Tribunes
Que faire ?
Adieu, mon pays qu’on appelle encore la France. Adieu.
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Les Manifs Pour Tous ont assemblé toute une génération autour de la nécessité de l’engagement politique. Reconnaissons-le, cette génération peine à porter les lendemains organisationnels correspondants à la promesse tant répétée d’un Mai 68 à l’envers. Limite, à n’en pas douter, fut, volontairement ou involontairement, l’une des pépites nées de ce tourbillon d’interrogations et de tentatives.
Et Limite continue de bousculer le morne consensus catholique dans une récente tribune : « BIOÉTHIQUE : NE NOUS TROMPONS PAS DE COMBAT ». Le chapeau de la tribune explicite l’ambition du texte : « Pour nous, l’opposition, légitime, à un tel bouleversement ne doit pas se retourner contre les personnes homosexuelles ni nous détourner de l’urgence écologique. »
Si nous allons au-delà de gênes de surface (personne en France ne criminalise l’homosexualité, est-ce utile de participer à la banalisation de la transsexualité ?) et prenons la suite de la réflexion, mobilisée après un excellent paragraphe intitulé Notre approche est technocritique, la question cruciale est posée comme suit : « Voulons-nous vivre dans un monde où tout ce qui est faisable devienne légal, où tout puisse se modifier et se monnayer » ? Personne ne le veut !
Bien des catholiques, qui ont le tort de réprouver les options partisanes, si peu dénoncées, d’œuvres d’Église et d’associations para-ecclésiales, l’inscrivent dans leurs quotidien (sur la liberté scolaire, qui ne déplairait pas à Illitch, dans le maintien du lien social, trop hâtivement décrit en bourgeoisie, dans la défense et la prospérité d’institutions et d’entreprises sans lesquelles il n’existerait pas non plus de vie sociale). Ils iront manifester selon un ordre très humain, car il est naturellement politique : les forces sociales se solidarisent dans un combat quand il est intelligible, perceptible dans les maux qu’elles connaissent dans la Cité.
Il n’y aura jamais un million de personnes dans les rues pour les chrétiens d’Orient, il n’y aura jamais un million de personnes dans les rues pour la banquise. Non pas que ces causes soient laides, fausses et injustes, mais parce que qui veut agir humainement doit observer comment les sociétés, qui sont les seuls « humains » que nous puissions connaître, je veux dire vraiment connaître, répondent à des constances, et que trépigner devant ces constances n’est pas évangélique mais enfantin.
Nous entendons nous aussi « Les clameurs de la terre », les conséquences abjectes et guerrières – Karl Polanyi les analysa déjà si bien – d’une mondialisation forcenée, avec son lot de paradoxes inhumains : l’érection de la Marchandise comme étalon général des relations humaines, la projection de toute vie, même la plus humble, dans le capharnaüm des circuits financiers, le scandaleux appel à l’humanisme pour déguiser les intérêts économiques qui imposent les migrations de masse.
Nous ne pouvons que rester interloqués devant ces quelques mots : « C’est pour tous les vivants que nous devons nous battre. Vraiment pour tous. » Tant d’Orwell, de Péguy, de Weil, pour proposer un tel slogan… Les morts, ceux à qui la vie terrestre est chaque jour interdite, et jusqu’à la capacité à anticiper les conséquences de nos positions, ne feraient pas partie de notre combat ?
Ou alors, les rédacteurs de Limite veulent affirmer que tout investissement chrétien dans la Cité s’articule autour d’un principe initial : l’accueil de la vie, pour qu’elle soit digne et ouverte à Dieu, radicalement. Allons donc au bout de la réflexion de cette dignité : qui pose un choix libre sur sa vie et qui est déterminé par les choix posés par les autres ? Les enfants à venir des manipulations de la génération ou leurs responsables ? Question de proportion justement.
Il convient d’accueillir autrui dans sa proximité, il convient aussi de ne rien faire qui interdise cet accueil (qu’autrui se présente d’ailleurs avec sa conception, son origine nationale, ses blessures). Mais c’est cette formidable chance d’une in-discrimination dans la rencontre personnelle qui est justement niée dans la relativisation de l’urgence des combats à mener : c’est refuser la nature que de nier les intermédiaires sociaux et l’influence du tout sur les parties. Relativiser les blessures sociales, imposées par d’infirmes minorités structurées pour leurs intérêts, c’est condamner nos successeurs à affronter un monde encore plus inhabitable qu’aujourd’hui.
Comparer l’opposition militante à une loi mauvaise et les lâchetés personnelles de certains catholiques qui ne s’interrogent pas sur leur vie professionnelle, c’est simplement ne plus mesurer l’objectivité des actes mais s’engager dans la vieille pente d’une certaine vie intellectuelle catholique, toujours soucieuse de montrer sa prescience quant aux reins et aux cœurs. Dans le mal, il y a l’objectif et le subjectif, dans le mauvais aussi, et c’est justement pour rendre possible le devoir de distinguer le péché et le pêcheur qu’il convient de ne pas tout confondre quant à notre participation personnelle au mal.
Alors oui, il fut très coupable à des générations de clercs de confondre la théologie du corps et celle de la braguette, oui, notre parole est mutilée par les ignominies que des prêtres ont commises, trop souvent avec le silence d’autorités que nous savons encore en place, voire à l’œuvre, mais depuis quand le catholicisme fait-il hériter les enfants des péchés de leurs pères ?
Il est bien un devoir d’aller manifester le 6 octobre pour qui sait que les désordres bioéthiques sont une manière d’établir une nouvelle anthropologie. Une anthropologie qui interdira d’ailleurs toute écologie pratique.
Que les signataires se méfient : à trop vouloir être Bloy, à mal installer la Porte des Humbles, il ne faudrait pas devenir Mauriac.