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Benoit XVI, le pape inattendu

Quand Benoit XVI devient pape, les Allemands continuent de le mépriser et les progressistes ne désarment pas. Nonobstant ses évidentes qualités, tout son pontificat sera systématiquement analyse pour en pointer les défauts, quitte à être de mauvaise foi, comme pour son discours de Ratisbonne.

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Benoit XVI, le pape inattendu

C’est en pleine conférence sur l’Europe que Joseph Ratzinger apprend la mort du pape Jean-Paul II, le 2 avril 2005. À la surprise générale, un conclave très court le choisit pour successeur de saint Pierre. Le nouvel évêque de Rome prend le nom de Benoît XVI.

Au VIe siècle, saint Benoît aurait vécu trois ans dans une grotte à Subiaco, à 70 kilomètres à l’est de Rome. Il est déclaré patron de l’Europe par Paul VI en 1964. Le 1er avril 2005, Joseph Ratzinger, alors préfet de la Congrégation pour la doctrine de la Foi, a prévu de faire le voyage pour donner une conférence le soir même sur « l’Europe dans la crise des cultures », à l’invitation de la Fondation Vita e Famiglia qui doit lui décerner le prix Saint-Benoît.

Mais ce matin-là, après un coup de téléphone alarmant du secrétaire de Jean-Paul II, Stanislas Dziwisz, il se rend au chevet du pape agonisant. Il ne sait pas que c’est leur dernière entrevue. Celle-ci sera brève : le pape ne peut plus parler. Joseph Ratzinger lui demande de le bénir encore une fois. Puis il se penche vers le lit du malade et murmure : « Saint-Père, je vous remercie de tout ce que vous avez fait ».

Il songe alors à annuler son départ pour Subiaco mais le cardinal Sodano le presse de partir. Dans l’église bondée, son secrétaire, Georg Gänswein, entré à son service deux ans plus tôt, a pris place au premier rang, son portable à la main.

Le non-sens d’une Europe sans Dieu

Le discours de Subiaco se révélera fondamental, comme en son temps celui de Gênes (20 novembre 1961) : il énonce en substance que Dieu est évincé de la sphère publique, que l’appréhension du divin se réduit à une notion individuelle et subjective. En témoigne l’absence de référence à Dieu dans le préambule de la Constitution européenne.

« L’affirmation selon laquelle une mention des racines chrétiennes de l’Europe blesserait les sentiments de nombreux non-chrétiens en Europe n’est pas convaincante car il s’agit avant tout d’un fait historique que nul ne peut nier, explique le cardinal Ratzinger. Qui serait blessé ? De qui l’identité serait-elle menacée ? Les musulmans… ne se sentent pas menacés par les fondements de notre morale chrétienne, mais bien plus par le cynisme d’une culture sécularisée qui nie ses propres bases. De même nos concitoyens juifs ne seront pas blessés par une référence aux racines chrétiennes de l’Europe qui remontent jusqu’au mont Sinaï… De même les croyants d’autres religions. Mais bien plus blessante est l’intention de créer une communauté humaine sans Dieu. Ce dont nous avons besoin avant tout à ce moment de l’Histoire, c’est d’hommes qui par une foi éclairée et vécue, donnent à croire en Dieu, d’hommes qui fixent leur regard sur Dieu et de là touchent toute la vraie humanité, d’hommes dont l’intelligence est éclairée par la lumière de Dieu et dont le cœur est ouvert à Dieu, de telle sorte que leur intelligence parle à l’intelligence des autres et leur cœur aux autres cœurs. C’est seulement à travers des hommes qui sont touchés par Dieu que Dieu peut revenir vers les hommes ».

Aux deux tiers de la conférence, appel du cardinal Sodano : le pape touche à sa fin. Le cardinal Ratzinger décide de rentrer immédiatement. Une heure plus tard, il aperçoit la place Saint-Pierre remplie de monde. Mais le pape vit encore.

Le lendemain 2 avril, Jean-Paul II souffle une dernière prière : « laissez-moi aller vers le Père », et meurt.

Joseph Ratzinger apprend la nouvelle du cardinal Sodano par téléphone.

En tant que doyen du collège des cardinaux, il lui revient de confirmer la mort du pape, puis de lui recouvrir le visage d’une étoffe blanche, mais surtout de mener les obsèques. Celles-ci ont lieu le 8 avril 2005, elles sont suivies à la télévision et sur les ondes par plus d’un milliard de personnes. Joseph Ratzinger fait de la phrase du Christ : « suis-moi ! » le cœur de sa prédication.

À l’inverse des autres cardinaux en poste dans les dicastères, le préfet non seulement reste en fonction mais est chargé d’organiser le scrutin pour élire le nouveau pape qui va inaugurer le troisième millénaire. Il a déjà réservé son vol pour Munich le 4 mai et compte bien aller se reposer après.

