Israël a infligé de sérieux coups à l’un de ses adversaires les plus coriaces qu’est le Hezbollah. Cela fait des décennies que les deux ennemis se connaissent et rendent coup pour coup. Mais au regard des récents événements, Israël semble avoir bien marqué le terrain, même s’il convient de rester prudent sur la suite.
Israël a infligé de sérieux coups à l’un de ses adversaires les plus coriaces qu’est le Hezbollah. Cela fait des décennies que les deux ennemis se connaissent et rendent coup pour coup. Mais au regard des récents événements, Israël semble avoir bien marqué le terrain, même s’il convient de rester prudent sur la suite. L’affaire des bipeurs qui explosent et la mort du Cheik Nasrallah, c’est la revanche de la technologie et de la sophistication sur la guérilla. En tuant le chef d’un mouvement terroriste, qui est surtout une nébuleuse, Israël se venge de ses humiliations passées qui ont coûté la vie à beaucoup de ses soldats au Liban. Rappelons que depuis le début des années 1980 et l’occupation du Sud-Liban, l’organisation chiite avait résisté à Israël dans un combat devenu asymétrique. Alors même qu’Israël dispose de l’arme nucléaire, il n’était pas en mesure de détruire une milice libanaise. Même l’escalade de 2006 n’a pas débouché sur la destruction de son ennemi au Nord. Cette fois-ci, à partir de septembre 2024, Israël a mis le paquet, certes avec le risque de fragiliser le Liban qui renoue ainsi avec des exodes massifs (un million de réfugiés ont fui le sud) qui compliqueront sa situation. Mais un Netanyahou que l’on disait affaibli est quand même parvenu à se lancer dans une opération que les Occidentaux ne peuvent complètement condamner. D’une part parce que le Hezbollah complique la clarification en empêchant l’État libanais d’être pleinement souverain sur son territoire. D’autre part parce que ses origines sont troubles et marquées par ses actions terroristes et attentats commis contre les Français et les Américains dans les années 1980.
Le Hezbollah fragilisé, mais pas (encore ?) éliminé
Il y a quelques années, le Hezbollah était difficile à éradiquer pour Israël, le mouvement pouvant même le narguer à ses frontières, ne serait-ce que par son insolente présence permanente. Mais cette fois-ci, Israël a pris les devants en éliminant ses dirigeants à commencer par son chef, le cheik Nasrallah, tué le 27 septembre 2024. Ce faisant, Tsahal renoue avec un mode opératoire des années 1980 et 1990 quand il s’agissait de traquer avec succès les chefs du Hezbollah en les éliminant ou en les capturant. Israël a également fait des “incursions” dans certains villages du Liban-Sud pour éliminer les caches terroristes et parvient à nettoyer sa frontière immédiate, ce qui n’était pas le cas il y a encore quelques mois. L’État hébreu a aussi réussi à porter des coups durs contre l’organisation complexe du Hezbollah, comme on le voit avec l’élimination des structures financières ou logistiques, quitte à mener avec précision des actions en plein Beyrouth. Ce sont bien plusieurs revers sévères que le « parti de Dieu » a subis au cours de ces dernières semaines. Le Hezbollah a perdu beaucoup d’armes : on estime que deux tiers de ses missiles de courte et moyenne portée ont disparu. Mais les capacités opérationnelles et militaires du Hezbollah sont intactes, ce qui rend encore incertaine l’issue des actions israéliennes au Liban. Les drones sont plus difficiles à détecter, et le Hezbollah a même réussi à mener plusieurs attaques meurtrières dans le Nord d’Israël en tuant plusieurs soldats, que ce soit sur la base de défense aérienne de Kyriat Elezer, le 6 octobre ou, plus récemment, sur la base de Binyamina. Enfin, l’attaque déjouée de la maison de Netanyahou a valeur de symbole. Il est peu probable que le Hezbollah parvienne à éliminer le dirigeant israélien, mais une telle tentative est significative de cette capacité à agir dans le territoire de l’ennemi.
Quid de l’après ?
L’affaiblissement du Hezbollah, s’il était durable, pourrait effectivement aboutir à redistribuer les cartes dans la région. Évidemment au Liban même où il a été, avec le Amal, la seule milice à ne pas avoir été désarmée après la fin de la guerre civile libanaise, consécutivement aux accord de Taëf de 1989. Il est vrai qu’Israël occupait le sud du pays. Même le départ contraint de Tsahal en mai 2000 n’a pas changé la donne : les deux ennemis ont continué à s’affronter, comme on le vit au cours de l’été 2006. Entretemps, depuis 1992, le Hezbollah est également devenu un parti intégré dans le jeu libanais. Et au-delà, il a même créé une nébuleuse complexe avec sa chaîne de télévision ou son trafic de drogue, certains Libanais reprochant au Hezbollah d’être devenu une mafia se nourrissant de sa rente d’ennemi d’Israël.
