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« Vrai-vivre », c’est pourrir un peu

Moi, vous me connaissez : réglo. Un vrai petit métronome, le mec. De l’agenceur de mariage. Du fournisseur de came. Rien qui dépasse. Pas de mouron à se faire, qu’on soit petit oiseau ou rédac’chef de Politique Magazine.

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« Vrai-vivre », c’est pourrir un peu

Depuis que j’ai largué la maison poulaga pour cachetonner à la pige dans les plus grands médias, de ceusses que le monde entier nous envie, je suis toujours prêt – et pour d’autres choses aussi, les dames le savent bien, même si elles ne le disent pas forcément à leurs maris. Alors quand le Dabe, le père Mesnard, en plein milieu de mes vacances, m’a envoyé un mel sans miel, une prose du genre commis-dinatoire comme aurait dit mon pote Béru – qui maintenant tient son restau avec la Grosse et a récupéré cet handicapé à vie de Pinuche comme second et Marie-Marie comme serveuse –, j’ai juste regardé la date de livraison – avant-hier – et le nombre de signes – trop ! – sans faire gaffe au thème. C’est pas le Mozart du Word qui va paniquer ! Et que je te tire à la ligne sur la pensée profonde de Gabriel Attal, et que je te brode sur le style de Bruno Le Maire – le budget qui se lit d’une seule main –, et emballé, c’est pesé ! L’artiche tombe des rotatives ! Et vous, bandes d’andouilles, vous en bavez de joie une fois de plus, en vous disant que Tonio a bien fait de changer de jobe – et de jobards. Vous vous dites en me lisant que, mais oui, c’est ça la politique moderne, cette mêlée intime de macérations douteuses, de sécrétions qui ne le sont pas moins, cet enculage de mouches élevé au rang du plus sublime des beaux-arts par des communicants de génie.

Parce que vous en avez bouffé ces derniers temps de la politique communicante (comme la porte du même nom, mais c’est plus du gros rat dans son fromage que de la souris à grignoter qu’on découvre dans l’autre pièce) mes jolis ! Et pas qu’un peu ! Repas complet ! Fromage et dessert, mes goinfres ! Et que vous en redemandiez ! Tonio, raconte-nous la dissolue-solution ! Fais nous rêver à la majorité absolue ! File-nous la banane avec un changement de régime ! Et moi, comme un con, de tenter de vous raisonner, de vous dire que non, sans doute pas cette fois les gars. Que les autres castors referaient illico le coup du barrage. Quoi la majorité ? Quoi le peuple ? Mais vous vous croiriez en démocratie, mes poulets ! Accablé que j’étais en vous écoutant, mais on l’est toujours dans cette chienne de vie quand on se frotte à l’humain. Décidément trop con, l’homme. Et que je rêve… Et que j’espère… T’espère quoi, bonhomme, tes planches sont déjà sèches et seront bientôt clouées. Pas faites pour durer d’ailleurs maintenant, juste du petit bois pour brûler vite, tandis que tes gniasses regardent ta photo en poster dans la « salle de recueillement » avant de disperser rapido tes restes au « jardin du souvenir ». Et de se partager le peu que le fisc leur laisse, tout occupé qu’est ce dernier de satisfaire les nécessiteux qui débarquent chaque jour.

Rien de tel qu’un petit électrochoc pour vous reconnecter rapido au réel

Et ensuite, pauvres pommes, paraît que vous avez vécu la « parenthèse enchantée » ? Pour Manu, ok, c’était la fête du caleçon mouillé à Brégançon avec plein de jeunes hommes exagérément musclés et délicieusement chahuteurs. Mais pour vous, c’était les Jeux – le pain on n’en parle plus, au rythme que va l’inflation on n’oserait plus ! Non, sans rire les mecs, les Jeux ? Pourtant, s’il y a bien une chose dont on devrait se battre les parties – je sais que des dames lisent Politique Magazine et je ne voudrais pas choquer par un mot cru, on sait que ce n’est pas mon genre –, en ce moment, c’est de savoir si Ducon a emporté le triple 200 mètres avec piquet dans le derche (là, l’éditeur va pas aimer, c’est sûr). Non mais quand même, Macronus superbus dissout, on a une Assemblée dite nationale – c’est quand la réalité manque qu’il faut mettre le mot – qui ressemble au Guernica de Picasso, en moins ordonné, et… les Jeux ? Le gâteux des US laisse en tremblotant la place à une incapable notoire dont la presse défend cependant les (la ?) couleur(s), l’Ukrainien nous rejoue le saillant de Koursk, la Cruella boche est reconduite à la tête de la Commission de la dés-Union européenne et… il n’y en a que pour les Jeux ? Et avec ça, vous n’avez pas l’impression d’être pris pour ce que vous êtes persuadés de n’être point les gars ?

