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Un mandat de trop

Limiter à deux courts mandats l’exercice de la présidence, c’est le mettre en position de n’avoir ni le temps d’entreprendre de vraies réformes ni celui de recueillir le fruit de ses réformes. À peine réélu et condamné à l’immobilité, Macron offre le pénible spectacle d’un homme qui va contempler, quatre ans durant, les luttes pour sa succession.

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Un mandat de trop

La limitation à deux mandats présidentiels consécutifs, en vigueur depuis la révision constitutionnelle de juillet 2008, est-elle une « funeste connerie » comme l’a déclaré Emmanuel Macron lors des Rencontres de Saint-Denis ? Pour moi, aucun doute, la réponse est : oui. J’entends déjà certains d’entre vous se récrier : « Comment ? Vous voudriez que Macron puisse faire trois mandats consécutifs ? Voire plus ? Mais vous êtes fou ! » (ou vous êtes un boomer vaccinolâtre, ce qui revient à peu près au même.)

À quoi je réponds : il n’est pas pire manière d’évaluer une règle que de se focaliser sur la manière dont elle s’appliquera à tel individu que l’on connait. Le propre d’une règle générale est de ne jamais pouvoir être parfaitement adaptée à tous les cas particuliers. Donc même une bonne loi pourra, à l’occasion, produire des résultats indésirables. Cela ne suffit pas à prouver qu’elle soit mauvaise.

Macron pensait-il à lui-même en portant ce jugement sur l’interdiction des deux mandats consécutifs ? En fait la question est mal formulée : Macron pense-t-il jamais à autre chose qu’à lui-même lorsqu’il parle ou agit ? Je ne saurais l’affirmer. Pour ma part, je trouve que le portrait que Tocqueville trace de Lamartine dans ses Souvenirs correspond remarquablement bien à notre président : « Je ne sais si j’ai rencontré, dans ce monde d’ambitions égoïstes, au milieu duquel j’ai vécu, un esprit plus vide de la pensée du bien public que le sien. J’y ai vu une foule d’hommes troubler le pays pour se grandir : c’est la perversité courante ; mais il est le seul, je crois, qui m’ait semblé toujours prêt à bouleverser le monde pour se distraire. Je n’ai jamais connu non plus d’esprit moins sincère, ni qui eût un mépris plus complet pour la vérité. Quand je dis qu’il la méprisait, je me trompe ; il ne l’honorait point assez pour s’occuper d’elle d’aucune manière. »

Éviter la sclérose du pouvoir

Mais ce qui a pu motiver cette sortie d’Emmanuel Macron est sans importance. Ce qu’il a dit me semble vrai, et je ne vais pas prétendre qu’il fait nuit à midi sous prétexte qu’il a dit qu’il fait grand jour. Au vrai, les raisons pour lesquelles on a pu introduire cette disposition dans la Constitution m’échappent complètement.

Oh, je connais bien les arguments des partisans de cette limitation du nombre de mandats : « éviter la sclérose du pouvoir », « éviter “le mandat de trop” », « inciter le président à agir plutôt qu’à durer », selon les mots de Sarkozy, inspirateur de cette réforme, voire « éviter ce qui s’est passé à la fin du deuxième mandat de François Mitterrand » (bel exemple de la funeste connerie qui consiste à juger une loi à l’aune d’un cas particulier, voir plus haut).

Mais ces arguments me paraissent totalement vides. En supposant qu’il soit possible de définir de manière raisonnablement objective la « sclérose » du pouvoir ou le « mandat de trop », nul ne peut dire quand ces phénomènes se manifesteront, ni même s’ils se manifesteront un jour pour tel ou telle. De sorte que limiter a priori le nombre de mandats sous ces prétextes revient à peu près à rendre l’euthanasie obligatoire passée un certain âge sous prétexte que, au-delà de cette limite, vous pourriez développer la maladie d’Alzheimer. Oui, je sais, c’est sans doute ce à quoi nous allons arriver un jour, mais c’est un autre sujet.

