Toute l’Afrique ou presque est en proie aux convulsions démocratiques : la greffe occidentale n’a pas prise. Petit tour d’horizon de pays sous influence, où les clans se disputent le droit de profiter des puissances étrangères.
L’ Afrique est comme les plaques tectoniques, en perpétuel mouvement. Algérie, Soudan, Libye, Afrique du Sud, Côte d’Ivoire, Nigeria… Il n’est pas un seul pays de ce continent qui ne fasse l’actualité politique. Aussi brûlante et violente que le soleil qui rougit sa terre latérite, l’Afrique alimente quotidiennement les principaux titres des médias nationaux et internationaux.
Au pouvoir depuis 1999, le président Abdelaziz Bouteflika a fini par rendre les armes le 2 avril. Du moins, son entourage le plus proche a décidé de faire démissionner très à propos un homme devenu un fantôme pour les Algériens, qui n’avait plus pris la parole depuis des mois et qui ne se déplaçait que dans une chaise roulante électrique depuis son accident vasculaire cérébral. À 82 ans, l’ancien combattant et cadre du Front de libération nationale (FLN) était fortement contesté par les Algériens, descendus en masse dans les rues des principales villes du pays, dénonçant un véritable rapt de la démocratie. En annonçant qu’il allait se représenter pour un cinquième mandat, Bouteflika a cristallisé contre lui toute une population épuisée par la mainmise de son clan sur l’État. Il ne sera pas l’homme d’un regret. Acculé, il se glorifie dans son message de départ des « progrès notables, réalisés dans tous les domaines » durant sa présidence. Exit les affaires de corruption, le peu de respect de la liberté de la presse ou les répressions en tout genre. Mais une fois passée l’euphorie du départ d’Abdelaziz Bouteflika, il faut se rendre à l’évidence. Le FLN ne lâche pas pour autant le pouvoir et c’est le général Ahmad Gaïd Salah, chef d’état-major, qui a signé réellement la fin de la récréation tant au palais d’El Mouradia que dans la rue. Ce cacique issu du parti qui gère l’Algérie comme sa propriété privée est devenu l’arbitre incontournable d’une crise politique dont il est aujourd’hui difficile de dire quelle sera sa première conclusion lors de la prochaine élection présidentielle, prévue le 4 juillet.
Pouvoir au peuple !
La ville de Khartoum enflamme les esprits. Lorsqu’en 1966 sort sur les écrans le film éponyme, avec dans le rôle principal l’acteur Charlton Heston, c’est un succès. C’est dans ce pays, le Soudan, terre des pharaons noirs, que se sont livrées des batailles épiques entre les Britanniques et les troupes messianiques du Madhi fou. En 1989, le colonel Omar Hassan El Béchir décide de destituer le premier ministre Sadeq al-Mahdi. Cet arrière-petit-fils du Madhi dirigeait difficilement le pays avec un gouvernement de coalition très instable. Omar El Béchir finit par suspendre les partis politiques et institutionnalise un régime de type islamique qui devient une plaque tournante de tout le djihadisme international. Sa présidence est marquée par la guerre civile qui ronge le sud chrétien (qui finira par prendre son indépendance en 2011), par le génocide orchestré dans le Darfour (un mandat d’arrêt international est lancé, sans grand succès), par l’absence de tout respect des règles légales les plus élémentaires, jouant sans cesse avec son opposition qu’il nomme au gouvernement avant de la destituer selon son bon vouloir, et une crise économique qui va finalement plonger le pays dans la récession. Lassée par des mois de protestations intenses, l’armée a finalement lâché son maître à penser. Après quelques jours de confusion, le général Abdel Fattah al-Burhan est devenu l’homme fort de l’ancienne Nubie. Ce n’est pas un pilier du régime, il a promis de rendre le pouvoir aux civils sous deux ans. La même promesse politique que fit El Béchir à son arrivée au pouvoir, lui qui dort désormais depuis plusieurs jours en prison. Fin de partie pour un dictateur devenu le premier kleptomane de son pays.
Les États-Unis en embuscade
Non loin de ses frontières, la Libye est en proie à une violente guerre civile qui a éclaté en 2011. Le renversement et la mort du colonel Mu’ammar Kadhafi n’ont pas permis à ce pays, qui a assuré durant des décennies la sécurité des frontières maritimes (avant qu’elles ne deviennent poreuses), de se réconcilier avec lui-même. Deux gouvernements se disputent la légitimité d’un pouvoir déstabilisé par les seigneurs de la guerre qui contrôlent tels ou tels ports. Le maréchal Khalifa Haftar s’est imposé progressivement sur la turbulente scène politique libyenne. Non sans répercussions internationales. La France, déjà sous le coup de nombreuses accusations d’ingérence, a dû démentir un éventuel soutien au militaire et rappelé qu’elle ne reconnaissait que le gouvernement de Fayez el-Sarraj. L’offensive du maréchal Haftar sur la capitale Tripoli, officiellement pour nettoyer le « nid de terroristes qui y vit », constitue une véritable tentative de coup d’État condamnée par l’Organisation des Nations Unies. Est-il alors soutenu par les États-Unis ? Le coup de téléphone de Donald Trump à Haftar pour parler « d’une vision commune » laisse à peine planer le doute sur les réelles motivations et intentions des Américains dans la course à l’or noir.