Alors quand je suis tombé en lisant plus attentivement la prose enjouée du Chef Mesnard sur la thématique proposée pour le prochain numéro, savoir « La vraie vie », je me suis dit qu’il était temps que je vous en balance une tranche. Rien de tel qu’un petit électrochoc pour vous reconnecter rapido au réel, comme disait Massu au mieux de sa forme. La « vraie vie » mes pauvrets, dans la France – et pas n’importe laquelle, celle d’Emmanuel Macron, ajouteraient les cinéphiles –, elle n’a de rapport ni avec la politicaillerie, ni avec les Jeux. Gigot à l’ail ou couscous à Matignon ? Elle s’en tape, la France. Les délires sur la réconciliation par la grâce de la retransmission sportive ? Elle n’y croit pas. On ne « fait » pas plus nation par des médailles en 2024 qu’en 1936 mes braves, et n’est pas Chancelier qui veut.

Un talbin de pigiste frit lance

Selon mister Président, les Français seraient donc tout chose de ne plus allumer leur poste pour suivre les cons-pétitions. Tout tristes, tout mous. Vous croyez vraiment que les Français bandaient en voyant le braque-danse comme épreuve ? Que cela redressait la nation, ces mecs se roulant sur le sol ? Ce « sport » imposé par la France pour valoriser les « arthlètes » comme l’a écrit un pisse-copies qui est aussi un porte-coton ? Vous pensez que le trio victorieux sur tricycle – on est les seuls au monde à en faire, logique qu’on gagne enfin – va convaincre les chevaliers de l’asphalte des rodéos urbains à rouler maintenant sans moteur ? Et quand on avait un vrai champion, voilà-t-il pas que le drôle cloquait des fleurs de lys dans ses posts ? Heureusement qu’un vigilant est intervenu, sinon Manu serait aller tâter les biceps d’un qui veut revenir aux zeures-lé-plus-sombres – même s’il préfère les biceps eux aussi plus sombres.

Vous voulez que je vous en parle de la « vraie vie », les gars ? De celle que j’ai côtoyé pendant les – chiches – vacances que mon talbin de pigiste frit lance me permet ? Allez, je plante le décor. Il est idyllique. Ha, on est loin de Pantruche. Imaginez un peu. Des collines d’une lande rase où le mauve des bruyères se mêle au vert des fougères et au jaune des ajoncs dans une tapisserie qui rend gloire au Créateur – ok, il m’arrive de piquer des trucs à Chateaubriand, mais Attali aussi plagie. La mer en bas, qu’on voit danser le long d’un golfe clair – non, là c’est de moi. Et ma cambuse d’été au bas des pentes, agglomérée avec d’autres en un petit hameau. La « vraie vie » ? Découvrir que l’hiver, comme l’automne avant lui et le printemps après lui, a été humide – dans nos villes c’est surtout Numide – et que tout sent le moisi – même ma collection de Politique Magazine, oui Monsieur, oui Madame. Que la peinture s’écaille (de tortue) et que je suis bon pour refaire encore les volets. Que les nouveaux voisins, un trouple qui a transformé sa maison en « air bi, haine bi » n’ont pas taillé leur arbre qui écorne la toiture de mon garage. Que les haies ont trop poussé, que des taupes transforment mon petit bout de gazon en ligne de front ukrainienne, que les ronces hantent les plates-bandes aussi nombreuses que les dealers dans une « cité »… À peine arrivé, dans « la vraie vie », je vois la liste des factures qui s’allonge et celle des jours peinards qui rétrécit. Mais normal. Archi-normal, nanti que je suis ! Possesseur d’une résidence, siouplait ! Et secondaire en plus ! Un rentier du sol dirait macronibus en me chantant un de profundis fiscal. Quatre-vingt mètres carrés de murs lépreux qui s’écaillent et où on se caille… Un luxe insolent. Capoue. Une provocation pour Bruno et son déficit. Je comprends. Je contriste – je con-triste aussi parce que je suis seul en ce moment.

