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Bénédiction des unions homosexuelles : la révolte des périphéries ?

Ce devait être une mesure « pastorale » mais audacieuse dans un pontificat qui se veut, jusqu’à la fin, disruptif. Le texte romain autorisant les bénédictions des unions irrégulières et homosexuelles a fait l’objet d’une vive contestation qui ne s’était jamais produite dans un passé récent. Un refus inédit de la langue de bois au sein d’une Église que l’on croyait lovée dans une certaine modernité.

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Bénédiction des unions homosexuelles : la révolte des périphéries ?

Nous sommes le 19 décembre 2023 : peu de temps avant Noël, le dicastère pour la Doctrine de la Foi publie un texte qui autorise les bénédictions de couples de même sexe ou irrégulières. Si le texte est assorti de précautions – pas question de bénédictions dans un cadre liturgique –, ses possibilités ont l’effet d’une bombe. Pour le commun des mortels, le message est simple : l’Église approuve les unions irrégulières en leur donnant un quitus spirituel. Alors même que le synode sur la synodalité avait exclu cette démarche, Rome approuve, ce qui a même surpris un public pourtant modéré, contribuant certainement à déplacer plus au centre le curseur de la résistance à la crise de l’Église. Pour la première fois depuis Vatican II, des évêques contestent ouvertement des orientations vaticanes sans prendre de gants. La dernière fois, c’était en 1965, quand les évêques de la minorité conciliaire (le Coetus Internationalis Patrum) mettaient en cause certains schémas qui allaient devenir les textes du Concile. La crise ouverte le 19 décembre dernier est une première au sein d’une Église divisée mais où paradoxalement les oppositions n’avaient pas de dimension collective et organisée, insérée ouvertement dans la machine ecclésiale. Ainsi, la contestation d’Amoris Laetitia a été le fait d’évêques isolés ou émérites ou d’anciens membres de la Curie. La réponse aux dubia n’a été adressée qu’à quelques prélats retraités. Cette fois-ci, des épiscopats entiers prennent publiquement leur distance vis-à-vis du texte romain. Avec le risque patent de vouloir rebattre les cartes lors d’un prochain conclave en raison d’un climat bouillant. Ou comment donner un point de chute à une opposition au pape avec le refus de l’homosexualisation du magistère.

Une construction fragile, compliquée et rapidement contestée

La déclaration survient deux ans après un premier texte du même dicastère qui affirmait, le 25 février 2021, que « la bénédiction des unions homosexuelles ne peut être considérée comme licite ». Le nouveau document considère, lui, qu’« il est possible de bénir les couples en situation irrégulière et les couples de même sexe » (n. 31). En si peu de temps, et avec si peu de précaution dans le vocabulaire, la démarche du dicastère s’apparente plus à une révolution et à une contradiction qu’à un réel développement doctrinal. Elle donne la fâcheuse impression que François – ou son entourage – a voulu faire un coup. Si les affirmations font l’effet d’un tonnerre, le texte révèle un malaise certain, porté par un raisonnement compliqué. Les bénédictions doivent se faire hors cadre liturgique et rituel, « sous une forme qui ne doit pas être fixée rituellement par les autorités ecclésiales ». La volonté de faire refluer la bénédiction dans le domaine des paraliturgies n’est pas habile, car les paraliturgies restent en connexion avec la liturgie. Les orientaux en savent quelque chose, eux qui intègrent les bénédictions dans les offices liturgiques. Qu’est-ce qu’une messe, par exemple, si ce n’est la bénédiction suprême, puisque l’une des dimensions du sacrifice de la messe est bien eucharistique (« action de grâce »). Mais une justification confuse qui invoque le non-rituel et le non-liturgique ne suffit pas à convaincre. Très rapidement, aux alentours de Noël, plusieurs conférences épiscopales ont vivement répliqué. Ainsi, les conférences du Malawi, du Zambie, du Nigéria et du Cameroun interdisent la bénédiction des couples homosexuels ou irréguliers et certaines de ces conférences vont même affirmer le caractère « intrinsèquement désordonnés » des actes homosexuels (Côte d’Ivoire) ou rappeler que « l’homosexualité falsifie l’anthropologie humaine » (Cameroun). Les évêques américains ont confirmé l’enseignement classique de l’Église, et certains, comme ceux du Dakota du Sud, ont rappelé que « les ministres de l’Église ne peuvent bénir le péché ». Mais le désaveu ne se limite pas à des épiscopats de nouvelle chrétienté ou à des pays dont l’Église est réputée conservatrice (Pologne, Hongrie ou États-Unis). Les évêques français de la province ecclésiastique de l’Ouest indiquent que les bénédictions seront individuelles. Le malaise vient aussi de pays déchristianisés censés être « accommodants ». La déclaration de la Conférence des évêques de France du 10 janvier 2024 ne parvient pas à calmer la polémique, car des interprétations contradictoires en ressortent. Pour certains, les évêques ont approuvé les bénédictions des couples. Mais pour d’autres, seules les bénédictions individuelles sont acceptées. Même la presse est dans l’embarras…