L’archevêque de Cologne vient le voir et lui dit : « Joseph, écoute-moi, tu vas me prendre pour un fou, mais cela m’est égal. Car il en va du bien de l’Église ». Ratzinger lève les yeux de son bureau mais ne dit mot. Mgr Meisner lâche alors : « tu dois devenir pape ». Joseph Ratzinger continue d’écrire et répond : « tu es vraiment fou »[1]. Juste avant le conclave, Meisner lui achètera sur le Borgo Pio une statuette de Marie aux trois mains qu’il lui demandera de mettre dans sa serviette… En face, le clan de « Saint Gallen » rassemble depuis 1996 des cardinaux hostiles à la ligne Jean-Paul II-Ratzinger. Leur candidat favori ? Jorge Maria Bergoglio.

Le 16 avril, Joseph Ratzinger fête ses 78 ans.

Ce même jour, il prononce devant ses pairs une homélie qui s’avérera l’un des textes les plus marquants de sa vie. C’est un commentaire d’une lettre de Saint Paul aux Éphésiens[2]. Il le conçoit comme un ultime message du doyen des cardinaux.

« Combien d’opinions sur la foi avons-nous connu ces dernières décennies, combien de courants idéologiques, combien de façons de penser ? Le frêle esquif de la pensée de nombreux chrétiens n’a pas été loin de chavirer, projeté d’un extrême à l’autre : du marxisme au libéralisme voire au libertarisme, du collectivisme à l’individualisme radical, de l’athéisme à un vague mysticisme religieux, de l’agnosticisme au syncrétisme et ainsi de suite… En ce temps-là, une foi clairement issue du Credo de l’Église était estampillée souvent comme un fondamentalisme alors que de nos jours le relativisme, dont les enseignements consistent à se laisser pousser ici ou là au gré du vent dominant, apparaît comme la seule posture tenable ».

Et d’appeler les catholiques à « une foi adulte et mûre qui plonge ses racines dans l’amitié avec le Christ et ne suit pas les dernières nouveautés ni les vagues de la mode ».

Joseph Ratzinger conclut son prêche en rappelant que ce qui reste ce n’est pas l’argent, ni les édifices, ni même les livres. « Après un temps plus ou moins long, toutes ces choses disparaissent… la seule chose qui reste, c’est l’âme humaine créée par Dieu ».

Un pape salué puis hué

Au terme d’un des plus courts conclaves de l’histoire – 26 heures – il recueille 77 voix sur 115 au quatrième tour de scrutin. Une fois de plus, le vieux cardinal va devoir reprendre du service. Il s’était pourtant dit qu’un pape de 78 ans serait incongru au regard de la limite d’âge d’un évêque (75 ans) : Jean-Paul II avait vingt ans de moins lorsqu’il fut élu en 1978 ! Plus tard, il confiera à ses compatriotes qu’il s’était adressé à Dieu en lui disant : « Ne me fais pas ça ! »…

Premier pape allemand élu depuis 480 ans, il choisit son nom en référence à Benoît XV – « qui a conduit l’Église dans le temps troublé de la Première Guerre Mondiale » mais surtout à saint Benoît – « qui représente un point d’ancrage pour l’unité de l’Europe et une référence aux racines chrétiennes essentielles de sa culture et de sa civilisation ».

Dans la Camere delle Lagrime, le nouveau souverain pontife enfile rapidement une soutane trop courte, des surplis blancs mal repassés et des pantoufles rouges qui ne sont pas à sa taille, le tout sur son éternel pull-over noir dont les manches vont dépasser à l’image, lorsqu’à 18h43, ce 19 avril 2005, il apparaît au balcon, joyeux et souriant, acclamé par une foule de 100.000 personnes sur la place Saint-Pierre.

Seuls deux évêques allemands assistent à son discours du 25 avril 2005.

Les médias occidentaux ne l’entendent pas de cette oreille. « Le rottweiler de Dieu est le nouveau pape » titre le Daily Telegraph, « Du jeune hitlérien au Papa Ratzi » résume The Sun – tandis que le Daily Mirror reprend son « Panzerkardinal » et que l’Independent choisit pour sa couverture une photo de Joseph Ratzinger en uniforme militaire datant de 1943. Seules quelques voix dissonantes se font entendre, du Spectator au Figaro ; Haaretz en Israël salue celui qui a transformé les relations entre le judaïsme et la chrétienté depuis 20 ans.

À l’échelon des gouvernements, l’élection du nouveau chef de l’Église catholique est saluée unanimement mais la première visite de l’ambassade chinoise consiste à demander l’interruption des « dites relations diplomatiques » avec Taiwan et affirme que la nomination des évêques en Chine est une ingérence inacceptable dans les affaires intérieures.

Quant à son pays natal… seulement deux évêques allemands assistent à son discours du 25 avril où un millier d’Allemands sont venus l’écouter dans la salle des audiences, tandis que le secrétaire de la conférence des évêques allemands n’a pas daigné se déplacer.