L’Afrique du Sud
L’élection en 1994 de Nelson Mandela, premier président noir d’Afrique du Sud, avait suscité de nombreux espoirs. Un quart de siècle plus tard, les Sud-Africains ont déchanté. L’African National Congress (ANC) n’a non seulement pas réussi à réduire les inégalités sociales mais a réveillé les démons raciaux en cédant aux demandes du populiste Julius Malema, qui entend redistribuer les terres arables toujours détenues à 70% par des Afrikaners. Le pays n’en finit pas de panser les plaies du passé et menace de sombrer dans la guerre civile. L’accroissement de la criminalité a fait de la « Rainbow nation » un des pays les plus violents de l’Afrique australe. À l’approche des élections le 8 mai, le chemin vers la réconciliation est encore long alors que différents mouvements sécessionnistes prônent désormais ouvertement l’éclatement du pays. Miné par la corruption, le parti du président Cyril Ramaphosa devrait « sauver les meubles ». Reste à savoir quel sera le poids électoral du parti de Malema à l’issue de ce scrutin. Il fait, selon les sondages, jeu égal avec le premier parti d’opposition multiracial, l’Alliance démocratique. Tout un symbole dans une Afrique du Sud qui a vu la renaissance des revendications d’une extrême-droite blanche qui entend toujours obtenir son « volkstaat » indépendant.
Les houphouëtistes pour la démocratie et la paix
L’Afrique de l’Ouest n’est pas exempte de soubresauts. Le Cameroun est en proie à une insurrection armée dans sa partie anglophone. Le Nigéria cherche son président qui a été quasi-absent de son mandat pour raisons de santé. Son bilan est plus que mitigé : le pays est toujours aussi vulnérable aux attaques de la secte islamique Boko Haram, qui n’hésite plus à s’attaquer aux nombreux sultans qui peuplent cette puissance pétrolière. Pourtant, et contre toute attente, Muhammed Buhari, qui s’est singulièrement rapproché de la Chine communiste, a été réélu président de ce géant économique du continent. La république fédérale, dont le nom rime avec la guerre du Biafra, n’arrive pas à endiguer les tensions ethniques qui sont nombreuses, laissant craindre un embrasement général dans la sous-région déjà malmenée par le développement de groupes terroristes islamiques dans le Sahel tel que celui d’Aqmi. La succession du président Alassane Dramane Ouattara (ADO), en Côte d’Ivoire, va-t-elle ressortir les machettes de l’ambition ? En froid avec le président du parlement démissionnaire et ancien allié, Guillaume Soro, et une alliance rompue avec l’ancien président Henri Konan Bédié, le bilan d’ADO se caractérise par une réelle stabilité économique : il peut s’en prévaloir, mais elle reste tributaire de l’ancienne puissance coloniale. Dans l’ombre, l’ancien président destitué Laurent Koudou Gbagbo, récemment acquitté des accusations de meurtres portées contre lui depuis sa citation en 2011 à la Cour internationale de la Haye. Son retour en Côte d’Ivoire ne rassure pas la communauté internationale ni les acteurs locaux. En particulier son propre parti, le Front populaire ivoirien, qui s’est passé de lui pendant huit ans et qui conteste son leadership. Dans ce contexte, le président Ouattara (qui a créé le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix) a laissé entendre qu’il pourrait faire un troisième mandat. En dépit de la constitution qui limite la présidence ivoirienne à deux quinquennats. Certains prendraient cela pour de l’humour noir mais « dans un pouvoir despotique, la main lie le pied ; dans une démocratie, c’est le pied qui lie la main » dit le proverbe. La gouvernance du peuple ? En Afrique, des mots absents du dictionnaire, et qui contribuent à renforcer les caricatures et autres stéréotypes qui ont la vie dure chez les Européens qui continuent de jouer avec ce continent.
Par Frederic de Natal
Illustration : Bientôt, en Libye, une dictature militaire mais favorable aux États-Unis. Le petit détail qui change tout.
Cyril Ramaphosa juge avec pertinence la réussite de son parti, l’ANC au pouvoir depuis 25 ans :
« Nous ne pouvons pas être une nation libre tant que tant de gens vivent dans la pauvreté, n’ont pas assez à manger, n’ont pas de toit digne de ce nom, n’ont pas accès à des services de santé de qualité, n’ont pas les moyens de gagner leur vie ».