Tribunes
Les autos tamponnantes
Les Français ont bien de la chance : ils n’ont pas de mémoire. Doivent-ils ce bonheur à l’Éducation nationale pour qui la mémoire est l’apanage des imbéciles ?
Article consultable sur https://politiquemagazine.fr
Malgré la fragmentation internationale en cours, le vieux rêve d’une centralisation administrative mondiale connaît une soudaine accélération en ce début d’année 2023. Les exécutifs français et européen sont en pointe dans ce combat, faisant fi des dégâts collatéraux sur leurs populations.
C’est ce qui s’appelle ne pas perdre de temps. En novembre 2020, juste après la défaite de Donald Trump à l’élection américaine, et alors que l’enquête sur l’origine du Covid n’avait pas avancé d’un pouce, l’Union européenne lançait par la voix de son président du Conseil, Charles Michel, l’idée d’un futur traité international sur les pandémies. Dès le mois de février 2021, les dirigeants du G7 reprenaient la proposition, laquelle fut soumise en fin d’année aux 194 membres de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Un groupe de travail fut créé afin de proposer un texte « juridiquement contraignant en vertu du droit international », selon le communiqué du Conseil européen.
Les travaux de l’organe de négociation sont en cours. Ils ne sont pas rendus publics et la liste des négociateurs n’a pas été divulguée. Mais le mandat est connu : il relève de la déclaration conjointe signée par Charles Michel, le directeur général de l’OMS, Tedros Ghebreyesus, et une vingtaine de chefs d’État et de gouvernement (dont Emmanuel Macron) en mars 2021. Ainsi, le nouveau traité international doit « saisir cette occasion pour nous rassembler, en tant que communauté internationale » et « conjurer la tentation de l’isolationnisme et du nationalisme ». L’un des principaux buts affichés est de soutirer la souveraineté des décisions en matière sanitaire pour la transférer à une administration mondiale (« Aucun gouvernement ni aucun organisme multilatéral ne peut faire face seul à cette menace »). La déclaration va plus loin : selon les signataires, le nouveau traité international devrait « prendre toute la mesure d’une approche fondée sur le concept “Une seule santé”, qui lie la santé des êtres humains, des animaux et de notre planète », et il doit notamment intégrer l’idée que « l’immunisation est un bien public mondial »… L’organe de négociation doit désormais présenter son rapport à l’Assemblée mondiale de la santé (ONU) en ce mois de mai 2023. Leurs concepteurs visent une adoption de l’instrument en 2024.
Les observateurs ne sauraient être étonnés par ces projets car ils avaient déjà été pensés avant l’apparition du covid 19. En effet, des discussions en ce sens s’étaient tenues lors du Global vaccination summit organisé par la Commission européenne et l’Organisation mondiale de la santé le 12 septembre 2019, mais aussi durant l’Event 201, exercice public de simulation d’une pandémie planétaire mené à New-York le 18 octobre de la même année sous le patronage du Forum de Davos et de la Fondation Bill & Melinda Gates (alors premier contributeur au budget de l’OMS). Des idées similaires avaient aussi été abordées par Anthony Fauci, directeur de l’Institut national des allergies et des maladies infectieuses américain et principal financeur de la recherche sur les gains de fonction de virus, lors d’un étonnant discours prononcé le 10 janvier 2017 à l’université Georgetown (États-Unis). Tous avaient annoncé l’avènement probable d’une pandémie dans un avenir proche et milité pour le dépassement des frontières politiques afin de gérer les questions de santé1.
Le projet de faire de l’OMS un organe mondial contraignant n’est pas un cas isolé. Avec une simultanéité remarquable, une autre administration de l’ONU, l’Organisation météorologique mondiale, a annoncé en mars dernier le lancement d’une « Infrastructure mondiale de surveillance des gaz à effets de serre ». « L’OMM a été contactée par des sociétés philanthropiques comme par des investisseurs en capital-risque cherchant à renforcer les capacités de surveillance des gaz à effet de serre pour leur donner une portée planétaire », explique l’organisation dans un communiqué. Sur le même modèle que l’Organisation mondiale de la santé, le Conseil exécutif de l’OMM doit soumettre son projet de surveillance au Congrès météorologique mondial en mai 2023. Enfin, le 29 mars, à l’initiative du micro-État du Vanuatu et sous la pression de l’administration d’Antonio Gutierrez, ancien président de l’Internationale Socialiste, l’Assemblée générale de l’ONU adoptait une résolution qualifiée d’« historique » : elle demande en effet à sa Cour internationale de Justice de définir les obligations des États en matière de « lutte contre le changement climatique ». Si la résolution n’a pas été votée par les deux principales puissances mondiales (États-Unis et Chine), et que les avis de cette cour d’arbitrage ne sont pas contraignants, ils pourraient néanmoins orienter les futures décisions de la Cour européenne des droits de l’homme ou de tribunaux nationaux.
Des groupes de pression directement liés à la Commission de Bruxelles veulent démanteler les structures administratives nationales pour créer un grand État continental.
Ces annonces récentes constituent une suite presque logique à 34 années de communications catastrophistes développées par le Bureau de l’environnement de l’ONU (en 1989 déjà, son groupe d’experts sur le climat annonçait pour l’an 2000 l’ennoiement de régions entières suite à une hausse soudaine du niveau de la mer). Elles mettent en lumière la propension de l’administration de l’ONU à mondialiser des problématiques locales et à distiller un discours très anxiogène, tout en leur conférant l’aura de respectabilité de cette organisation internationale, la seule à réunir à intervalle régulier les grandes et petites puissances de la planète. En mars de cette année, une autre filière de l’ONU, l’Unesco, organisait par exemple un colloque à New-York annonçant un « risque imminent d’une crise mondiale de l’eau ». En France, cette déclamation était reprise par l’ensemble de la presse.