Au surplus, quant a-t-on jamais vu que l’immobilisme soit le péril qui menace une démocratie ? Sa maladie naturelle est bien plutôt de changer sans cesse les lois et les gouvernements, or il faut nous soutenir par le bord où nous penchons, et non pas nous y enfoncer davantage.

Quant à « inciter le président à agir plutôt qu’à durer », je demande simplement ce qui est le plus susceptible d’inciter un homme ambitieux (et il faut être ambitieux pour devenir président de la République) à entreprendre des tâches difficiles au service de son pays, de ces tâches qui demandent du temps et des efforts soutenus pour porter leurs fruits : est-ce la perspective de pouvoir mener ces tâches à leur terme et récolter lui-même les lauriers du succès, ou bien au contraire la certitude de devoir quitter la scène avant qu’elles soient achevées et de laisser leur accomplissement à des mains étrangères qui en récolteront à peu près tout le bénéfice ?

Il me semble que poser la question revient à y répondre et que, si l’on doit craindre qu’un président se tourne les pouces en regardant passer les nuages, c’est bien plutôt lorsqu’il sait ne pas pouvoir être réélu que lorsqu’il peut toujours caresser l’espoir de se voir accorder un nouveau mandat s’il réussit à bien servir ses compatriotes (ou plutôt si ceux-ci estiment qu’il les a bien servis).

Au surplus, et on le voit déjà, à peine un an après la réélection d’Emmanuel Macron, l’impossibilité pour un président en exercice d’être réélu diminue l’emprise qu’il a sur son camp politique, ouvre les guerres de succession, et par conséquent sape grandement sa capacité à entreprendre de grandes réformes.

L’homme (la femme) providentiel

À quoi on peut ajouter d’autres considérations. D’une part, contrairement à la stupide préférence pour la jeunesse, stupidement encouragée par nos dirigeants eux-mêmes, l’âge et l’expérience sont des atouts considérables en politique et, sauf très rares exceptions, on ne devient apte à bien remplir de hautes fonctions qu’en les exerçant pendant suffisamment longtemps. N’est-il donc pas étrange d’empêcher de se présenter à l’élection présidentielle ceux qui, précisément, ont le plus d’expérience de cette fonction ? Mais s’ils sont mauvais malgré leur expérience, me dira-t-on ? Eh bien c’est très simple : on ne les réélit pas. Mais leur interdire de se présenter est absurde.

D’autre part, interdire plus de deux mandats consécutifs (ou, pire encore, interdire plus de deux mandats, comme aux États-Unis) fait toujours courir à une nation le risque de ne pas pouvoir faire appel, au moment critique, à la seule personne qui, à cet instant, pourrait la sauver. Car oui, il y a bien des hommes (ou des femmes) providentiels, n’en déplaise aux démocrates bornés qui voudraient passer l’humanité sous la toise, et il n’existe sans doute aucune nation qui, à un moment ou l’autre de son histoire, n’ait expérimenté la nécessité absolue de recourir aux services d’un individu indispensable.

Enfin (mais je pourrais continuer), n’est-ce pas dangereusement tenter le diable que de placer un homme très ambitieux et peu scrupuleux (comme il doit nécessairement y en avoir de temps à autre au sommet de l’État) dans l’alternative de devoir quitter le pouvoir, sans qu’il puisse rien faire pour le conserver légalement, ou de devoir ébranler la Constitution, et la nation tout entière, pour rester en fonction ? Quelqu’un a-t-il jamais entendu parler de Louis-Napoléon Bonaparte ?

Bref, cette révision de la Constitution pour interdire d’exercer plus de deux mandats présidentiels consécutifs a en effet été une « connerie », qui pourrait bien un jour se révéler funeste. Comme quoi, il n’est aucunement besoin de rester longtemps en fonction pour commettre beaucoup d’erreurs et léguer au pays de mauvaises lois. Nicolas Sarkozy l’a amplement prouvé, et il n’est pas le seul. Le « mandat de trop », ce n’est pas nécessairement le quatrième ou le cinquième, cela peut aussi très bien être le premier.

 

Illustration : Nicolas Sarkozy, 5 ans de présidence, signe à la Librairie générale d’Arcachon son pavé de 592 pages. 5 ans, c’était déjà trop.

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