La crise des subprimes a couronné une crise financière larvée et a surtout révélé la grande connivence des États et des banquiers : main dans la main, bureaucrates et ploutocrates agissent contre le peuple.
Mais rien n’est fini : l’économie est toujours sous l’emprise des effets de cette funeste année et des pratiques du système qui y ont conduit. « Septembre 2008 a été un Pearl Harbour financier… la crise de 29 n’était rien à côté » (Warren Buffet). C’est largement en m’appuyant sur le livre de Pierre Jovanovic que je développe ici ce que nous vivons d’un point de vue bancaire et financier avec conséquences économiques générales.
Une arrière-cuisine de l’entre-soi bancaire et de l’État profond
Tout commence, comme d’habitude, outre Atlantique, et le degré de dépendance de l’économie mondiale à l’Amérique en fera une crise mondiale. Dès le début de l’année 2008, dans la plus grande discrétion, les dix plus grandes banques mondiales ont cherché à se recapitaliser afin d’éviter un désastre bancaire et une ruée des déposants sur leurs comptes. « Nous étions très proches du moment où on allait arrêter tous les distributeurs de billets » (Tim Geithner, Gouverneur de la Reserve fédérale de New York, 17 septembre2008).
La cause de ce désastre étant la fameuse crise des subprimes. Celle-ci devait se limiter strictement aux banques américaines, selon Minc, constant dans l’art de formuler des prédictions foireuses : en fait, le numérique a favorisé la diffusion du dommage à la vitesse de l’éclair. Mais la question se pose : peut-on croire que des prêts incertains accordés à des ménages peu solvables soient la seule explication de cette crise ? Prêts de surcroît garantis par des organismes proches de l’État (Fanny Mae et Freddy Mac) ou bien appuyés sur un CDS (Credit Default Swap), une assurance qui remboursait le prêteur à la place du ménage. Sont-ils seuls responsables d’une crise mondiale ? Pas tout à fait, car des géants comme Goldman Sachs, Lehman Brothers, Merrill Lynch, Bear Stearns, grandes banques, fonds de pension, hedge funds, ont sur-commissionné les commerciaux des prêteurs immobiliers en les encourageant à vendre ces subprimes ensuite intégrés dans des portefeuilles à leur tour vendus aux investisseurs, surtout européens (BNP Paribas, Crédit Agricole, UBS, Crédit Suisse), le tout grâce à une très bonne note de risque données par les agences de notation telle Moody’s, dont le chiffre d’affaires multiplié par 10 entre 2000 et 2007 : « le président de Moody’s aurait pu mettre fin à cette orgie des subprimes… il aurait pu éviter le massacre qui allait suivre. Mais ils ont tous choisi de continuer. » (Jovanovic), de même les autres agences de notation, Standards & Poors, Fitch Ratings… On voit bien que tout ce petit monde s’entend comme larrons en foire. L’amplification de la crise est donc moins provoquée par l’insolvabilité des ménages (liée d’ailleurs aux délocalisations industrielles, largement amorcées, et donc au chômage) que par les pratiques aventureuses des banques mues par l’appât du gain rapide. Dès le 27 février 2007, la banque semi-publique Freddie Mac (Federal Home Loan Mortgage), qui avait été chargée par l’administration Bush de garantir les prêts des pauvres, fait savoir qu’elle n’accepterait plus de racheter les prêts subprimes. Les actions des banques infectées commencent à plonger en juin 2007, c’est un accident « nucléaire » financier, que les autorités monétaires américaines ont tenté (comme les soviétiques à Tchernobyl) de minimiser. En France, BNP Paribas voit trois fonds se retirer et se sauve grâce aux avances de la BCE. En Angleterre, la banque Northern Rock est sauvée de la faillite par 25 milliards de livres sterling apportés par la banque centrale anglaise, le principal problème étant l’arrêt de circulation des liquidités qui étrangle les banques habituées à se prêter entre elles les liquidités.
Le hold-up bancaire comme solution à la crise
La solution a consisté à pratiquer un odieux chantage sur les gouvernements : sauver les banques ou se résoudre aux soulèvements populaires. Le président de Goldman Sachs, Hank Paulson, sera nommé secrétaire au Trésor par George Bush et c’est lui qui va organiser le hold-up sur les ménages – et provoquer la plus grande vague de pauvreté qui s’ensuivra. En Europe, le mensonge bancaire fleurit comme outre-Atlantique. Daniel Bouton, patron de la Société Générale, « découvre » 5 milliards de pertes de la Société Générale affirmant avoir découvert « une position dissimulée », celle de Jérôme Kerviel, un trader surdoué, présenté comme trader fou, un lampiste qui servira de bouc émissaire de la crise des subprimes acquises par la banque. Bouton fera mettre en prison Kerviel pour ne pas y aller lui-même. C’est un mensonge éhonté, une enquête de police avait révélé que la direction était parfaitement au courant. En Grande-Bretagne, c’est le bank run dès le mois de février, cette ruée vers les banques la Grande Bretagne n’avait pas connue depuis 150 ans. Les « 20 heures » de la BBC et de France-2 montrent des files de Londoniens sous la pluie et dans le froid essayant de récupérer quelques billets. Bref la crise bancaire s’étend à l’Europe et les économistes de ne rien voir ou de minimiser. Pierre Jovanovic en établit la liste peu flatteuse, avec en tête l’inénarrable Minc ; pratiquement le seul, Nourriel Roubini a vu ce qui allait se passer et dénonçait « la socialisation des pertes » à venir !
