Il n’est plus temps des considérations savantes sur la dette, le budget et la situation financière de la France, crise conjoncturelle ou faillite structurelle. Nous penchons évidemment pour la seconde, ce qui signifie que nous ne sommes pas au bord du gouffre mais que, grâce à Macron, Le Maire, Attal, Borne et consorts… nous avons fait un grand pas en avant ! Plus sérieusement, la question est double, et il faut s’interroger sur le fonctionnement de l’État, et le triste spectacle d’une classe politique dépassée, et le contexte international, qui ne manquera pas d’affecter notre pays avec le choc de l’élection américaine et la chute du « modèle » allemand.
La France est gouvernée par les Pieds Nickelés
Le spectacle de ces hommes et femmes politiques est pitoyable. Le déficit public à 6,1 % du PIB en 2024 est « le choix du gouvernement actuel », se défausse Bruno Le Maire, toujours prêt à dénoncer ses petits camarades, tandis qu’Elisabeth Borne pratique la procrastination en ne révélant pas largement le caractère critique de notre situation budgétaire, en termes de recettes, ni au gouvernement ni à l’opinion publique. En fait, des incertitudes persistaient sur la réalité des moindres recettes fiscales. « On ne sait pas si on est en train de parler d’un écart de recette d’un milliard ou de dix milliards, voire in fine, comme on l’apprendra bien plus tard, de vingt milliards », plaide Elisabeth Borne devant la commission des finances du Sénat. « Je ne sais pas vous expliquer pourquoi les ministres recommandent de communiquer alors que les services recommandent de ne pas communiquer. Il faut leur demander ». La défausse, là encore, mais surtout l’impression d’un amateurisme redoutable pour la confiance – et que penser de la haute fonction publique, manifestement en déroute.
Et les réactions ne sont pas à la mesure du drame, l’impression qui domine est que rien n’est sous contrôle. Tandis que le président de la République atteint des sommets dans l’impopularité, il se révèle pour ce qu’il est, un petit aventurier de la finance, incompétent, imbu de sa personne et aveugle aux réalités. Un budget ni sincère ni véritable qui va subir la censure et le 49.3. On aurait pu penser, au vu des circonstances, que ce budget fût courageux, il n’en est rien, il reproduit à l’identique les caractères de ceux qui ont mené la France au fond du gouffre, toujours le matraquage fiscal et aucune réforme structurelle.
Vol en bande organisée
L’élection de Trump peut servir d’exemple : Elon Musk annonce qu’il va faire avec les agences gouvernementales américaines (elles sont pour lui la cause de la dette américaine) ce qu’il a fait avec Twitter, soit 75 % de licenciements. En France, le coût de ces mêmes agences s’élevait à 50 milliards d’euros par an, comme le précisait déjà un rapport alarmant de l’Inspection générale des finances… en 2012. Depuis rien ne s’est passé. Que penser de l’Agence de développement de la culture kanak et de l’Agence bibliographique de l’enseignement supérieur ? Que fait exactement le Centre technique du livre de l’enseignement supérieur ? Et les Services culture, éditions, ressources pour l’Éducation nationale (SCEREN) ? L’État français compte un maquis d’opérateurs publics : kyrielles d’agences de sécurité sanitaire, Agence pour les économies d’énergie, Agence nationale pour la rénovation urbaine… Chacune est rattachée aux ministères et secrétariats d’État. En 2023, il y aurait 438 opérateurs, 314 commissions diverses et des centaines de structures employant 479 000 agents en équivalent temps plein (plus des deux tiers des effectifs de l’Éducation nationale). Pour un coût total de 76,6 milliards de financements publics (contre 63 milliards en 2021) et donc un coût supérieur au budget de la dite Éducation. L’exemple le plus caricatural en est la société qui gère le Pass culture, dispositif destiné aux collégiens et lycéens, qui compte désormais 166 salariés et a déménagé à deux pas des Champs-Élysées, la culture vous dis-je ! Quelle culture ? La Cour des comptes s’en est émue mais rien ne se passe ! On continue comme avant : 282 millions € de subventions ! 1,2 million de loyer (+151 %) sur les Champs-Elysées, 166 employés (+28 %), 31 millions de frais de fonctionnement, 10 millions d’euros de salaires (+41 %), frais de bouche (+45 %) et de déplacement (+71 %).
Comités Théodule
Tout ceci est l’illustration des fameux « comités Théodule » nuisibles par leur parasitage quand ce n’est pas pour œuvrer contre les décisions de l’État et de la représentation nationale : nous sommes à la limite du vol en bande organisée. Le pays est géré depuis 40 ans par des générations successives de pieds nickelés sans courage et sans vision et, dans bien des cas, complètement incompétents, « le pire étant l’absence d’humilité et de bon sens » (Charles Sannat). À Bercy, dans un secteur à part où il faut montrer patte blanche pour accéder, nous avons des petits énarques encravatés, passés directement de la puberté à une salle des marchés pour placer la dette française en dehors de tout contrôle parlementaire. Une salle des marchés à Bercy ? Eh oui, une méthode déjà ancienne qui nous a conduits dans la dette, et le pire étant qu’une fois vendue la dette française, nous n’en connaissons même pas les propriétaires financiers (banques, fonds de pension, etc.) ; il en est de même pour la dette que contracte la Caisse d’Amortissement de la Dette Sociale pour les déficits de la sécurité sociale. Se souvient-on qu’au printemps 2020, au début de la crise du Covid, la sécurité sociale ne disposait pas des fonds nécessaires au paiement des retraites et des prestations sociales ? Les finances ont dû se livrer à un numéro d’urgence pour trouver des fonds, dont des reversements de TVA, théoriquement affectée au budget de l’État (la TVA rapporte environ 200 milliards, on l’amputa de la moitié pour la circonstance). Imaginons maintenant un défaut de trésorerie prolongé et aggravé par le refus des marchés, et c’est la révolte populaire à côté de laquelle la crise des Gilets jaunes apparaîtra comme une promenade de santé.