Benoît XVI avait prévenu : « Celui qui recherche le confort n’est pas à la bonne adresse ». Le « petit pape », comme il se nomme lui-même, se lève tous les matins à 5 heures et demie, dit la messe dans la chapelle privée, sans visiteurs : « J’ai besoin de silence et de concentration, de célébrer la messe sans grande compagnie et après de pouvoir prier. Je ne suis pas de taille à passer ensuite la journée entière à rencontrer des gens et à parler des langues différentes, cela aurait été trop pour moi. De la même façon j’ai besoin de silence pendant les repas ».

Un pontife qui n’hésite pas à puiser dans la tradition pour créer… la nouveauté. En témoigne son blason duquel la tiare disparaît pour céder la place à une mitre d’argent qui porte non plus les trois couronnes associées au triple pouvoir d’Ordre sacré, de Juridiction et de Magistère mais des bandeaux d’or reliés verticalement entre eux. Et l’introduction du pallium qui se réfère aux premiers temps de l’Église et symbolise la charge de pasteur du troupeau et le partage de cette fonction avec les autres évêques.

En mai 2005, il entreprend les premiers de ses 48 voyages : de Bari aux journées mondiales de la jeunesse à Cologne, c’est un succès ; certains journaux parlent d’euphorie.

À la fin de 2005, il publie sa première encyclique : Deus caritas est (Dieu est amour) sur l’amour chrétien. Deux autres suivront : Spe salvi (Sauvés par l’Espérance) sur l’espérance chrétienne en 2007 et Caritas in Veritate (La Charité dans la Vérité) sur le développement humain intégral dans la charité et la vérité en 2009. Tout en continuant à publier sa trilogie sur Jésus de Nazareth (2007) qui sera un nouveau best-seller.

Foi et Raison, le « grand » discours de Ratisbonne

De l’université à la cathédrale de Ratisbonne, ce 12 septembre 2006, il y a quelques pas que l’ancien professeur de théologie parcourt à pied, rompant le protocole, comme pour montrer l’indissoluble relation entre la raison et la foi. Devant un millier de prêtres et religieux consacrés, il manie comme à son habitude l’autodérision en parlant du « grand discours » qu’il leur a préparés sur l’insistance de la direction de l’Université – lui-même se serait contenté d’évoquer quelques souvenirs.

Sous le titre « Foi, raison et université – souvenirs et réflexions », il cite le livre de l’islamologue et prêtre libanais Théodore Khoury qu’il venait de méditer les semaines précédentes. Et en particulier l’entretien qui eut lieu vers 1400 entre l’empereur byzantin Manuel II Paléologue et un Perse lettré : « Ce dialogue, explique le pape, porte sur toute la dimension des structures de la foi contenues dans la Bible et le Coran et s’arrête notamment sur l’image de Dieu et de l’homme ». Le discours continue sur une douzaine de pages, il souligne l’importance de ne pas exercer de pression ou de violence dans le domaine de la Foi, le public applaudit, les journalistes du Net se contentent de commenter que le pape s’est prononcé pour un dialogue avec l’Islam. Des millions de téléspectateurs ont regardé le voyage du pape. L’avion pontifical à peine posé à Rome, c’est une autre histoire.

Isolée du contexte, une phrase de l’empereur sur la guerre sainte va mettre le feu aux poudres. Citée par le pape, elle va devenir aux yeux du monde la phrase du pape : « Sans s’arrêter sur les détails, tels que la différence de traitement entre ceux qui possèdent “le Livre” et les “incrédules”, l’empereur, avec une rudesse assez surprenante qui nous étonne, s’adresse à son interlocuteur simplement avec la question centrale sur la relation entre religion et violence en général, en disant : « Montre-moi donc ce que Mahomet a apporté de nouveau, et tu y trouveras seulement des choses mauvaises et inhumaines, comme son mandat de diffuser par l’épée la foi qu’il prêchait ». L’empereur, après s’être prononcé de manière si peu amène, explique ensuite minutieusement les raisons pour lesquelles la diffusion de la foi à travers la violence est une chose déraisonnable. La violence est en opposition avec la nature de Dieu et la nature de l’âme… ».

De l’Iran à la Turquie, les condamnations pleuvent : des drapeaux, mais aussi des églises sont brûlés. Une Italienne consacrée est assassinée à Mogadiscio. Des menaces d’Al-Qaïda courent sur le net : « Nous allons démolir la croix ». Au Vatican, où les discours sont théoriquement relus par la Secrétairerie d’État, nul n’aurait rien vu. Le pape ne put que reconnaître a posteriori son erreur politique.

 

Illustration : « Le Pape a souffert et aimé en communion avec le Christ et c’est pourquoi le message de sa souffrance et de son silence a été si éloquent et si fécond. » Obsèques de Jean-Paul II, homélie du cardinal Joseph Ratzinger.

 

[1]. Rapporté par Peter Seewald dans sa biographie, Benedikt XVI, ein Leben, Droemer, mars 2020, que nous résumons ici.

[2]. 4,14 « Ainsi nous ne serons plus des enfants, nous ne nous laisserons plus ballotter et emporter à tout vent de la doctrine, au gré de l’imposture des hommes et de leur astuce à fourvoyer dans l’erreur ».

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