En effet, l’État fédéral va sauver AIG, assureur des banques, et nationalise complètement Freddie Mac et Fanny Mae : une fois de plus se vérifie la loi non écrite de la privatisation des profits et de la socialisation des pertes. Un milliers d’autres banques feront faillite. Une série de krachs se produit sur les places financières. En ce septembre noir de 2008 ,l’équivalent du PIB français est parti en fumée. Le cycle fatal des embauches gelées, des appartements et des voitures qui ne se vendent plus, est aveuglant mais le système qui se met en place pour y remédier est encore pire que le précédent tout en le prolongeant. D’où vient en effet et soudainement cet argent qui coule à flots pour renflouer les banques ? La BCE et la FED déversent sur les marchés financiers, par le recours à ce qu’il faut bien appeler « la planche à billets » (rachats d’actifs auprès des banques), sous les yeux ébahis des citoyens qui voient s’aggraver leur situation financière pour sauver un système qui a vendu son âme au diable.
En novembre 2008, on compte les cadavres. Pierre Jovanovic nous en fait le tableau épique, mais maintenant le bon peuple va payer. En Angleterre, la presse people, plus libre qu’en France, traite les banquiers de cochons et, comme la banque centrale baisse les taux ces mêmes « cochons » tout en refusant de le faire pour les particuliers, les traite de « assholes » ! Aux États-Unis, cerise sur le gâteau, l’affaire Madoff défraie la chronique : une pyramide de Ponzi qui a permis aux banques de gagner beaucoup d’argent, en prenant leur commission au passage, et qui vont désormais facturer leurs erreurs à leurs clients (Jovanovic dresse un tableau complet des banques bénéficiaires de l’escroquerie Madoff : trois pages !).
Qui est responsable du massacre financier des peuples ?
Les pouvoirs publics prétendent n’avoir eu d’autre choix que d’utiliser l’argent public pour sauver le système bancaire, au détriment des services sociaux, des hôpitaux, des routes, du pouvoir d’achat – et avec une fiscalité confiscatoire. Pour Jovanovic, la fraude massive organisée par les banques a touché le monde entier, mais pour que l’information ne les cible pas trop, les banques et les hauts financiers se mettent à racheter la presse. Ce mouvement s’amorce à la fin de la première décennie du nouveau siècle et ne peut pas être tout à fait un hasard. Ainsi le Crédit Mutuel rachète une bonne partie de la PQR (presse quotidienne régionale). On sait depuis la révélation du scandale des financement USAID (mars 2025) que beaucoup de médias ont bénéficié d’aides soudainement bienvenues, en parfaite synchronisation avec la baisse des revenus publicitaires et à cause de la concurrence des réseaux sociaux.
Les responsables ? Aucun fonctionnaire de la SEC, aucun régulateur, aucun président d’agence de notation, aucun secrétaire d’État au Trésor ou ministre des Finances, ou gouverneur de banque centrale, aucun n’a été jeté en prison. Le temps où nos rois pendaient ou embastillaient les grands argentiers est bien révolu. Néanmoins, Madoff a pris 150 ans ! Et pourtant… Larry Summers, secrétaire d’État au Trésor, et Robert Rubin, banquier de Goldman Sachs, ont convaincu Bill Clinton de supprimer la loi Glass Steagall qui séparait les activités des banques dites d’affaires et les banques de dépôt interdisant ainsi aux banques d’engager l’argent des déposants. Hank Paulson, ministre des finances, aurait pu arrêter dès 2006 la folie des prêts accordés DE FORCE aux classes pauvres. Tous ces hommes non seulement n’ont rien fait mais, de connivence avec les banquiers, ont laissé faire, ce qui veut dire qu’ils ont laissé volontairement et impunément les banques gagner des milliards de dollars, tout en sachant qu’ils allaient créer une crise qui pouvait appauvrir des millions d’hommes dépossédés de leur travail et de leur richesse. C’est peut-être à cette date que le processus de déclin, devenu visible depuis, s’amorce dans ce monde occidental. Une leçon, Pas du tout. Goldman Sachs en Grèce, avant que le FMI ne la mette sous tutelle, s’employait à falsifier les comptes publics pour permettre l’entrée de la Grèce dans l’euro. Et si demain le FMI s’avisait de mettre la France sous tutelle, y aura-t-il encore des banquiers pour se servir au passage ? Il arrive que des gangsters prennent en otage des banquiers mais c’est plutôt rare, et d’un « rendement » médiocre en comparaison de la gigantesque prise d’otage des peuples par les banquiers.