Le refus des marchés est loin d’être inenvisageable si Moody’s et Standard and Poor’s décident d’abaisser la note française à AA- : les conseils d’administration des grands fonds prêteurs de la planète ont décidé de ne pas acheter la dette en dessous de AA+, sauf à prendre leur risque à un taux d’interêt supérieur. On mesure l’étendue de la catastrophe pour la France.
Le tout sur fond de licenciements massifs dans le privé (Michelin, Auchan, etc.). Selon une récente étude d’Altares, le nombre de défaillances d’entreprises sur une année a atteint 66 000. Dans ces conditions, on peut s’étonner des projections macro-économiques de la Banque de France qui anticipe une croissance de 1,1 % en 2024, puis 1,2 % en 2025 et 1,5 % en 2026. D’autant plus qu’en parallèle l’Insee indique une dégradation de l’indice du climat des affaires, qui s’établit à 97 en octobre, soit trois points en dessous de la moyenne de long terme. C’est la plus forte chute enregistrée, hors crise sanitaire, depuis 2008. À cela s’ajoute une augmentation de la précarité telle que le Secours catholique vient d’en établir un rapport alarmant : il n’est plus temps de se le dissimuler, fini le « cachez ce pauvre que je ne saurais voir ! » A-t-on entendu le président de la start-up nation évoquer ce problème ?
Quitter la France ?
Et la loi entrave la transmission des entreprises avec un alourdissement des contraintes qui pèsent sur ce qu’on appelle le Pacte Dutreil, une mesure qui favorisait la transmission d’entreprise, aujourd’hui réduite à une peau de chagrin. Les impôts sur les bénéfices des sociétés qui étaient de 25 % seraient rehaussés de 30 % pour les entreprises qui font de 1 à 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires, et de 35 % pour les entreprises qui font plus de 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires.
Ainsi, beaucoup de chefs d’entreprise, de grandes entreprises et de plus petites, se posent de plus en plus la question de quitter la France. Ce qui peut en découler pourrait nuire à notre économie, mais aussi à notre souveraineté. Une part de la richesse du pays s’enfuit tandis que la dette enrichit les créanciers étrangers. Cela revient à pénaliser les entreprises qui ont réussi. En France on n’aime pas les riches mais on rêve de le devenir. En effet, selon le baromètre mensuel de l’économie réalisé par Odoxa, près des trois quarts des personnes interrogées pensent que l’on « n’aime pas les riches en France ». Et plus de la moitié (52 %) admettent ne pas les aimer eux-mêmes.
Le souverain captif
Ne nous étendons pas sur les racines anthropologiques de cette pensée (il est plus difficile à un riche d’entrer dans le royaume des cieux…, parole d’évangile !) Néanmoins on peut lui trouver une excuse en ce sens que, toujours selon le sondage Odoxa, la défiance envers les riches est nourrie par un sentiment « d’ascenseur social en panne ». 6 Français sur 10 pensent être dans une moins bonne situation que leurs parents au même âge, une situation qui s’est retournée par rapport à il y a 20 ans, et il y a du vrai dans cette panne d’ascenseur.
Fiscalité aggravée, donc haine des riches, désordres politiques et sociaux et grèves en chaînes (SNCF, fonctionnaires, agriculteurs). Un facteur supplémentaire vient s’y ajouter : le spectacle de la représentation parlementaire donne l’impression d’être dans une république tiers-mondisée, voire bananière, par les comportements de voyous d’un certain nombre de députés et le fonctionnement « à l’envers » des débats budgétaires. Au manque de sérieux budgétaire vient s’ajouter un manque de sérieux comportemental qui ne laisse pas d’inquiéter sur la solidité de nos institutions.
Et pendant ce temps l’impact négatif de l’élection de Trump risque d’être considérable pour la France et pour l’Europe : défense, exportations, montée du Sud Global et un euro qui ne cesse de se déprécier face au dollar. Jamais le pays n’a été aussi peu préparé à subir les chocs de l’histoire, on pense mutatis mutandis aux années de la fin de la IIIe République et surtout à André Tardieu et son livre Le Souverain captif. Prophète oublié qui mesurait la limite de l’efficacité gouvernementale et s’alarmait de ce que « la liberté [fût] en échec », « l’égalité violée », « la souveraineté escamotée » et « la volonté générale annulée ».
Illustration : Michel Barnier Premier Ministre pour la réduction du déficit ?