Pour certains, rétablir l’équilibre entre pouvoirs exécutif et législatif suppose d’interdire l’usage de l’article 49 alinéa 3. Il serait sans doute plus pertinent de permettre d’en revenir à l’esprit de nos institutions.
On entend beaucoup parler, dans les projets visant à réformer nos institutions, de la disparition d’un article 49 alinéa 3, mis sous les feux de l’actualité avec l’adoption de la loi sur les retraites, et dont on parle pour le futur budget et/ou la loi sur l’immigration. Rappelons qu’il s’agit d’une possibilité offerte au gouvernement d’engager sa responsabilité devant l’Assemblée nationale sur un texte, et que deux solutions peuvent se présenter. Si les députés ne déposent pas de motion de censure, ou en déposent une mais ne parviennent pas à la faire voter, le gouvernement reste en place et le texte sur lequel il a engagé sa responsabilité est considéré comme adopté. Mais si, au contraire, il y a adoption d’une motion de censure, le gouvernement doit présenter sa démission et son texte disparaît avec lui.
Cette disposition a été mise en place en 1958 pour clarifier les choses. Les majorités parlementaires de la IVe république, fluctuant en fonction des alliances des groupes parlementaires composant l’assemblée, pouvaient en effet empêcher que des réformes nécessaires, mais impopulaires, soient mises en œuvre par les gouvernements. La nouvelle procédure est donc tout à fait logique dans cette volonté de rationalisation du parlementarisme qui est le point nodal de la réforme de 1958.
Pour autant, une seule motion de censure a été voté sous la Ve République, le 5 octobre 1962, officiellement dirigée contre le gouvernement Pompidou, mais visant en fait le chef de l’État, qui utilisait alors l’article 11 en lieu et place de l’article 89 pour réviser la Constitution. Une motion de censure dite « spontanée », reposant sur le deuxième alinéa de l’article 49 et non le troisième, et dont les conséquences peuvent peut-être expliquer qu’elle ait été la seule à être adoptée. Une fois la censure votée, en effet, le président de la République a, d’une part, rejeté la démission immédiate du gouvernement Pompidou et, d’autre part, dissout l’Assemblée. Lors des élections législatives qui suivirent, de nombreux députés ayant voté la motion ayant perdu leurs sièges au profit de candidats gaullistes, cette nouvelle majorité permit au Général de demander au même Georges Pompidou de former un nouveau gouvernement.
L’équilibre n’existe plus entre les pouvoirs
Contrairement à ce qui est dit ici et là, la logique qui préside à une telle dissolution à la suite du vote de la censure est pleinement démocratique. À partir du moment en effet où une divergence majeure se fait jour entre les pouvoirs exécutif et législatif sur une réforme considérée comme essentielle, et quand deux éléments de ces pouvoirs, le président de la République d’une part, l’Assemblée nationale d’autre part, bénéficient de la même légitimité venue du suffrage universel direct, comment mieux faire trancher le débat qu’en demandant son avis au peuple souverain ?
Il est clair que pour les parlementaires le vote d’une motion de censure peut engager leur responsabilité politique par la dissolution, et cette éventualité est sans doute l’un des éléments d’explication de leur peu d’appétence à en user. Mais pour que dissolution et motion de censure s’approchent des cheks and balances du parlementarisme, encore faut-il éviter une pratique présidentielle contraire à la conception qu’avaient les constituants de nos institutions.
Pour De Gaulle, l’esprit de nos institutions conduit le chef de l’État à devoir assumer sa responsabilité politique lorsqu’il est désavoué par le peuple. C’est ce qui le conduit à démissionner en 1969 après l’échec d’un référendum, et ce qui l’aurait très vraisemblablement conduit à faire de même si, en 1962, une majorité parlementaire hostile à ses choix avait été reconduite à la Chambre : on ne l’imagine pas accepter une cohabitation. Or cette acceptation d’une responsabilité politique a disparu, François Mitterrand ou Jacques Chirac ne tirant par exemple aucune conséquence politique de désaveux électoraux ou référendaires. Mais si le vote de la motion de censure fait courir aux parlementaires le risque de perdre leur statut sans que ce risque existe dans le cas du choix présidentiel de la dissolution – qui conduira, au pire, à une cohabitation –, l’équilibre n’existe plus entre les pouvoirs.
La logique qui préside à une telle dissolution à la suite du vote de la censure est pleinement démocratique.
S’il est souhaitable que des parlementaires continuent à engager leur responsabilité politique en votant une motion de censure, acte qui ne saurait être banalisé, il faudrait, en retour, que le président de la République engage lui aussi la sienne en faisant le choix de la dissolution. Et puisque certains politiques d’aujourd’hui ne semblent plus capables d’assumer spontanément les conséquences de leurs choix, et que cet esprit des institutions qui est aussi essentiel à leur bon fonctionnement que sa lettre peut être impunément bafoué, la vraie question n’est pas tant de permettre, en supprimant l’article 49 al.3, le retour des « délices et poisons » du régime des partis que de rétablir le fonctionnement équilibré de notre système parlementaire.
Dans ce cadre, il conviendrait de réviser la Constitution en modifiant l’article 12, qui organise la dissolution, en ajoutant que l’Assemblée nationale nouvellement élue pourrait, par un vote fait dans la première semaine suivant cette élection – et qui pourrait demander une majorité qualifiée –, contraindre le président de la République à la démission, ce dernier restant libre de se représenter.
La marge de manœuvre laissée aux différents pouvoirs – le gouvernement pour engager sa responsabilité sur un texte, l’Assemblée nationale pour voter la censure, le Président pour dissoudre, et, dans l’hypothèse de notre proposition, la nouvelle Assemblée pour contraindre le Président au départ – permettrait de rester dans la logique de collaboration des pouvoirs typique du régime parlementaire comme de laisser le dernier mot au peuple souverain. Gardons-nous au contraire de créer des déséquilibres nouveaux en supprimant l’alinéa 3 de l’article 49.
Illustration : Désavoués par le peuple mais inamovibles par principe, ou l’autorité sans légitimité ni responsabilité.