Le bruit de gorge du loufiat de grande-duchesse

Les Jeux ? Vous plaisantez mes petits chéris, comme dirait l’animateur préféré de la droite figaresque depuis que l’Arcom en a privé les Français sur la TNT… Même si j’avais eu envie de regarder des types suer pour oublier ma misère, je n’ai pas « la fibre », trop chère, pas le téléphone fixe – Orange l’ayant coupé sans me prévenir –, donc pas d’accès au monde merveilleux d’Internet, et une barre de 3G quand le vent souffle d’Ouest. Ma seule connexion se fait – pour regarder mes messages, au cas où on m’offrirait enfin un ministère, ce qui au vu de mes qualités devrait être fait depuis longtemps (si je ne le dis pas, personne ne le dira) – lors de mon passage au Super U, qui sera bientôt le seul magasin du chef-lieu de canton – avec, noblesse oblige, La Maison, l’ancienne Casam – les vrais initiés reconnaîtront.

La « vraie vie », c’est les rencontres du Super U justement. Les « Tiens vous êtes arrivés » des habitués qui ont pu conserver des maisons de famille dans le coin à force de privations et de peinture, et qui se donnent des nouvelles de leurs enfants tandis que leurs caddies bloquent les travées. La « vraie vie » c’est ces locaux qui évoquent en une énième variation le temps qu’il a fait ou celui qu’il fera, en se gourant toujours. On y mettrait des tables et des chaises dans l’entrée, pour peu que l’on puisse aussi y boire autre chose que du thé-vert-bio et des tisanes aux plantes macérées, que ce serait le dernier salon où l’on cause, le Super U, un lieu de convivialité et de cons vite alités…

Car puisqu’on en parle, la « vraie vie » c’est aussi se fraguer les autres. « Que d’autres, que d’autres » aurait dit Mac Mahon. Je ne sais pas si vous avez remarqué, car vous êtes quand même un peu coincés du bulbe, mais le littoral appelle la transhumance des cons. Après avoir successivement dévasté les rives de la Méditerranée, le bassin d’Arcachon, les îles atlantiques et le pays basque, tous tour à tour passés à la moulinette des revues de déco style Coté machin-chose, les criquets s’attaquent maintenant aux zones oubliées de Bretagne et de Normandie – Le Touquet étant réservé aux disciples du Maître des horloges. Ce n’est plus que pantalons rouges, marinières rayées, bottes bleues, cirés jaunes et bonnets à la Cousteau descendant des Ô-dit-cul-a-trop, des Mères-ces-derches ou des Béhèmes, toutes 4×4, toutes avec dedans les mêmes teints bronzés (à se demander comment qu’ils font avec ce temps). Et ça glapit en permanence, et ça s’apostrophe d’une caisse à l’autre, avec ce ton de voix inimitable qui sent bon l’entre-soi des commensaux de dominants, quelque chose comme le bruit de gorge du loufiat de grande-duchesse.

« Mal nommer les choses c’est ajouter à la misère du monde »

En Amérique, en Afrique et en Asie, les colons européens « découvraient » des pays peuplés et nommaient des fleuves ou des monts qui l’étaient déjà. De même ces pégreleux « découvrent » et font table rase devant eux. Car la « vraie vie » pour ceux qui vivaient heureux sur ces terres jusqu’alors oubliées de ces cornards et de leurs dames – ou plus dans le calcif si affinités –, de leur fifille végane et de leur rejeton greffé aux écrans, c’est de devoir en partir. Pas question en effet de pouvoir payer les frais de succession de la petite maison familiale devenue « magnifique longère » par la grâce d’un agent immobilier aux pompes en pointe. L’un après l’autre mes amis d’enfance, péquenots ou pas, ceux avec lesquels j’ai fait les foins, braconné la truite et traîné à la fête du village, doivent s’exiler dans les terres et quitter « leur » terre. Le plus beau est qu’ensuite ils entendent les nouveaux arrivants leur vanter les qualités de ces lieux où leurs ancêtres vivaient et où ils auraient aimé vivre, si « merveilleusement authentiques ». Des calmes, mes amis d’enfance, de grands calmes. De ces taiseux qui ont fait la France. Avec moi, j’avoue, ce serait vite la giroflée à cinq branches par le travers pour les charognards, et avec la torgnole qu’un Béru leur ficherait ils auraient du mal à se moucher pendant quelques jours sans éponger du raisiné.

