Editoriaux
Cierges et ministres
Il y a une semaine à peine, une grave question agitait le monde politique : qui allaient être les ministres délégués aux Personnes en situation de handicap et aux Anciens combattants ?
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À l’occasion des funérailles de la reine d’Angleterre, les journalistes français ont à qui mieux mieux évoqué avec nostalgie une monarchie possible qu’une révolution imbécile a supprimée.
La politique ne fait plus rêver les Français. Il suffit de voir à l’œuvre la classe qui les dirige pour comprendre leur dégoût, pour justifier leur mépris. Les plus conscients – malheureusement pas les plus nombreux – se disent avec une amère lucidité que les institutions françaises dans leur ensemble sont régies par un vice politique qui en pervertit le système tout entier. Claire et triste constatation. Il agit comme un principe originel de dépravation généralisée dont la caractéristique est de dénaturer toute activité sociale et politique, et de contaminer jusqu’aux meilleures décisions, jusqu’aux plus beaux engagements.
Tel un virus biologique ou informatique. Tel un cancer. L’activité se déploie en vue du bien de l’ensemble et voilà qu’elle est détournée de son but au profit d’une prolifération frauduleuse et maligne. Vous croyez travailler pour la France ; vous œuvrez pour la République, un truc qui tient la France et qui se croit en droit de la dominer en multipliant ses cellules morbides pour supplanter les cellules saines de l’organisme. La clique qui vit de cette République parasite, en tire son profit et s’empresse de mettre à mal ce que vous essayez de construire ou de sauver. Qui n’en a pas fait l’expérience ? Le bon citoyen ne peut que se désoler devant un tel constat. Si bien qu’aujourd’hui, chez nous, c’est plus souvent le bien qui sert au mal, et non l’inverse, par un implacable retournement de notre tradition spirituelle selon laquelle le mal doit servir au bien, l’être devant l’emporter sur sa négation.
C’est dire si le mal est consubstantiel au régime ; il n’a même d’existence que par la République – la française précisément – qui en quelque sorte le justifie pour en faire sa « valeur » ; il n’est donc pas remédiable. Malgré les beaux discours et toutes les tentatives des uns et des autres, rien ne change jamais fondamentalement. En France, c’est une illusion, flatteuse et sympathique, mais sans avenir. En fait, rien ne peut changer dans le cadre existant. Impossibilité quasi ontologique. Il y a une bonne France, certes de plus en plus affaiblie ; il n’y a pas en France de bonne République. Ah ! Qu’il y ait au moins une poignée de Français pour tenir cette certitude !
Avec l’accélération de l’histoire, pour reprendre l’expression de Daniel Halévy, il est possible de dire même que tout empire. Naguère encore, la France existait, les politiques passaient. Il y avait une sorte de résistance de long terme et les Français pouvaient encore s’adonner à des activités que leur jugement choisissait et où il leur était permis d’envisager des résultats bons et satisfaisants. Cet espace de liberté diminue pour ainsi dire chaque jour ; chacun peut en témoigner. Le système a pratiquement fini par tout bouffer. La République a triomphé de la France ; elle ne cherche plus qu’à l’achever ; elle met tout en œuvre en vue de cette « déconstruction » qui est l’aboutissement de tous ses vœux, de toute sa doctrine. C’est, en effet, une sorte de logique systémique qui dépasse même la volonté des hommes. Ce point commence à être compris par les observateurs les plus sagaces. 93 est dans 89, 2021 dans 1880. Pap Ndiaye dans Jules Ferry. Eh oui ! Cette prétention insensée de mettre l’éducation et l’enseignement au service de la propagande républicaine ! Un Furet qui avait tout vu, tout étudié, tout vécu dans sa vie, en était arrivé à cette conclusion. Comme jadis Taine. Comprendre la révolution, comprendre sa logique, comprendre l’histoire de la république ! C’est un tout qui se tient et s’explique. Les premiers à en être persuadés, ce sont les protagonistes ; un Vincent Peillon l’a fort bien dit à sa manière. Pap Ndiaye pareillement.
