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Conséquences économiques du conflit Israël Hamas

À dire vrai, la guerre économique est déjà commencée, si elle n’est pas d’ailleurs permanente, mais elle prend des formes nouvelles car la géopolitique commande l’économie. Pour l’heure, rien de la fin du monde, plutôt la fin d’un monde, eu égard à la montée des BRICS.

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Conséquences économiques du conflit Israël Hamas

La rhétorique du choc pétrolier refait surface à l’occasion du conflit entre Israël et le Hamas. C’est la Banque mondiale et son président Ajay Banga, chef d’entreprise américain d’origine indienne, qui s’en inquiétaient dans un récent rapport, mais nous sommes loin du maximum atteint en 2008 avec 147,50 dollars le baril. Tout dépendra de la durée et de l’extension du conflit. Les prévisions à 150 dollars étaient jusqu’alors démenties à cause de la baisse de la demande mondiale : les recettes pétrolières de l’Arabie saoudite avaient baissé de 17%, quatre jours avant l’offensive du Hamas, malgré une entente avec la Russie pour réduire la production, ce qui se ressentait durement à la pompe. L’Arabie saoudite a besoin d’un baril à au moins 80 dollars pour équilibrer son budget. Le conflit peut donc apparaître comme une aubaine, au moment même où les accords d’Abraham créaient une ambiance de normalisation avec l’état hébreu. La différence avec les précédents chocs pétroliers, s’il y a choc, tient au cloisonnement du marché du pétrole. Grossièrement, depuis 1973, c’était l’OPEP contre le monde occidental, mais le schéma n’est plus le même aujourd’hui. La hausse du cours profite à l’économie russe : alors que l’Union européenne et les États-Unis ont plafonné à 60 dollars l’achat à la Russie, celle-ci contourne aisément la mesure en vendant à la Chine, à l’Inde, comme l’Iran, dont plus une goutte de pétrole ne va en Europe ou aux États-Unis, de telle sorte que le détroit d’Ormuz a perdu son importance géopolitique. Sauf si Israël s’avisait de s’en prendre à l’Iran, allié du Hamas et du Hezbollah, mais ce serait aller contre les pays émergents, dont l’Iran estime faire partie. Le pétrole américain, quant à lui, coule toujours à flots : en septembre, le pays a battu son record de production avec 13,2 millions de barils de pétrole extraits chaque jour de son sous-sol. Ce n’était pas le cas en 1973, époque où le prix bas du baril (1,5 dollar) n’incitait pas à investir dans de nouvelles techniques d’exploration. On voit bien que seule l’Europe pourrait souffrir d’une crise pétrolière.

Selon la Banque mondiale, dans le cas d’un impact limité, le prix du pétrole pourrait monter de 3 à 13 %, entre 93 et 102 dollars, alors que dans le scénario médian le pétrole se situerait entre 109 et 121 dollars. Dans le scénario du pire, le pétrole atteindrait des sommets, entre 140 et 157 dollars, soit potentiellement supérieur au record absolu des 147,50 dollars de 2008.

Les chocs pétroliers ont été nombreux dans l’histoire récente, la question est de savoir s’ils produisent des réactions systémiques en chaîne. Celui de 1973, à l’occasion de la guerre du Kippour, était aussi un choc monétaire (le dollar qui payait le baril n’était plus convertible en or depuis l’été 71) et mit assurément fin aux Trente Glorieuses. Celui de 1979, à l’occasion de la révolution iranienne, déjà beaucoup moins, les pays industrialisés s’étant dotés de programmes nucléaires et la hausse du prix avait valorisé les recherches en mer du Nord ou en Alaska et en Afrique. Il fut suivi assez rapidement d’un contrechoc pétrolier qui vit le baril baisser de façon significative, au moins jusqu’aux premières années du XXIe siècle. Puis, la croissance mondiale aidant, sa demande remontait et son prix suivait, on parlait alors de peak oil, soit un maximum d’utilisation de la ressource. Ce qui ne fut pas le cas, la recherche continuant de trouver du pétrole, et sa durée de vie est encore longue, n’en déplaise aux écologistes. C’est à l’occasion de la crise financière de 2008 que le prix du baril atteignit des sommets historiques, avant de refluer, pour se situer aux environs de 40 dollars en fin d’année. L’envolée du prix de l’or noir s’expliquait, comme les années précédentes, par le dynamisme de la demande de pétrole, sous l’effet notamment de la forte croissance des pays émergents, en particulier de la Chine.

L’Europe sauvée par le gaz et… l’Ukraine ?

En revanche, pour le gaz, l’Europe a franchi une étape cruciale en remplissant ses capacités de stockage de gaz naturel à hauteur de 99,6 % (la France à 100 %, l’Allemagne à 100,1 %, l’Espagne à 100,4 %, et le Royaume-Uni à 102,6 %). Ce surplus, qui a pour effet immédiat une baisse des prix du gaz, est une bouffée d’oxygène pour les économies européennes, encore récemment préoccupées par la diminution des importations russes, compensées par celles de l’Ukraine, un bénéfice rare et méconnu du soutien à l’Ukraine. Ses vastes réservoirs souterrains situés principalement à l’ouest, loin des zones de conflit, deviennent un atout pour l’Europe : plus de deux milliards de mètres cubes. La sécurité énergétique semble assurée pour l’instant, avec un risque faible de pénurie pour cet hiver.

