Tribunes
Que faire ?
Adieu, mon pays qu’on appelle encore la France. Adieu.
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Immigration. Les statistiques officielles du ministère de l’Intérieur minorent systématiquement l’importance de l’immigration : “mineurs” non accompagnés et demandeurs d’asile, par exemple, ne sont pas décomptés. Quant à l’Insee, elle “ajuste” les résultats de son enquête annuelle…
En janvier sont sorties deux publications statistiques dont la presse a rendu compte. La première est celle du ministère de l’Intérieur. Elle porte sur les premiers titres de séjour délivrés en France métropolitaine aux ressortissants de pays tiers à l’Union européenne, à l’Islande, au Liechtenstein, à la Norvège et à la Suisse.
Le calendrier de publication du ministère de l’Intérieur est le suivant : en janvier de l’année n, une estimation pour l’année n-1 et un chiffre définitif pour l’année n-2 ; puis, en juin, le chiffre provisoire pour l’année n-1. Le chiffre provisoire est généralement plus proche de celui qui sera définitif car il repose sur le nombre de titres de séjour effectivement enregistrés à cette date. Il est en général revu à la hausse en janvier quand on dispose de l’ensemble des titres de séjour effectivement délivrés lors de l’année n-2.
C’est ainsi que nous avons pris connaissance du nombre estimé de premiers titres de séjour délivrés en 2018 (255 550) et du nombre définitif en 2017 (247 436). On est indécis sur la manière d’interpréter cette estimation parce que le ministère de l’Intérieur a eu la main lourde à la même époque l’an passé, surestimant de près de 15 000, en janvier 2018, le nombre de titres effectivement enregistrés par le ministère de l’Intérieur en 2017 : 262 000 au lieu de 247 436 ! Il semble néanmoins que le service statistique du ministère de l’Intérieur ait joué la prudence, cette fois. La distorsion devrait donc être moins grande.
Quoi qu’il en soit, la tendance à la hausse est sans ambiguïté, comme l’indique ce graphique. Au cours des 22 dernières années, le nombre de premiers titres de séjour délivrés a plus que doublé. Et cela, sans tenir compte des variations de périmètre causées par l’entrée dans l’Union européenne de 12 pays (1er mai 2004, puis 1er janvier 2007) dont les ressortissants n’ont plus l’obligation de détenir un titre de séjour. Rien à voir avec les prétendus « quatorze ans de stabilité des entrées légales de 200 000 migrants extra-européens » que croit avoir perçus, entre 2002 et 2016, Francois Héran, professeur au Collège de France, chaire « Migrations et société » (cf. Avec l’immigration, La Découverte, 2017, emplacement 307-308).
Les statistiques du ministère de l’Intérieur se fondent sur les titres de séjour effectivement enregistrés dans son application de gestion. Les mineurs non astreints à la détention d’un titre de séjour n’y figurent que lorsqu’ils sont dans l’obligation de détenir un tel titre, à la majorité, s’ils n’ont pas bénéficié d’un effet collectif de l’acquisition de nationalité de leurs parents d’ici là. Les mineurs non accompagnés pris en charge par l’aide sociale à l’enfance n’y figurent pas non plus évidemment. Sans qu’on sache exactement ce qu’il advient de ceux dont la minorité n’a pas été confirmée. Le ministère de la Justice a eu connaissance de 14 908 personnes reconnues mineures non accompagnées confiées aux services d’aide sociale à l’enfance en 2017 (85 % de plus qu’en 2016). Et le nombre de ces enfants pris en charge par les départements au 31 décembre 2017 (« stock » en fin d’année) est estimé à 21 013. Un rapport de l’IGAS, de l’inspection de la Justice et de l’Assemblée des départements a estimé à 54 000 le nombre d’évaluations de minorité en 2017, dont un nombre incertain de doublons¹. Même en supposant que les doublons ne soient pas négligeables, les jeunes qui se disent mineurs alors qu’ils ne le sont pas sont donc très nombreux.
Les demandeurs d’asile ne figurent pas non plus dans les statistiques du ministère de l’Intérieur. Ils entrent dans son fichier lorsqu’ils obtiennent le statut de réfugié ou une protection subsidiaire ou lorsqu’ils voient leur situation régularisée, à un titre ou à un autre. Les données diffusées par le ministère de l’Intérieur à ce sujet portent sur la France entière et sont tirées d’un nouveau système d’information, SI Asile. Si l’on s’en tient aux premières demandes (sans compter les recours et les nouvelles demandes), l’OFPRA a traité 93 230 dossiers d’adultes en 2018, auxquels il faut ajouter 17 830 mineurs, soit 111 060, y compris les étrangers censés être visés par une procédure de réadmission dans un autre pays européen et dont la procédure a été éteinte. N’en font pas partie les étrangers visés par une procédure Dublin dont la préfecture examine quand même les dossiers, au nombre de 35 220, mineurs compris. Soit un total, OFPRA et préfectures, de près de 146 000 en 2018, en augmentation de 17 % en un an. La France a été beaucoup moins frappée directement par la crise migratoire de 2015-2016 que certains de ses voisins, Suède et Allemagne en tête, mais elle est touchée maintenant par des mouvements secondaires de demandeurs d’asile qui n’ont pas obtenu satisfaction ailleurs. Quant à ceux qui sont entrés illégalement sans se faire connaître ou qui ont prolongé leur séjour au delà de la période de validité de leur visa touristique, leur nombre n’est évidemment pas connu.
Comme les demandeurs d’asile ne sont pas comptés, ou le sont avec retard dans les statistiques du ministère de l’Intérieur d’après lesquelles est appréciée l’importance de l’immigration, ces statistiques peuvent se trouver déphasées par rapport à la réalité des flux. La venue de mineurs non accompagnés en grand nombre a le même effet.
On aurait aimé pouvoir compter sur les estimations réalisées par l’Insee à partir des enquêtes annuelles de recensement, pour nous aider à y voir plus clair. Malheureusement, la dernière publication de l’Insee sur le bilan démographique de la France² ne permet guère d’entretenir une telle espérance. L’Insee a introduit en 2018 des modifications dans son questionnaire afin de mieux prendre en compte la multi-résidence. Ce qui l’amène à estimer l’effet de ce nouveau questionnaire, sous l’hypothèse que la population a été surestimée dans une certaine proportion avec l’ancien, en raison de ces multi-résidences. Sans entrer dans le détail, l’Insee, pour rétablir sa comptabilité démographique annuelle, est amené à introduire une variable d’ajustement. Au-delà du solde naturel (naissances-décès), bien connu, le résidu de l’équation démographique de l’année qui n’est pas expliqué par ce solde naturel est attribué à l’ajustement négatif et au « solde migratoire ». Et cela devrait durer jusqu’en 2022.
On croyait en avoir fini avec les ajustements introduits pendant 16 ans (1990-2005) en raison d’une collecte jugée de moindre qualité lors du recensement de 1999. Nous y sommes revenus. Avec ces ajustements, l’Insee ne corrige pas l’ensemble de ses résultats, mais seulement la présentation de ses bilans démographiques afin de les rendre cohérents. Attendons-nous à des révisions successives. Il n’est guère possible d’accorder quelque crédit au solde migratoire dégagé par l’Insee pour évaluer l’immigration en France.
Michèle Tribalat est démographe. www.micheletribalat.fr
1. www.igas.gouv.fr/IMG/pdf/2017-177-Rapport_MNA.pdf
2. www.insee.fr/fr/statistiques/1912926