Macron n’est lui-même qu’un instrument qui s’imagine, avec ses équipes d’insupportables prétentieux, au féminin comme au masculin, avoir la maîtrise d’une direction politique alors qu’il va comme nécessairement toujours dans le même sens de cette continuelle « déconstruction » – selon le mot à la mode, fort juste au demeurant –, idéologique et pratique, donc morale, sociale, éducative, économique, financière dont il porte évidemment l’effroyable responsabilité, mais qui reste en soi le résultat pour ainsi dire normal du principe pervers sur lequel repose son pouvoir et qui constitue, dans le système actuel, sa seule légitimité. Dans sa vie, aucun service effectif rendu à la France et aux Français ; a-t-il même porté secours un jour à quelqu’un ? Il n’a jamais pensé qu’à lui-même. Macron estime qu’il est fait pour gouverner les Français parce qu’il l’a ainsi décidé de lui-même et donc pris tous les moyens pour y parvenir. Sa légitimité n’a pas d’autre fondement. Tel, d’ailleurs, que ses prédécesseurs ! La France ne sera sauvée que quand elle rompra avec cette absurde pratique érigée en système de gouvernement.
D’où toutes les décisions catastrophiques qui s’accumulent, prises au nom de l’État, économiques, financières, industrielles, énergétiques – les Français en paieront le prix et les conséquences – aussi bien que sociétales – déconstructivisme en tout domaine, éducation sexuelle dès le plus jeune âge, jusqu’à l’extravagance morbide, euthanasie, avortement jusqu’à neuf mois – et, maintenant, installation de populations étrangères au fin fond de la ruralité française ; et, demain, les églises de campagne transformées en mosquées, avec l’accord des élus, des préfets et de la hiérarchie catholique ! La République, ça marche comme ça et que comme ça, et ça va jusqu’au bout de sa stupide logique. Qui ose parler de « valeurs » ? C’est une farce ! Et du plus mauvais goût ! Les jeunes générations ont du souci à se faire ; les plus clairvoyants savent à quoi s’en tenir.
Non, la Ve République ne fait plus rêver. Le peuple français a été dupé, une fois de plus. Mais comment se tirer d’un si mauvais pas ? à moins de rêver d’une VIe République dont il est permis de se demander de quelle pagaye supplémentaire elle sera le nom, pour l’unique profit de quelques politiciens sans scrupules.
Que la République ne fasse plus rêver, c’est au fond le bon côté des choses, tant le mal est constitutif de nos institutions. En fait, n’en rêvent, comme toujours, que ceux qui veulent s’en emparer, car la République qui accable la France sous le poids de ses inutiles et monstrueux appareils administratifs et politiciens, n’est plus que l’occasion d’une lutte permanente et personnelle pour le pouvoir, et d’abord pour le pouvoir suprême. La mécanique institutionnelle a tout happé dans ce gouffre sans fond d’une sottise absolue où l’opinion se précipite, enchaînée par des mots répétés comme un martèlement continu et qui l’entraînent dans l’abîme de querelles sordides et sans fin pour la satisfaction de quelques ambitieux forcenés.
Tant qu’à faire de rêver, rêvons donc en nous laissant mener par l’intelligence de l’histoire. Car le cours des choses aurait pu être autre. Les esprits chagrins diront que l’exercice est vain. Et, pourtant, contrairement à ce qui est doctement professé, il n’y avait aucune nécessité que se passât ce qui s’est passé, tel que cela s’est passé, et, de même, ce qui fut et qui demeure le pire ne saurait être présenté obligatoirement comme le meilleur au prétexte que, de toute façon, c’était inéluctable. Non, tout aurait pu tourner autrement. L’histoire de France aurait pu suivre son cours national et royal, et prendre la bonne route plutôt que de bifurquer sinistrement.