La guerre civile syrienne avait cependant fait oublier les tensions entre Israël et le Liban avec un Hezbollah engagé en faveur du régime de Bachar el-Assad contre les djihadistes d’al-Nosra. Il participe même en 2014 à la libération du village chrétien de Maaloula. Mais la défaite des islamistes, l’affaiblissement de Daech en Irak et en Syrie et surtout l’attaque du 7 octobre 2023 ont remis en avant les tensions aux frontières sud du Liban. La parenthèse favorable à l’attention aux chrétiens d’Orient s’est refermée à la suite du 7 octobre qui met à nouveau sur le tapis le conflit israélo-arabe et son inextricable question palestinienne. Mais un vide a vocation à être comblé dans un Liban qui a connu un mouvement tectonique d’organisations politiques depuis 50 ans. Rappelons que l’organisation chiite n’est pas le fruit d’une apparition spontanée et qu’elle ne s’est pas imposée naturellement. Ce sont surtout les circonstances de la guerre civile libanaise qui vont en fait conduire à l’émergence d’un nouvel acteur. En 1982, quand Israël lançait l’opération « Paix en Galilée », il s’agissait de chasser l’OLP et Arafat du Liban. Mais la dureté de l’occupation israélienne va conduire à s’aliéner le soutien des populations chiites qui, dans un premier temps, n’appréciaient pas la présence des organisations palestiniennes. Le Hezbollah est donc né dans ce contexte libanais de décomposition et de refus de l’occupation israélienne. Il a donné une armature militaire et idéologique à une communauté chiite qui avait été reléguée dans le Liban d’avant 1975. Les populations n’ont guère apprécié des dommages qui n’étaient pas que collatéraux et la logique des représailles collectives aussi brutales pour ces populations que coûteuses politiquement pour Israël… Bref, Israël pensait avoir éliminé l’OLP du Liban, mais au final, c’est le Hezbollah qui devint l’écharde à ses bordures. Autant dire que d’autres organisations peuvent apparaître. Pour rappel, les origines du Hezbollah sont complexes, mais il résulterait de la conjonction d’un mouvement de religieux chiites et d’une scission du Amal, le mouvement concurrent du Hezbollah au sein de la communauté chiite. Il se structure ensuite pour prendre son nom actuel en 1985. Il bénéficie ensuite de l’élimination de ses concurrents ou adversaires au cours des années 1980, qu’ils soient palestiniens ou chiites. On retiendra ainsi la relégation du Amal que le Hezbollah affronta même au cours de luttes fratricides en 1988. Il a fallu l’intervention de l’Iran et de la Syrie pour calmer le jeu, certainement parce que ces pays avaient beaucoup à perdre. Mais c’est surtout en raison de ses lauriers de la lutte contre Israël qu’il va pérenniser, au point même que ses adversaires de l’échiquier libanais s’en accommodent. Ainsi, personne n’a demandé le désarmement du Hezbollah dans le jeu politique beyrouthin.
Pour Israël : risque d’enlisement ou d’absence de débouché politique en cas de victoire
Si l’affaiblissement du Hezbollah était sérieux, cela pourrait être l’occasion de le reléguer et de l’évincer de la scène libanaise. Mais encore faut-il que l’État libanais, fût-il affaibli, se redresse. Car si la guerre dure et qu’Israël s’enlise à nouveau au Sud-Liban, le risque est alors que le Hezbollah soit inévitablement remplacé par un autre mouvement ou une autre mouvance, si aucun scénario politique ne se dessine au Liban. La situation au Liban reste pour le moment à l’avantage d’Israël. Mais aucun momentum ne dure jamais. Car au fond, au Levant compliqué, les nouveaux marchands de colère qui ont pu se succéder rappellent cette triste loi d’airain qui fragilise l’État hébreu. Sa plus grande faiblesse réside paradoxalement dans sa propre force : des victoires militaires indéniables qui ne débouchent jamais sur des succès politiques durables pour s’imposer à l’univers environnant et le recomposer en sa faveur. Comme si Israël perdait toujours d’une main ce qu’il gagnait de l’autre.
Illustration : Ce ne sont pas des terroristes mais des pompiers au milieu des ruines de de Beyrouth, le 1er novembre 2024. Israël bombarde partout où il pense que se tient un membre du Hezbollah.