Gaza et la convoitise gazière

Il y a dans le conflit local une dimension de guerre de l’énergie. L’enjeu géostratégique en est le gisement offshore au large de la Bande de Gaza dont les droits anglais viennent d’expirer. Le champ Marine 1, premier champ gazier de Gaza, a été découvert dans les années 1990 dans les eaux territoriales de l’enclave. Il est situé à 36 kilomètres à l’ouest de la Bande de Gaza, dans les eaux méditerranéennes, et a été exploité en 2000 par la société British Gas. Le champ Marine 2 est situé dans la zone frontalière entre Gaza et Israël. Les Palestiniens ne peuvent cependant pas exploiter les deux champs gaziers en raison de l’opposition d’Israël : à l’origine, néanmoins, c’était un projet conjoint de l’Autorité palestinienne, de l’Égypte et d’Israël. Dans un communiqué publié avant le conflit, le Hamas avait déclaré qu’il ne permettrait pas à l’occupant israélien d’utiliser la question du champ gazier de Gaza comme instrument pour conclure des accords politiques et de sécurité avec d’autres parties.

Inflation, hausse de taux et récession

Le plus à craindre serait qu’un choc pétrolier, ou simplement l’inquiétude liée à la guerre, vienne renforcer l’inflation et ralentir la croissance économique déjà très basse, comme en France, et exacerber les tensions sociales. Les pays importateurs de pétrole, déjà confrontés à des déficits commerciaux croissants, à des pressions budgétaires accrues et à des endettements abyssaux, seraient particulièrement vulnérables. La BCE vise une inflation annuelle de 2% ; l’Insee, de son côté, table sur une inflation proche des 5% sur un an pour 2023 en France.

Ce sont là généralement les ingrédients d’un krach boursier. L’inflation mange les bénéfices des entreprises qui n’arrivent pas à sauvegarder le niveau de leurs marges. Pour lutter contre l’inflation, les banques centrales montent les taux. En montant les taux, il y a moins de croissance, donc moins de ventes et moins de bénéfices, et la dette à court terme des sociétés endettées coûte de plus en plus cher, ce qui entraîne moins de bénéfices et, parfois pour les entreprises les plus fragiles, de grosses difficultés. Un krach boursier peut donc se produire sauf si les banques centrales annoncent une baisse des taux directeurs. Sur le marché boursier français, quelques signes inquiétants : Worldline, Alstom, Atos, ou encore Sanofi sont des entreprises françaises dont le cours de bourse a chuté massivement (des baisses de 20 % à 60 % dans une journée) après des résultats décevants. La confiance des investisseurs est ébranlée mais sous l’effet d’analyses internes aux marchés, plus que celle de la conjoncture guerrière mondiale.

Guerre économique et économie de guerre

Depuis le début du conflit, la Banque mondiale souligne que les régions plus spécifiquement touchées économiquement sont l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient. Mais pour l’heure, une mer d’huile ! L’émergence des BRICS brouille les cartes : on voit mal l’Iran, l’Arabie saoudite et la Russie elle-même organiser un embargo, façon 1973, contre un Occident sur lequel il aurait assez peu d’impact, mais qui en revanche pénaliseraient les partenaires de ces mêmes pays. De ce point de vue, les Brics sont l’expression d’un changement significatif. Le Monde souligne que « si Paris, Londres, Washington, Berlin et Rome, ainsi qu’une partie des Brics, ont condamné sans réserve l’assaut sanglant du Hamas contre Israël, d’autres, comme le Soudan, la Chine, l’Égypte, s’en sont dispensés. Le soutien officiel à la Palestine ne fait pas l’unanimité en Afrique du Sud dont certains dirigeants se montrent plus mitigés, au risque de souligner les limites du groupe des pays émergents. » Il y a de la pensée magique dans cette phrase du Monde, le quotidien se rêve dans les années 70, au bon temps de la défense des peuples opprimés et de la décolonisation. En réalité, la question palestinienne n’est plus une question centrale au sein des non-alignés et de leurs héritiers, le « Sud global ». Ceci ne voulant pas dire que le problème palestinien n’en est pas un, simplement il semble ne plus s’articuler aussi fortement sur le jeu diplomatique mondial. La Russie tend à prendre ses distances avec Israël à l’occasion du conflit entre l’État hébreu et le Hamas, elle se rapproche de l’Iran et de ses alliés dans la région, dans une sorte de front commun contre « l’Occident » dans son acception géopolitique. Seule l’Inde, au sein des Brics, a fermement condamné l’attaque du Hamas, les autres se sont contentés de demander une désescalade.

Côté chinois, le conflit entre le Hamas et Israël a débuté en même temps que la réunion du Forum des nouvelles routes de la soie. La seule préoccupation chinoise face à ce conflit est d’assurer la pérennité du projet de connexion géoéconomique de l’Eurasie et de l’Afrique : elle pourrait trouver avec la Russie une nouvelle convergence puisque celle-ci vise à s’imposer comme l’allié incontournable du Sud global, ce qui signifie bien la volonté de changer l’ordre politique et économique mondial dominé par les États-Unis et leurs alliés. Les conséquences économiques du conflit au Proche-Orient seront probablement défavorables à l’Europe, mais pour le reste du monde, sauf apocalypse, elles peuvent permettre aux pays émergents de prendre encore un peu plus la main dans le jeu international, tant sur le plan géopolitique qu’économique.

 

Illustration : Gaza, l’enjeu gazier.

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