la cité ; il s’agit de juridique et de politique. La cause motrice, ce sont les hommes qui construisent le temple, avec la culture qui est la leur. La cause finale, c’est la religion des grecs, car sans elle, on n’aurait aucune raison de construire ce temple.
Dans mon livre, j’essaye d’appliquer ces quatre causes pour comprendre l’état de l’Europe actuelle.
Comment l’Europe pourrait-elle se décoloniser, selon vous ?
L’une des clés de sortie de cette colonisation est culturelle. Nos énarques ont perdu tout repère humaniste. Ils ne sont guidés que par les deux premières causes, la matérielle et la formelle, c’est-à-dire le droit et l’économie. Nous avons des hommes politiques desséchés et cela joue énormément sur le manque de représentativité. Pour sortir de notre arraisonnement utilitaire actuel, il serait possible de se baser sur deux institutions fortes : l’Église et l’Armée. C’est ce qu’a fait la Russie au sortir du communisme. De manière générale, tout redressement ne pourra se faire sans une démocratisation de nos pays qui vivent en réalité en régime oligarchique.