Rêvons, imaginons. Louis XV en janvier 1771 accomplit son coup d’État royal. Inutile ici d’entrer dans le détail. René-Nicolas de Maupeou est chancelier de France ; de famille parlementaire, il a compris de l’intérieur les méfaits de la révolte des parlements qui font obstacle au pouvoir royal. L’abbé Terray est installé au contrôle général des finances : son but est de remettre de l’ordre dans les finances du royaume et de régler le problème des impôts. Le duc d’Aiguillon, un Richelieu, qui s’est toujours battu avec courage et qui a fait face au parlement de Bretagne, prend les Affaires étrangères et bientôt la Guerre : il faut redresser la situation du royaume compromise par Choiseul. Ce triumvirat en quelques mois opère une série de réformes décisives. Les meilleurs historiens de la monarchie française ont montré l’efficacité de cette révolution royale, la bonne, la vraie, qui aurait évité l’autre aux conséquences catastrophiques.
Louis XV avait tout vu, tout prévu ; l’expérience l’avait instruit. Il s’agissait pour lui de sauver le royaume, d’assurer le trône pour son successeur, de garantir la couronne contre les chocs de l’avenir. Il sait parfaitement ce qu’il fait. La réforme de la justice est enfin sérieusement entamée ; les parlements ne sont plus seulement exilés, mais éliminés, remplacés par des cours supérieures. Il est mis fin à la vénalité des offices. Plus de juges qui prétendent régir l’autorité souveraine. Le Roi est roi ; à lui revient d’établir la norme. La justice est au service des justiciables.
Tout ce qui est attribué en bien à Napoléon est pratiquement en gestation sous le règne de Louis XV.
La question fiscale est abordée et tranchée de manière claire. Les édits bursaux n’auront plus besoin d’être enregistrés pour être validés. Plus de discutailleries, de remontrances répétitives, d’obstruction systématique. L’impôt généralisé avec une assiette équitable est sur le point d’être mis en forme. Toutes les réformes sont envisageables et envisagées.
Politique d’abord : l’ordre est rétabli à la tête de l’État, cette tête qu’on prétendait dissocier de son corps, la nation. Louis XV dans une superbe déclaration a rappelé la doctrine de l’État royal, celle qui nous fait affreusement défaut aujourd’hui.
L’État est restauré ; il est souverain, libre par définition ; il décide. Et l’État, c’est un Roi, humain, bon, intelligent, capable, instruit, très au fait des besoins du royaume comme des progrès de la science et des nécessités techniques. Ses défauts sont connus ; inutile de s’y appesantir ; il les connaissait lui-même.
Les cartons des services de l’État regorgent de projets que les commis ressortiront sous la Convention et surtout avec Bonaparte qui reprendra à son compte cette restructuration étatique, lors du Consulat et de l’établissement des Institutions de l’An VIII. Des personnalités comme Lebrun lui servirent pour s’approprier le travail commencé sous Louis XV, notamment l’idée d’un code national, pratiquement rédigé par Pothier. Le code Napoléon est dans sa structure et dans la majorité de ses articles un code Louis XV. Les ordonnances de d’Aguesseau y sont reprises mot pour mot. Précision et élégance de la langue que Stendhal admirait ! Sauf que Napoléon cherche à en faire l’instrument de son despotisme en dénaturant la visée originelle.
L’école des Mines, l’école des Ponts et Chaussées ont été créées sous Louis XV. C’est l’ébauche de Polytechnique. Bref tout ce qui est attribué en bien à la Convention ou à Napoléon est pratiquement en gestation sous le règne de Louis XV. La France, avec ses intendants qui préfigurent les préfets, est le royaume le mieux administré d’Europe. Nos routes nationales furent d’abord des routes royales, sagement bordées d’arbres. Restait à poursuivre une œuvre d’unification sans tomber dans le bureaucratisme qui deviendra vite la plaie de la tentacule administrative, telle que Balzac la dépeindra cinquante ans plus tard. La marine est reconstituée ; nos armées refaites, avec leurs ingénieurs comme Gribeauval. Tout est prêt.
