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Émotions orientales

Lundi Matin (le blog du Comité Invisible), rêve d’une circulation révolutionnaire entre le Proche-Orient et la France. Dans ces esprits habituellement moins embrumés naissent des espoirs de convergences entre un chiite de Sadr City à Bagdad, un maronite d’Ashrafieh à Beyrouth et les fameuses kurdes, les Sœurs d’armes des fantasmes de Caroline Fourest.

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Émotions orientales

En une sorte de négatif de la mondialisation du capital, ils rêvent d’une mondialisation de la révolte, oublieuse des identités, des contextes, des histoires. Les brumes de lacrymogènes des places arabes leur rappellent le parfum des rues de Nantes, sauf que les distributeurs automatiques y sont moins nombreux.

Kurdes, les espérances et le sang

Ce grand arasement est toujours une erreur. Et une erreur vraiment néocoloniale. Des Bugeaud de l’internationalisme médiatique pullulent pour entraîner les complexes équilibres orientaux vers des asphyxies bien sensibles quand il faut faire face aux armées turques ou aux dollars du Golfe. Ils voulurent croire à un Rojava kurde absorbant 30% du territoire syrien, à la frontière turque, alors même que les Kurdes de Syrie représentent à peine 10% de la population. Il fallait les entendre louer les cercles de parole démocratiques et les combattantes des libertés, la liesse populaire de l’éveil aux égalités. Sauf que les Kurdes ne sont ni un peuple de laboratoire, ni un peuple doudou, et que Lundi Matin comme les partisans du Regime Change fabriquent des espérances qui terminent dans le sang. Le sang de ces habitants de Qamishli, terrés dans leurs maisons, écrasés sous les bombes ottomanes.

J’ai tellement reçu de témoignages de chrétiens exaspérés par les pratiques kurdes au nord-est de la Syrie : l’obligation de l’enseignement en langue kurde, à la sauce de l’abbé Grégoire, l’enrôlement de force des chrétiens dans les milices, les expropriations, au point de faire mourir de vieux paysans de désespoir. Les Kurdes ont déporté, exclu, discriminé, volé pour bâtir leur État.

Les Kurdes de Syrie se sont trop associés au Parti des travailleurs du Kurdistan, brandissant à chaque occasion le portrait d’Abdullah Ocalan, inspirateur embastillé du mouvement. Or le PKK défend le peuple kurde dans une version internationaliste et gauchiste qui n’a que peu de rapports avec la longue histoire de ces montagnards rugueux. Voilà d’ailleurs que la réconciliation nationale avance en Syrie, et que l’armée arabe syrienne a repris des postes jusque-là conservés avec acharnement par les forces du YPG, à Manbij par exemple ou même à Alep.

Liban, de la jacquerie à l’idéologie

Les relations internationales sont des objets de constance et non d’expérimentation. C’est cela qui inquiète dans la série d’émotions qui ont gagné au mois d’octobre l’Égypte, l’Irak et le Liban à des degrés variables. Évidemment les danseuses dévêtues et les abounas en prière des marchants vers le Grand Sérail nous plaisent au Liban. Et comment ne pas embrasser cette exaspération devant la corruption endémique de l’État libanais, incapable de fournir eau et électricité à sa population de manière continue. Mais en même temps nous constatons que la veille des manifestations le Washington Post appelait à un investissement redoublé des États-Unis au Liban et que la transition de la jacquerie à l’idéologie guette.

Il en va de même à Bagdad où le clergé chiite mais indépendant de l’Iran s’associe aux manifestants pour accroître la pression sur le gouvernement irakien. Et rien ne se fait en Irak sans que les Américains ne soient informés des évolutions de la vie publique. Le fameux arc chiite semble au cœur des enjeux. Au centre, les citoyens de ces États peuvent être désemparés : leur révolte est légitime mais ils ne voudraient pas devenir des Ukrainiens du Maïdan, ballotés entre promesses européennes et respiration artificielle américaine. Ils trépignent dans des pays morcelés, souvent très blessés par des interventions occidentales erratiques.

Pour se garder des excès, souvenons-nous de deux indicateurs fiables : le respect des chrétiens dans toutes ces manifestations et la lutte contre toutes les interférences étrangères.

Par Charles de Meyer, Président de SOS Chrétiens d’Orient

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