Les hauts-fonctionnaires de l’ONU n’ont rien inventé : ils ne font que suivre les éléments de langage développés par le Club de Rome il y a cinquante ans déjà. Créé en 1968 par une trentaine de hauts fonctionnaires, économistes et industriels, ce think tank globaliste publiait en 1972 The limits to growth, un rapport aux accents apocalyptiques sur les effets de la croissance de la population et de l’expansion économique. Sous la houlette de professeurs du Massachussets Institute of Technology, le rapport prétendait avoir développé un modèle mathématique du monde avec une vision sur le temps long. À l’époque, le concept d’une menace climatique issue du CO2 était encore flou et n’occupait qu’un paragraphe sur les 200 pages du projet, mais l’idée d’une « grande transition » vers un nouvel « équilibre mondial » était déjà affichée comme une nécessité absolue pour la fin de la décennie.
Ces vues, minoritaires à l’époque, se heurtaient à des critiques au sein de l’élite occidentale – le rapport ne le cachait pas mais les membres du Club avaient déjà trouvé la solution aux problématiques émergentes qu’il plaçait sous le projecteur. Dans la conclusion, le Club de Rome appelait ainsi à « une réforme radicale des institutions et des processus politiques à tous les niveaux, incluant le plus élevé, c’est-à-dire le système politique mondial […]. Nous n’avons aucun doute que, si l’humanité doit embarquer dans une nouvelle orientation, des mesures internationales concertées et une planification conjointe à long terme seront nécessaires à une échelle sans précédent ». Cinquante ans plus tard, le discours n’a pas beaucoup changé. En avril dernier, le directeur du très mondialiste Forum de Paris pour la Paix affirmait avec emphase dans Les Echos que « ni le Covid, ni le réchauffement climatique ne connaissent les frontières politiques ! ».
À partir des années 70, quelques analystes en Europe ont alerté sur l’existence d’un internationalisme d’un nouveau genre, qui voulait dépasser les empires soviétique et américain – d’une portée pourtant planétaire. En France, l’ancien officier de renseignement Pierre de Villemarest a révélé dans ses lettres d’information les travaux menés par les principaux clubs à l’origine des divers courants mondialistes, souvent attelés à l’hyperpuissance américaine et à son système financier (groupe de Bilderberg, Council on Foreign Relations, Commission Trilatérale, Institut Aspen, etc). En 2003, un jeune docteur en sciences politiques, Pierre Hillard, détaillait dans La décomposition des nations européennes (sous-titré De l’union euro-atlantique à l’État mondial) les études et propositions très concrètes entreprises par des groupes de pression directement affiliés à la Commission de Bruxelles et au Conseil européen afin de démanteler les structures administratives nationales pour rendre possible la création d’un grand État continental, avec une vision mondiale en toile de fond.
Cette enquête très fouillée recevait quinze ans plus tard une sorte de confirmation officielle avec la sortie en 2017 du petit livre électoral d’Emmanuel Macron (Révolution), qui appelait à poursuivre la refonte des barrières politiques et administratives. Selon le futur chef de la République française, le « combat pour l’Europe est l’un des plus essentiels pour le prochain président » mais « nos grands défis contemporains sont mondiaux ». Cette « grande transformation » (terme répété plusieurs fois) doit s’accompagner d’« une nouvelle organisation administrative et politique française ». Ainsi, « dans les grandes régions qui viennent de se former, il serait naturel d’articuler un couple région-métropoles », des projets qui supposent notamment « de mener nos politiques à la bonne échelle. Une échelle nécessairement plus large, donc intercommunale ».
Le démantèlement accéléré des frontières des pays occidentaux ces trente dernières années a néanmoins eu des conséquences quelque peu inattendues. En renforçant économiquement des puissances comme la Chine, elle a provoqué une fragmentation politique du monde au lieu d’accélérer son intégration, comme l’espéraient les technocrates qui avaient fait entrer le géant asiatique dans les règles de l’Organisation mondiale du commerce en 2001. De plus, elle a suscité des réactions populaires qui sont allées au-delà de ce qu’anticipaient les mondialistes, comme la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne et surtout l’élection de Donald Trump aux États-Unis (en l’espace de quatre petites années, celui-ci défera plusieurs traités commerciaux internationaux, sortira de l’Unesco et mettra fin au financement américain de l’OMS). De tels événements peuvent mettre en danger les projets globalisateurs, et pousser leurs promoteurs à initier de nouvelles logiques et de nouveaux éléments de langage.
Illustration : Zhang Wenjian, secrétaire général adjoint de l’Organisation météorologique mondiale (OMM), explique que « les progrès de la Chine en matière de science et de technologie météorologiques ont profité non seulement à sa population, mais aussi au reste du monde », comme chaque fois que la Chine agit.
1. Depuis une quinzaine de mois, les mêmes responsables annoncent l’apparition probable d’une nouvelle pandémie dans un futur relativement proche. La déclaration la plus directe étant à mettre au crédit du fatigué président américain Joe Biden, lors d’une conférence de presse tenue le 22 juin 2022 (« Nous n’avons pas seulement besoin de plus d’argent pour les vaccins pour les enfants éventuellement, nous avons besoin de plus d’argent pour la seconde pandémie. Il y aura une prochaine pandémie ! Il faut anticiper »).