Tribunes
Que faire ?
Adieu, mon pays qu’on appelle encore la France. Adieu.
Article consultable sur https://politiquemagazine.fr
«Le populisme » a bon dos. L’Europe à force de bureaucratie, de lâcheté, d’incapacité a réussi à susciter dans les pays européens des réactions populaires qui se cherchent une expression sur le plan électoral.
Sous l’étiquette fourre-tout de « populisme », de nouvelles donnes électorales continuent à conforter l’expression et l’expansion du sentiment national à l’Est de l’Europe, en Tchéquie notamment avec le succès électoral d’Andrej Babis le 21 octobre dernier. On parle de résurgence du « populisme », mais ce « populisme-là » a-t-il jamais existé dans le passé ? Les « élites » européennes feraient bien de s’interroger sur cette facilité rhétorique qui leur cache la réalité. Brexit, AfD avec Alice Weidel en Allemagne, succès de la droite en Autriche avec Sebastian Kurz, Pologne de Kascynski, Hongrie d’Orban, Slovaquie de Fico, à quoi il faut ajouter le Danemark de Kristian Thulesen Dahl, la Hollande de Geert Wilders, les vrais Finlandais etc. La liste est longue qui est manifestement l’expression d’une vague profonde et durable ; en face, l’oligarchie européenne est muette comme elle l’est, d’ailleurs, devant les problèmes qui ont provoqué cette puissante réaction : l’immigration, l’insécurité, l’identité menacée, l’islam. N’allez pas demander à Jean-Claude Junker de se prononcer sur ces questions : il n’habite manifestement pas la même Europe que ses peuples.
La rhétorique mondialiste fleurit en fabriquant de l’histoire à la petite semaine. « Car si les hommes font l’histoire, disait Raymond Aron, ils ne savent pas quelle histoire ils font ». On parle ainsi d’un nouveau « rideau de fer », sauf qu’alors il faut se poser la question de savoir de quel côté se situe la liberté et où se trouve la souveraineté. En question aussi le retour de la fracture ancienne Est-Ouest. Il y a bien une faille qui se creuse, mais elle est d’un ordre tout à fait différent de celle qu’avait provoquée le communisme. À cette époque, on parlait de l’Occident où, d’ailleurs, Amérique du nord et Europe occidentale étaient englobées, pour désigner la partie qui échappait à la botte soviétique. Aujourd’hui le concept d’Occident n’est plus attaché à la défense de la liberté ; sa connotation sémantique l’associe plutôt à une forme de décadence ; il apparaît qu’à l’Est on ne veut pas la partager. Voyage au pays de la dissidence !
Après l’échec de Geert Wilder aux Pays-bas et la défaite de Marine Le Pen face à Macron, chacun a voulu se rassurer : le reflux était en cours ; la vague populiste était en recul. Las ! Voilà que dans le pays qui subit depuis deux générations le poids de l’opprobre, l’Allemagne, un parti réputé d’extrême droite, l’AfD entre au Bundestag avec près de 13% des voix. Angela Merkel a été l’agent imprudent de ce phénomène, même s’il avait commencé avant, et même bien avant, mais elle a cristallisé ce refus de disparaître sous le flot d’une immigration-invasion, non seulement des Allemands en tant qu’Allemands, mais aussi des Européens – espace Schengen oblige –, tant il est vrai que, en ce domaine aussi, la RFA est un modèle ou un antimodèle.
Dans « ce club populiste » de moins en moins fermé, la Hongrie de Viktor Orban fait figure de pionnier. Elle fut la première, comme jadis, traditionnelle sentinelle de l’Europe, située comme elle l’est aux marches orientales ; elle résista à nombre d’invasions, tatare, ottomane, soviétique (1). La Pologne et la Tchéquie qui avaient tout à craindre de leur puissant voisin russe, dans l’euphorie post-soviétique, s’étaient jetées dans les bras de l’Otan et achetaient du matériel militaire américain ; la Slovaquie de Fico (PNS) aussi. Or, les voilà aujourd’hui unies dans le groupe de Visegrad, essentiellement constitués pour résister à Bruxelles. Le dissident russe Bukovski à qui l’on demandait dans les années 80 ce qu’il pensait de l’Europe de Bruxelles, avait répondu : « Nous avons déjà vécu dans votre avenir ! » (2).
Le schisme est donc consommé avec l’élite européiste, avec son culte et sa pratique de la démocratie oligarchique, celle qui dit toujours non aux peuples. Mais il y a plus. Les analyses de Christophe Guilluy sur les centres et les périphéries délaissées trouvent ici aussi toute leur pertinence. À quoi s’ajoute le sentiment très prononcé « d’une insécurité culturelle », elle-même liée à l’insécurité des biens et des personnes.