Mais Louis XV meurt le 10 mai 1774. Louis XVI, intelligent et cultivé, n’a malheureusement que vingt ans, pas assez formé à son métier de roi, hélas ; Marie-Antoinette trop légère. Et voilà que le nouveau roi fait appel à Maurepas, ancien secrétaire d’État de Louis XV disgracié et renvoyé, qu’il nomme Ministre d’État et qui devient son principal conseiller. L’homme, de famille parlementaire, séducteur et pervers, prend sa revanche. Toute la réforme de Louis XV est mise à bas. Les parlements reviennent ; toute réforme devient impossible jusqu’aux ridicules assemblées de notables et aux désastreux états généraux. Est-il permis de se prendre à rêver ? Louis XVI garde Maupeou. Il continue Louis XV ; la France est réformée ; la représentation de la nation se constitue dans ce cadre. L’ordre intérieur est assuré.
Vergennes arrive à son poste. Sur le plan extérieur, la France maintient l’équilibre européen – affaire de Bavière –, garantit la liberté des mers avec l’indépendance des États-Unis, force l’Angleterre à restreindre ses ambitions et ses brigandages. Elle est la première nation du monde. Sur terre et sur mer. Elle a fait sa révolution royale. Et son roi ne pense qu’à développer les connaissances humaines, à explorer la planète – « a-t-on des nouvelles de monsieur de La Pérouse ? » –, tout en étant le meilleur homme du monde et un profond chrétien. Et le rêve pourrait se poursuivre… Jusqu’à aujourd’hui !
Eh bien, non, ce seront cinq ou six révolutions, toutes destructrices et quelques-unes d’une cruauté et d’une bêtise sans nom, six invasions, l’Europe rassemblée contre nous, l’Allemagne unifiée, les Prussiens, les Russes, les Anglais campant sur les Champs-Élysées, douze constitutions, aucune représentation du peuple réel, mais des politiciens et de la rhétorique démagogique à flots continus, des querelles indéfinies, des lois absurdes, de plus en plus mal faites et mal rédigées, finalement une décomposition de la nation, une invasion migratoire, un effondrement moral, intellectuel, culturel qui se cumule avec un effacement progressif et presque total de la France dans le monde, sauf à rester une destination touristique pour son patrimoine historique… Son histoire justement qui reste dans l’imaginaire des peuples.
Qui ne se prendrait à rêver ? Il s’en est fallu de si peu. À cause d’une erreur spécifiquement politique ! Certes il y avait l’effervescence philosophique, politique, sociale. Mais, enfin, il était encore possible de faire appel aux ressorts naturels d’un royaume qui ne demandait qu’à vivre et prospérer.
En attendant, la France tourne les yeux vers l’Angleterre, sa vieille rivale, à la mort de la reine Elizabeth. À croire que tout à coup tous les journalistes français étaient devenus monarchistes. Mais non ! Trop beau !
Une chose est certaine : on peut penser ce que l’on veut de l’Angleterre, même de la famille royale. La reine Elizabeth imposait le respect. La cérémonie funèbre était, comme il se doit, une exaltation de la nation et de sa royauté, la manifestation d’une communion comme la France n’en connaît plus. Charles III succède à Elizabeth II : c’est simple, royal, efficace. L’Angleterre est nationaliste et royaliste. Elle va connaître, comme nous, des difficultés terribles à la suite de politiques plus ou moins absurdes, mais elle garde encore les conditions essentielles de son avenir. Comme par le passé, elle tiendra. England for ever. C’est ainsi… Et la France ?
Illustration : Au moins, ça a de la gueule !…