France

Mort, où est ta victoire ?
La loi sur l’euthanasie, l’aide à mourir, pardon, et autres euphémismes insultant nos intelligences et endormant nos consciences, a été votée. Victoire ! Mais non.
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Le chemin qui va de l’avortement à l’euthanasie est clair et droit. Mais la loi qui vient de commencer sa navette comporte quelques perfidies inédites qu’il faut traquer au fil du texte pour y découvrir à quel point les soins palliatifs seront la victime collatérale de ce progrès républicainement fraternel.
La proposition de loi relative au droit à l’aide à mourir est une étape de plus dans l’évolution de la vision anthropologique légale que la république porte sur la société et le peuple français. On peut situer une première étape avec la loi Neuwirth de 1967, qui autorise la contraception orale, abrogeant par le fait la loi de 1920 qui l’interdisait. Cette légalisation d’un comportement dissociant l’acte sexuel de sa vertu procréative contenait en germe toutes les suivantes, bien connues de tous : avortement, PACS, mariage pour tous, PMA sans père, constitutionnalisation de l’avortement, enfin, effective en 2024. Toute loi porte en elle une part de choix éthique, et les lois dites « sociétales » encore plus que les autres parce qu’elles sont créatrices d’un droit qui se répercute sur la morale sociale, et même individuelle : la loi l’autorise, c’est un droit, donc cela va plutôt dans le sens du Bien. Ce Bien en l’occurrence étant la réalisation de l’utopie mortelle de l’individu faussement roi, objet de consommation, et esclave soumis à ses pulsions.
La proposition de loi qui vient d’être adoptée en première lecture par l’Assemblée Nationale n’échappe pas à la règle : elle propose d’accorder sous certaines conditions à tout citoyen français majeur, « apte à manifester sa volonté de façon libre et éclairée », le droit d’obtenir d’un médecin ou d’un infirmier qu’il lui administre une substance létale ou qu’il lui apporte son aide « technique », s’il choisit le suicide assisté. Voyons au fil du texte quelques dispositions saillantes qui en font ressortir la perversité.
En réalité, c’est une demi-clause de conscience, ou plutôt une clause de conscience contournée : en effet, si le professionnel de santé sollicité ne veut pas procéder à l’euthanasie, il a l’obligation de « communiquer le nom de professionnels de santé disposés à participer à la mise en œuvre de celle-ci ». Plus grave encore, un chef d’établissement de santé, même s’il est hostile à l’euthanasie, ne doit pas s’opposer à ce que celle-ci soit pratiquée dans ses murs. Signalons que les pharmaciens, qui doivent préparer et fournir les doses mortelles, n’ont pas droit à cette clause de conscience, même édulcorée.
Il est créé une « commission de contrôle et d’évaluation » qui « assure le contrôle a posteriori » du bon déroulement, dans les règles, de l’opération ; elle « comprend au moins deux médecins, un conseiller d’État, un conseiller à la Cour de Cassation, des membres d’associations » et des « personnalités agréées en raison de leurs compétences dans le domaine des sciences humaines et sociales ». On assiste donc à la création d’un corps des inspecteurs de la mort administrée ou assistée ?
Autrement dit, délit d’entrave (qui nous rappelle une disposition aggravante de la loi sur l’avortement) : « Est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende le fait d’empêcher ou de tenter d’empêcher de pratiquer ou de s’informer sur l’aide à mourir par tout moyen, y compris par voie électronique ou en ligne, notamment par la diffusion ou la transmission d’allégations ou d’indications de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif, sur les caractéristiques ou les conséquences médicales de l’aide à mourir […] soit en perturbant l’accès aux établissements […] soit en exerçant des pressions morales ou psychologiques […] menaces […] ou tout acte d’intimidation… » Nous voici devant un mur hérissé de menaces pour défendre un dogme intangible ; interdit de parler en dehors de la doxa.
Les journalistes, les philosophes, les prêtres, les évêques, réalisent-ils qu’ils sont directement visés par ce délit d’entrave ? On sent poindre à l’horizon le délit d’entrave à la maison… Le législateur ne se contente pas d’interdire, il organise la délation (17, II) ; toute association déclarée depuis au moins cinq ans dont les statuts comportent des dispositions de promotion et de défense de l’euthanasie peut attaquer en justice les auteurs de délit d’entrave. On peut supposer que les amateurs de ce joli sport ne manqueront pas !
« Un arrêté conjoint des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale […] fixe les prix de cessions des préparations magistrales létales… » Instruits par la période du Covid, nous imaginons que les patrons des laboratoires pharmaceutiques se frottent les mains et fourbissent déjà leurs arguments de vente…
« L’assurance en cas de décès doit couvrir le décès en cas de mise en œuvre de l’aide à mourir… » Ce petit alinéa souligne le fait que la « mort aidée » est considérée par le législateur comme une mort naturelle : un alinéa supprimé de l’article 9 disposait que la personne ayant « bénéficié » de l’aide à mourir « est réputée décédée de mort naturelle ». Qu’en penseront les assureurs ? Ces gens-là n’aiment pas beaucoup le risque…
Le droit à l’aide à mourir dispose que le patient « éligible » peut bénéficier de l’accompagnement et des soins palliatifs, qui ont fait l’objet d’une proposition de loi séparée. Cette proposition a été votée à l’unanimité en première lecture le 27 mai dernier. Elle ne prévoit pas d’issue létale, admettant au plus de pratiquer la « sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès » pour ne pas céder à l’« obstination déraisonnable » définie par la loi Leonetti-Claeys de 2016. Le but assumé des soins palliatifs, défendus remarquablement par le docteur Claire Fourcade, est d’assurer au patient en fin de vie un accompagnement humain et des soins visant à atténuer ses souffrances et de lui permettre de s’acheminer si possible dans la paix à ses fins dernières. Les familles et les proches sont invités à prendre toute leur place dans cette démarche humaine et respectueuse de la vie jusqu’au bout. Cela représente une cohésion et une éthique professionnelle profondément partagées par tout le personnel de l’établissement.
Mais ce bel élan pourrait être faussé, et cette cohésion compromise si un patient admis dans l’établissement demandait l’aide à mourir comme le projet de loi sur l’aide à mourir lui en donnerait le droit, avec l’appui du délit d’entrave. On voit donc à quel point ce projet de loi est non seulement pervers en lui-même mais qu’il est de nature à corrompre ce qui subsiste de sain dans les mentalités comme dans les institutions. Il reste à espérer, et à prier, pour que le bon sens, l’honnêteté, et le vrai respect de la dignité humaine inspirent mieux nos parlementaires lors des débats à venir.
Illustration : L’UDR de Ciotti sauve l’honneur de la « droite ».