L’affaire de la croix de Ploërmel en est une illustration particulièrement topique. Une poignée de libres penseurs bretons ayant obtenu du Conseil d’État, au nom de la laïcité, le retrait de la croix surplombant la statue de Jean-Paul II à Ploërmel, « le gouvernement polonais tentera de sauver de la censure le monument de notre compatriote, et nous proposerons de le transférer en Pologne, en cas d’accord des autorités françaises et de la communauté locale », a déclaré Beata Szydlo, Premier ministre polonais à l’agence PAP. Pour elle, le pape Jean-Paul II « est un symbole de l’Europe chrétienne unie ». Nous voici fort loin des racines musulmanes de l’Europe selon Jacques Chirac !
Alors que les autorités européennes s’acharnent à éradiquer le fond culturel européen, elles prétendent imposer en même temps aux peuples européens d’autres populations aux cultures totalement différentes ; autrement dit la classe dirigeante européenne organise « le grand remplacement ». Il était évident que le refus de cette immigration démesurée impliquerait évidemment la récusation de ceux qui en sont les fauteurs et les prêcheurs, le petit monde politico-journalistique de la bien-pensance officielle. L’insécurité, le terrorisme et l’islam ont fait le reste.
Quant à l’argument économique qui expliquerait pareille réaction – crise de 2008, chômage, désindustrialisation, soit l’interprétation marxiste –, même s’il faut en tenir compte, il n’est que la justification facile d’un phénomène qui, en fait, n’est plus contrôlé. Dans le cas de la Tchéquie par exemple, le taux de chômage est le plus bas de l’UE et la croissance la plus élevée (4,5%). Alors ?
Aussi bien, « le populisme » en question serait dès lors un phénomène contagieux, non seulement dans l’espace géographique mais encore dans l’espace politique. Ainsi, en Autriche le très jeune « leader » du parti conservateur Sébastian Kurz (31,7%) a taillé des croupières électorales au FPÖ nationaliste qui demeure néanmoins à un haut niveau (26%). Il en est de même en Hongrie où le parti d’Orban était autour de 44,9% tandis que le parti Jobbik irrédentiste est à 20%. Il en fut de même du parti UKIP en Grande-Bretagne qui précipita les Tories dans le Brexit. Même en Tchéquie, Babis a, sur sa droite, le mouvement du nippo-tchèque Tomio Okamura qui prône l’immigration zéro, l’interdiction de l’islam et… un rapprochement avec Moscou : Vaclav Havel approuverait, en patriote, cette réaliste orientation.
À suivre pareille analyse, la France compterait, elle aussi, deux mouvements « populistes » qui cumulent à eux deux près de 43% des voix ! Mais, caractères français obligent, l’un et l’autre ont des fortes connotations partisanes qui les opposent encore plus que tout ce qui les rapproche, ce qui explique en partie le succès de Macron, prétendument ni de droite ni de gauche !
Une question ne va pas manquer de se poser : si la vague « populiste » s’amplifie, l’Otan risque d’être remise en cause. Que faire de cette alliance défensive contre un danger qui a disparu ? Les Européens sont un peu comme les Grecs de l’antiquité, prisonniers de la ligue de Délos, alliance des cités contractée contre les Perses. Une fois la victoire acquise, la thalassocratie athénienne domina les cités grecques qui se révoltèrent. Aujourd’hui, reste l’appréhension du danger russe pour les pays limitrophe ; c’est pourquoi l’Amérique – une autre thalassocratie –, suivie par Bruxelles, tient tant à la perpétuation du conflit ukrainien. Un « limes » d’affrontement permet de justifier le maintien de l’alliance. À noter que la Hongrie a mis son veto à la convocation du prochain sommet OTAN-Ukraine. Cette décision fait suite à un différend entre la Hongrie et l’Ukraine portant sur la récente réforme de l’éducation qui menace, selon Budapest, la communauté hongroise d’Ukraine. On peut penser que ce différend va plus loin que la seule question du respect des minorités.
Cependant la presse a peu évoqué la création en 2016 à Dubrovnik en Croatie de l’ITM, l’Initiative des Trois Mers, qui réunit 12 pays de l’Europe centrale et orientale situés entre la Mer Noire, l’Adriatique et la Baltique : les 3 pays Baltes, la Pologne, la Tchéquie, la Slovaquie, la Hongrie, la Roumanie, la Bulgarie, le Slovénie et la Croatie, et l’Autriche. Certes, ces pays ont tous réaffirmé le lien transatlantique et les Russes s’en sont irrités, mais ce qui reste de l’UE, Bruxelles Paris et Berlin, en ont pris ombrage, subodorant une option potentielle pour affaiblir un peu plus l’Europe.
Quoiqu’il en soit, ce qui unit fondamentalement ces pays en ce moment, c’est une opposition de plus en plus déclarée à la direction européenne et singulièrement à l’oligarchie bruxelloise. Cette classe dirigeante a traité le phénomène par le mépris et la diabolisation. Il est vraisemblablement trop tard désormais pour redresser le mouvement ; la ligne de fracture se creuse chaque jour un peu plus. Et le président français est bien désormais le seul en Europe à croire à l’avenir d’un mythe qui s’est usé ; mais il est vrai qu’il s’imagine toujours par son charisme rajeunir les plus vieilles amours.