Une défense alambiquée et maladroite

La réponse du cardinal Fernandez, le préfet du dicastère pour la Doctrine de la Foi, reste confuse, et ce du début à la fin. Dans un entretien donné au site The Pillar, le cardinal défend une casuistique vaporeuse : il s’agirait de bénir les couples, mais pas les unions (!). Une telle distinction est incompréhensible, car comment distinguer les deux réalités ? Un couple est forcément une union, et une union suppose logiquement un couple… Lapalissade qui n’a pas fait sursauter le théologien qu’est le cardinal Fernandez. Il aurait tout simplement été plus fin d’affirmer que l’on se bornait à bénir des individus, à l’instar de ce que proposa, par exemple, Mgr Aillet, l’évêque de Bayonne, Lescar et Oloron, qui a déjà pris ses distances avec l’admission des unions civiles d’homosexuelles défendues par le pape. Mais à force de vouloir faire du neuf tout en ne voulant pas se contredire tout en étant conscient de la fronde, on ne convainc personne. Face au tollé, Rome a tenté une réponse officielle par un communiqué publié le 4 janvier 2024. S’il n’entend pas déjuger la déclaration, le nouveau texte est maladroit. Sur la forme, le communiqué contredit la précédente déclaration qui affirmait pourtant qu’« on ne doit donc pas attendre d’autres réponses sur d’éventuelles dispositions pour réglementer les détails ou les aspects pratiques quant à des bénédictions de cette sorte » (n. 41). On ne saurait être aussi dissonant, non plus en deux ans mais en quelques jours… Il admet une application différée de la déclaration et reconnaît aux évêques un pouvoir de discernement selon les situations locales. Le communiqué se lance ensuite dans une tentative de cadrage des bénédictions – comme si celui de la déclaration n’était pas suffisant en soi – : il propose une prière simple (au rebours de l’exclusion des bénédictions non rituelles) qui écarte toute approbation des comportements polémiques : « Seigneur, regarde tes enfants, accorde-leur la santé, le travail, la paix et l’aide réciproque. Délivre-les de tout ce qui contredit ton Évangile et donne-leur de vivre selon ta volonté. Amen. » et ces bénédictions devront « être très brèves », c’est-à-dire durer 10 ou 15 secondes. Un tel chronométrage devient risible… Des homosexuels n’ont pas apprécié cette course contre la montre mais aussi la relégation de ces bénédictions en sacristie, les églises étant en effet exclues de la déclaration, le communiqué rappelant que la bénédiction « ne doit pas avoir lieu en un lieu important d’un édifice sacré ni devant l’autel car cela créerait de la confusion ». Les intéressés sont même priés de ne pas se vêtir comme s’il s’agissait d’une cérémonie civile… L’assimilation aux couples « irréguliers » a aussi suscité la colère des homosexuels qui n’apprécient pas d’être classés dans les unions « ratées ». Sur le fond, le dicastère précise que « les bénédictions non ritualisées ne sont pas une consécration de la personne ou du couple qui les reçoit, elles ne sont pas une justification de toutes leurs actions, elles ne sont pas une ratification de la vie qu’il mène ». Il est difficile de ne pas y voir un rétropédalage, alors que le communiqué affirme que la déclaration initiale n’est pas « hérétique, contraire à la Tradition de l’Église ou blasphématoire » et confirme son « haut profil magistériel » (?!).

Si les choses avaient été si claires dans le texte initial, comment expliquer le fait que quinze jours après Rome s’est sentie obligée de publier des précisions foncièrement rectificatrices, peu concevables avant le tollé ? Rome en arrive même à dispenser de son magistère en approuvant une déclaration des évêques africains datée du 11 janvier 2024 qui indique qu’ils ne béniront pas les unions homosexuelles… Le cafouillage aura transformé une tentative magistérielle en exercice désespéré de communication de crise. La secousse sismique a certainement révélé un mouvement tectonique avec des Églises qui entendent rappeler qu’elles ont leur mot à dire dans la géopolitique ecclésiale.

 

Illustration : « C’est vraiment inattendu… »

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