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Pierre Debray, un « passeur » considérable

Le purgatoire qui frappe beaucoup d’écrivains après leur décès ressemble plutôt, s’agissant de Pierre Debray, à un enfer total : dès sa mort, en octobre 1999, un silence de plomb est tombé sur sa personne et sur son œuvre. Ce qui pose deux questions : pourquoi un tel silence – et pourquoi vouloir en sortir aujourd’hui ?

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Pierre Debray, un « passeur » considérable

À la première question, on trouvera des éléments de réponse dans le numéro spécial de la Nouvelle Revue universelle « Pierre Debray est de retour », récemment sorti. Notamment dans un article de Gérard Leclerc – « Pierre Debray tel que je l’ai connu » – survol très complet de la vie de cet homme au destin si particulier. Au-delà des précisions biographiques et du témoignage d’un disciple et ami, on y trouve des commentaires et explications claires sur quelques aspects essentiels.

Quant aux raisons réelles d’effectuer maintenant une telle exhumation, et l’utilité qu’elle présente dans notre vie encombrée de gilets jaunes égarés, d’écolos excités, de transhumanistes fous et de technocrates agrippés à leur soupière, c’est l’ensemble de ce numéro de la NRU qui les explique : les raisons, on le verra, en sont impérieuses et déterminantes.

Qui donc est ce Debray dont le nom évoque d’abord, pour beaucoup, celui de son homonyme qui sévit jadis dans les maquis sud-américains de Che Guevara ? Homonyme, pas vraiment, puisque son véritable nom n’est pas Debray mais Couhé. Issu d’une famille de Vendéens bleus, athées et anticléricaux, c’est encore adolescent que Sadi-Louis Couhé se convertit et devient pour la vie un catholique intransigeant. Élève brillant, il est destiné à devenir normalien et agrégé de lettres ou d’histoire. Il est en khâgne à Paris quand sa participation à la manifestation du 11 novembre 1940, interdite par les Allemands, le fait renvoyer du lycée. Il choisit de poursuivre ses études à la Sorbonne. C’est alors qu’entamant une carrière de journaliste, il adopte le pseudonyme de Pierre Debray. Comment ce catholique, engagé comme critique littéraire à la France catholique de Jean de Fabrègues, en est-il venu – sans rien renier de sa foi catholique – à soutenir avec véhémence et un aveuglement clairement consenti, le PCF de Maurice Thorez et l’URSS de Staline ? Cela pourrait être la marque d’un esprit superficiel et instable. Ou alors rester une contradiction irrationnelle et définitivement inexplicable. Mais ce n’est ni l’un ni l’autre. L’explication existe, et constitue par elle-même une forte leçon. On la trouvera évoquée et commentée dans ce numéro spécial de la NRU.

Une « prise de guerre »

Suit alors un épisode qui méritait d’être raconté en détail, ce qu’a fait Axel Tisserand avec son brio habituel : la relation inattendue qui s’établit entre le royaliste maurrassien Pierre Boutang et le catholique pro-soviétique Pierre Debray. Cela commença par la critique d’un livre de l’un par l’autre, puis le commentaire d’un article du second par le premier, puis quelques rencontres, quelques discussions… Et brusquement, du jour au lendemain, Pierre Debray lâche complètement ses amis communistes et se retrouve royaliste d’Action française. Tour de passe-passe ? Prestidigitation ? Il faut suivre le récit d’Axel Tisserand pour comprendre ce que fut réellement cette « prise de guerre ».

En 1954, avec la bénédiction de Maurice Pujo à un an de sa mort – nous sommes au moment où Pie XII met fin à l’expérience des prêtres-ouvriers et où va éclater la guerre d’Algérie –, il entre à Aspects de la France. Il y crée la rubrique du « Combat des Idées ». Deux ans plus tard, il lance une revue mensuelle, L’Ordre français, véritable « revue-laboratoire » dont il sera l’homme-orchestre, l’éditorialiste et le principal rédacteur. Ce seront alors les années d’un double combat : pour la sauvegarde de la civilisation dans une société industrielle en profonde mutation – et contre l’abandon de l’Algérie à son sort. En 1963, au lendemain de l’indépendance algérienne, il prend l’initiative de rendre hommage au « pied-noir Albert Camus », au grand scandale de la gauche bien-pensante. Il entend montrer qu’un roman comme La Chute et des essais tels que L’Homme révolté ou les Chroniques algériennes, révèlent, en profondeur, une lutte ouverte contre le déracinement et ses effets délétères sur l’homme et la société.

Pierre Debray prend la relève de Boutang aux camps de formation de l’Action française.

Camus estimait impossible, en Algérie, la séparation du peuple pied-noir et du peuple arabo-berbère. Les voyant destinés à vivre ensemble, il rejetait aussi bien l’assimilation intégrale sur le modèle jacobin que l’indépendance totale qui ne pouvait déboucher que sur le triomphe d’un racisme généralisé et d’une inimaginable épuration ethnique. « Camus, écrit-il, a été fidèle à la mesure grecque… La Grèce ne nous a pas légué des leçons de ténèbres, comme chez Couperin, ni des leçons de lumières, comme chez Diderot, mais des leçons de clair-obscur, quand le jour bascule dans la nuit, ou la nuit dans le jour. C’est ce balancement entre l’envers et l’endroit, entre l’exil et le royaume, et finalement entre le refus et le consentement, qui fait l’originalité d’une pensée dont le souci premier est l’équilibre. » Passage oh ! combien éclairant non seulement sur Camus, mais aussi sur ce que Debray a reçu de Maurras.

La fin tragique de ce combat l’amènera à considérer que l’urgence était désormais de mener la lutte sur le terrain culturel. Il reconvertit L’Ordre français en ce sens, remplaçant symboliquement la couverture verte de la revue par une couverture blanche. Mais, mal compris, son projet ne fut pas suivi. Il fut donc amené à réorienter la priorité de son action vers la sphère religieuse : la NRU y consacre une partie essentielle de son numéro spécial.

Pierre Debray n’a pu, comme Maurras, marquer son entrée dans la vie intellectuelle par quelques « grands » livres, et la mort l’a surpris sans lui laisser, au soir de la vie, un temps pour faire la synthèse de ses recherches et de ses découvertes. C’est là une des clés du purgatoire qu’il subit. Mais la masse considérable de ses articles et de ses brochures constitue une mine inépuisable de formules et de perspectives. Il nous appartient aujourd’hui de les extraire et les mettre en valeur : elles font de lui un « passeur » considérable.

 

Illustration : Pierre Debray et Gérard Leclerc. Après la naissance de la Nouvelle Action française, Pierre Debray se retire de la politique et privilégie les questions religieuses.

Aucun livre majeur, chez Pierre Debray, mais une capacité étonnante à choisir les bons combats.

 

 

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