La « vraie vie » de mes potes, comme vous devez commencer à vous en douter, même si vous avez du mal à recoller vos deux neurones, c’est pas la nomination du nouveau Premier ministre, quel que soit son sexe (pardon, son genre, je voudrais pas que Politique Magazine soit considéré comme un torchon réactionnaire, Mesnard gueulerait) et sa sexualité (puisque maintenant il devient important de savoir combien de fois iel – là j’ai tout bon – le fait par jour, et en quelle position) ou sa formation (sciences pipeau natürlich  – avec le nombre de Teutons venus revisiter les lieux de vacances de leurs grands-pères de 40 à 44, on devient vite bilingue). Mes potes, ils savent que rien de bon ne sortira pour leur « vraie vie » de la boîte magique du communicant élyséen.

Même les élus ils ne les supportent plus, d’ailleurs : le député issu du front républicain, qui ne sait plus où il habite, à part que c’est, une soirée par semaine, dans sa piaule du Palais Bourbon où il se tape son assistant(e) – « tous les goûts, toutes les saveurs » – parlementaire ; le sénateur sorti des réseaux du même tonneau, comptant les points noirs de son blaire (trois), les points de son permis (trois encore), ses points de vue de vue (trois toujours… curieux !) ; la mairesse de la nouvelle commune, qui en a absorbé une quinzaine d’anciennes, y habitant depuis cinq ans, très investie dans l’associatif – c’est elle qui a eu l’idée des stages de djembé pour le « club de l’âge d’or » – et grande distributrice de subventions à tous les défenseurs des droizumains. Non, ces gens ne parlent plus la même langue que mes potes : quand on ne sait évoquer que des « territoires », Félicie, ma douce mère, vous dirait qu’on n’est pas digne d’être un élu. « Mal nommer les choses c’est ajouter à la misère du monde » disait un célèbre comique.

Je me félicite de les savoir tous possesseurs d’un 12

Dans la « vraie vie », la confiance est rompue, point. On compte au quotidien ce que l’État veut bien vous laisser pour survivre – et là je reste un privilégié, je l’avoue. On s’entraide pour remonter un mur, pour réparer la vieille tire qui crache ses pistons diesels dans les côtes, on se file des légumes contre des œufs. On en revient au troc dans la « vraie vie », et pas par goût, par nécessité. C’est qu’il y a pas bézef d’aides, pas large de subventions, c’est que ça ruisselle pas des masses sur les pavillons paumés dans nos campagnes. Sans doute qu’ils crament pas assez d’écoles, mes potes, pas assez de bibliothèques – le « mobilier urbain » se résumant au piquet d’arrêt du car scolaire, ce serait trop vite fait – pour que le visage aimant de la République se penche sur eux.

La vie, qui ne sera jamais la « vraie vie », il en reste heureusement des vestiges. Cachés. Des vestiges pour solitaires bien sûr : le bruit des vagues, le vol d’un rapace, la couleur d’un nuage. Pouvoir se sentir, un moment toujours trop court, loin de la pourriture ambiante. Des vestiges à partager aussi. Au cours d’une conversation, quand on se dit les choses sans les dire, quand on se comprend à quart de mot – car même les demis sont devenus trop risqués de nos jours, la rousse de la pensée veille jour et nuit.

Tiens, samedi c’est le méchoui des chasseurs. Apéritif à 12h, « début du repas à 13h », et fin… quand on en aura assez. Terrine de gibier, agneau rôti, dessert. « Une tuerie » diront en même temps – mais pas dans le même sens – le gastronome épanoui et la gisquette élevée hors-sol qui entend tout interdire pour compenser son mal de vivre – et empêcher les mâles de vivre. Bon, moi, vous me connaissez, j’aime pas déranger. J’irai sans doute pas, même si je connais presque tout ce monde réuni sous la tente dressée pour l’occasion. Parce que dans la vie, on sait respecter l’intimité des autres, à plus forte raison quand elle est menacée. On ne joue pas à ce qu’on n’est pas, au plouc, au rural, au Français périphérique, dans la vie. Je resterai dans ma retraite, à moins bien sûr qu’une grande blonde comack de ma connaissance n’y aille, juste histoire de voir si on est toujours en phase elle et moi… Dans la vie, on est toujours prisonnier de sa jeunesse, faut bien… Mais en tout cas, braves et honnêtes lecteurs, j’avoue qu’en regardant les têtes des futurs convives, je me félicite de les savoir tous possesseurs d’un 12. Sait-on jamais, ça ne sera peut-être pas inutile le jour où on voudra que, comme disait Manu, la « vraie vie reprenne ses droits »…

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