Éric Anceau ne fait pas les choses à moitié. Cela fait certes déjà plusieurs années que l’historien spécialiste du Second empire s’intéresse à la question nationale : en témoignent sa co-direction du collectif Qu’est-ce qu’une nation en Europe (2018) ou son Histoire de la nation française (2025). Mais il nous offre ici sous sa direction une Nouvelle histoire de France qui devrait faire date par sa méthode et sa richesse.
La forme de l’ouvrage est en effet atypique : cent collaborateurs, chargés chacun d’une notice, chaque notice étant complétée par trois ou quatre éclairages et par une courte bibliographie incitative. C’est donc une forme proche du dictionnaire ou de l’encyclopédie qui a été retenue, et non pas celle du récit, sinon du roman, ni même celle des ouvrages collectifs rassemblant moins d’une dizaine de collaborateurs et restant dans la logique de la description chronologique. Le lecteur est ici invité à piocher selon son plaisir – ou son besoin –, croisant les notices comme il l’entend, pour faire émerger des éléments-clefs qui structurent notre histoire et notre imaginaire nationaux. Comme dans les Lieux de mémoire de Pierre Nora, l’un des intérêts de cet ouvrage est finalement d’offrir sur notre histoire des éclairages nouveaux.
Les thématiques ont été regroupées en quatre parties, composées chacune de vingt-cinq notices. La première, « Régimes et violences », est la mise en perspective chronologique, les régimes étant des périodes clefs de notre histoire – Siècle de Louis XIV ou Second Empire – et les violences ces guerres et révolutions qui l’ont marquée – Guerre de Cent ans ou Révolution de 1789. La deuxième « Politiques et spiritualités », envisage l’organisation de l’État comme son rapport avec les principaux cultes historiquement ou actuellement présents sur son territoire. La troisième, « Espaces et sociétés », renvoie à la géographie et à la sociologie. La quatrième enfin, « Patrimoines et identités », nous fait passer des arts au sport, de la gastronomie à l’honneur, mais s’interroge aussi sur le nationalisme. Une table des matières des notices, une autre des éclairages, une biographie détaillée des auteurs, deux index (des personnes et des lieux), tout est fait pour guider le lecteur au fil des 1 100 pages de cette somme. Outil de travail ? Sans doute. Outil de compréhension des débats actuels ? Certainement. Mais ne cachons pas aussi notre plaisir de lecteur : les auteurs rassemblés par Éric Anceau, spécialistes reconnus des sujets traités, ont pour la plupart des plumes claires et alertes.
Ce regard nouveau porté sur notre histoire
Il serait vain de citer telle ou telle notice tant l’intérêt même de l’ouvrage réside dans leur complémentarité. On peut parfois être surpris de leur place dans l’ensemble. Ainsi, la première partie, plus chronologique, commence-t-elle par les Francs, quand les Gaulois se trouvent dans la quatrième, sur les mythes – et ce alors que le fond ethnique celte est toujours bien présent et que le baptême de Clovis n’a pas moins été mythifié que la résistance de Vercingétorix dans la construction du roman national. Ainsi encore, c’est dans « Politiques et spiritualités » que l’on trouve une notice sur l’aménagement du territoire et les transports, quand le découpage territorial est analysé dans « Espaces et sociétés ». Mais ces choix ont aussi leur justification, traduisent bien la volonté de ce regard nouveau porté sur notre histoire, et sa surprise pousse le lecteur à s’interroger sur certains partis pris. On notera dans le même sens la volonté d’Éric Anceau de ne pas écarter de cet ouvrage les débats sur des questions actuelles. On traite ainsi dans cette Nouvelle histoire de France de la place de l’islam, de l’immigration, des féminismes, de l’histoire des femmes et du genre, du nationalisme, de l’écologie ou du tourisme.
Alors que les interrogations portant sur le devenir de notre nation sont fréquentes, piocher dans cet ouvrage offre au lecteur non pas des réponses toutes faites, comme dans certaines histoires de France récentes, mais des éléments de débat, des pistes de réflexion. Le choix du pluriel pour les titres des parties est ainsi révélateur de la démarche d’Éric Anceau : assumer la diversité d’une histoire complexe et particulièrement riche en évitant tout à la fois apologie et dénigrement. Un pari réussi pour cet ouvrage indispensable.
Éric Anceau (dir.), Nouvelle histoire de France, Passés Composés, 2025, 2000 p., 36€.

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