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À Boca Chica, la science-fiction devient réalité

C’est aux confins du Texas, sur le littoral du Golfe du Mexique, qu’Elon Musk a choisi d’implanter la base de construction et de lancement de sa fusée géante Starship. Son entreprise y pose les premières briques d’un projet qui pourrait marquer une étape fondamentale dans le déploiement de l’homme dans notre système solaire.

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À Boca Chica, la science-fiction devient réalité

Les passionnés du spatial ne s’y sont pas trompés. C’est aujourd’hui là qu’il faut être, là que se joue en partie l’avenir de l’astronautique, et peut-être même de l’homme. Ils ont investi le fin fond du Texas, sur la commune de Boca Chica, pour suivre en direct les évolutions de l’aventure SpaceX et partager leur travail sur internet. L’entreprise y développe une base d’un nouveau genre afin de construire en série une fusée géante et assurer des lancements à la chaine. Il y a quelques années, le projet semblait tenir de la science-fiction. Mais depuis le premier décollage le 20 avril dernier, l’impression d’ensemble commence à changer. Sur le papier, le pari d’Elon Musk peut paraître insensé. L’homme veut déployer la plus grosse fusée du monde (près de deux fois la puissance de la fusée lunaire des missions Apollo) et il souhaite rendre ses deux étages entièrement récupérables et réutilisables. Son projet nécessite en outre d’élaborer des ravitaillements en orbite, ce qu’aucune structure spatiale n’a jamais accompli. Dénommé Starship, l’engin pourrait diviser par dix le prix du kilo lancé en orbite basse, ce qui bouleverserait le marché, et il a été choisi par l’Agence spatiale américaine pour renvoyer des Américains sur la Lune. Son propriétaire voit plus loin et vise des allers-retours habités vers la planète Mars. Avec ses caractéristiques techniques, la Starship pourrait aussi expédier des sondes vers Jupiter en 2 ou 3 ans au lieu des 7 à 8 actuels.

La fusée réutilisable, une innovation majeure

La vision du fondateur de SpaceX ne s’éloigne guère de celle de Wernher von Braun, qui conçut entre les années 30 et les années 60 la première fusée extra-atmosphérique de l’histoire (l’A4, renommée V2) puis celle des missions lunaires américaines, et fut en son temps un infatigable défenseur du déploiement de l’homme dans le système solaire. En 1948, il écrivit Project Mars, un “conte technique” qui ouvrait la voie dans les esprits. Trois quarts de siècle plus tard, accueillant la télévision américaine à Boca Chica, Elon Musk expliquera le plus simplement du monde qu’on « ne peut aller sur Mars que tous les deux ans seulement [en raison de l’alignement des planètes – ndlr] ; si vous avez un millier de vaisseaux, et que vous pouvez mettre 100 personnes dans chaque vaisseau, ça ferait 100 000 personnes tous les deux ans » ; et un million en vingt ans, un chiffre suffisant selon lui pour construire « une ville autonome sur Mars ». Les temps ont néanmoins changé depuis l’époque de von Braun, quand la course à l’espace était marquée du sceau des armées et des États, seuls à même d’engloutir des sommes gigantesques dans la conception d’appareils aussi complexes. Désormais, le secteur privé s’est invité dans le jeu, avec son exigence de modèles économiques viables. L’entreprise SpaceX fonctionne à flux tendu en réinvestissant une large part de ses recettes dans la recherche & développement. Pour financer ses projets, Musk compte déployer rapidement et à moindre coût sa très innovante constellation de satellites de télécommunication Starlink, pour laquelle il aurait déjà dépensé près de 6 milliards de dollars mais qui n’est pas encore rentable à l’heure actuelle. Fin 2021, il évoquait un risque de faillite si sa fusée géante ne parvenait pas à décoller rapidement.

« Un laboratoire géant »

Quand il créa sa société spatiale en 2002, Elon Musk partait d’une page blanche mais il poursuivait une idée fixe : concevoir des fusées réutilisables. « Il est absolument fondamental de faire des fusées entièrement réutilisables. C’est profond, expliquait-il l’an dernier à la télévision. Nous faisons de grands progrès ici. Nous essayons de parvenir au graal de l’astronautique. Personne n’a jamais fabriqué de fusée entièrement réutilisable, et aucune n’a jamais pu être réapprovisionnée [en carburant] comme un avion ». L’ingénieur en chef de SpaceX n’est pas seul dans sa quête et peut s’appuyer sur des personnages passionnés et travailleurs, à l’instar de la présidente Gwynne Shotwell qui fut l’une de ses premières embauches (l’entreprise compte aujourd’hui plus de 10 000 salariés), ou du grand développeur de moteurs Tom Mueller. Six ans après sa création, SpaceX parvenait à faire voler son premier lanceur, la Falcon 1. L’Agence spatiale américaine repéra l’entreprise et décida de lui allouer des fonds pour développer un vaisseau-taxi destiné à rejoindre la Station spatiale internationale. La fusée Falcon 9 et sa capsule Dragon répondront aux exigences, non sans avoir connu des échecs durant les premiers essais. En décembre 2015, après un vol orbital, elle reviendra se poser en douceur sur Terre, une première historique. Puis viendra le développement toujours en cours de l’immense Starship. « La fabrication est bien plus difficile que la conception », assure à qui veut l’entendre Elon Musk. En même temps qu’ils tentent de mener à bien le développement de la fusée, ingénieurs et techniciens de SpaceX agrandissent et améliorent l’énorme complexe logistique, avec sa tour de lancement futuriste et ses multiples bancs d’essai. « Boca Chica est un laboratoire géant ! », écrivait récemment l’animateur de StarBaseFR, une chaîne Youtube qui présente régulièrement les derniers développements techniques de la base. Le deuxième essai en vol de la Starship, qui pourrait intervenir quand vous lirez ce numéro, sera important pour la suite de l’aventure SpaceX.

 


La NASA dans les pas de Colbert

Les succès accumulés par SpaceX sont aussi ceux de la NASA, l’agence spatiale américaine. La structure publique avait en effet revu sa stratégie il y a une quinzaine d’années et décidé de s’appuyer sur le secteur privé, où les projets spatiaux se multipliaient. En 2008, elle lance l’appel d’offres COTS (commercial orbital transportation services) pour développer à moindre coût un vaisseau cargo capable de réapprovisionner la Station spatiale internationale (ISS) ; il sera remporté par les entreprises SpaceX et Orbital Sciences. Dans le même temps, la NASA décide de mettre à disposition un pas de tir de fusée sur son site de Cap Canaveral. En 2014, la célèbre agence publique va un cran plus loin en élaborant le programme CCDev pour le transport de passagers en orbite ; SpaceX et la compagnie Boeing seront retenues mais seule la première a réussi à développer à ce jour une capsule habitée. Un autre appel d’offres a par ailleurs été lancé pour la construction d’une station spatiale privée, alors que l’ISS pourrait être abandonnée par les Américains en 2031. Le plus grand pari colbertiste de la NASA porte sur le développement d’un vaisseau capable d’atterrir et de redécoller de la surface lunaire, dans le cadre du vaste programme Artemis destiné à investir de manière permanente l’astre sélène. Une enveloppe de 4,4 milliards de dollars avec versements par étapes a été réservé à cette fin et c’est le Starship de SpaceX qui a été retenu. En parallèle, la NASA a développé son propre lanceur lourd, le SLS, afin de conserver un accès autonome au cosmos profond. En matière spatiale, les États-Unis peuvent envisager l’avenir avec sérénité.

 

Illustration : Le Starship Super Heavy Booster 9 (premier étage de la fusée, récupérable lui aussi) de SpaceX se déplace vers la rampe de lancement pour des tests, à Boca Chica. 69 mètres de haut, 9 mètres de diamètre, construit en acier inoxydable de 4 mm d’épaisseur. Mandatory Credit: Photo by SpaceX/UPI/Shutterstock (14018145e)

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