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Les libertés à la trappe ? Les inquiétantes régressions sous deux quinquennats

Même si le deuxième quinquennat de Macron est riche en atteintes aux libertés, le pli était pris depuis longtemps. Les députés ne laissent pas de vouloir contraindre les citoyens par tous les moyens possibles de ne pas s’exprimer, allant même jusqu’à imaginer que l’administration déciderait souverainement de ce qui est ou non dicible. Aucune liberté n’est à l’abri de cette rage de contrôle.

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Les libertés à la trappe ? Les inquiétantes régressions sous deux quinquennats

Pour être franc, les quinquennats Macron sont loin d’être inédits en matière de restrictions aux libertés. En soi, ils peuvent être considérés comme les accélérateurs d’un phénomène qui les précède et qui ne saurait être réduit à l’intervention de telle figure politique. Il est vrai que la situation d’un bloc central, sans idées précises, avec une faible assise locale et citoyenne, a créé une des conditions favorables aux rabotages de nos libertés. Les piétinements sont significatifs, voire inquiétants. Ce sont nos libertés « classiques » – celles de d’exprimer, de manifester… – qui sont piétinées au nom de considérations comme la sécurité ou sur le fondement du souci d’une certaine moralité. Mais pour décrire ce panorama significatif, commençons peu de temps avant l’élection d’Emmanuel Macron, quand son prédécesseur était encore au pouvoir. En effet, sous François Hollande, il y avait déjà les germes d’une tendance à la restriction des libertés. Quitte à s’asseoir sur certains principes fondamentaux et même à contourner une certaine cohérence.

Le délit d’entrave numérique à l’avortement : la pénalisation de l’expression d’une opinion ?

Il existait déjà dans notre droit français un délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) depuis 1993. Il s’agissait de lutter contre les « commandos anti-IVG » faisant irruption dans des cliniques où des avortements étaient pratiqués. Mais en 2016 une proposition de loi adoptée au Parlement entendait combattre les « allégations, indications de nature à induire en erreur, dans un but dissuasif, sur les caractéristiques ou les conséquences médicales d’une interruption volontaire de grossesse ». Il s’agissait de lutter contre tous les sites visant à dissuader les femmes de recourir à l’avortement. Ces sites étaient dans le viseur de certaines associations féministes. Ce qui pose problème, dans ce type de débat sensible, est que l’on vise à pénaliser l’expression d’une opinion. Au point même que Laurence Rossignol, alors ministre de la Santé, reconnut contradictoirement en séance publique que la liberté d’expression s’étend à la diffusion des opinions, fussent-elles bien mal expliquées… Le mensonge n’est pas, en soi, l’abus de la liberté d’expression. On ne savait pas l’exécutif socialiste de l’époque adepte du Syllabus de Pie IX qui récusait l’expression de toute opinion erronée… Ironie du sort : ce texte qui prévoit une peine pouvant aller jusqu’à deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amendes a débouché sur un faible contentieux devant les tribunaux, ne serait-ce que par la difficulté à démontrer l’entrave… Les sites incriminés restent accessibles, alors qu’ils étaient ouvertement dans le collimateur de l’exécutif. Ou comment l’affichage idéologique, né des polémiques du moment, ne parvient pas à surmonter des difficultés pratiques. Il semble bien que la matrice était déjà posée : limiter à grands frais des libertés, dans un climat de « buzz », sans s’interroger sur la cohérence et la logique des démarches entreprises.

La liberté de manifester cassée contre les casseurs ?

Les manifestations du 1er mai 2018 avaient défrayé la chronique en raison d’attaques brutales de la part de casseurs. La droite, relayée ensuite par la majorité macroniste, discuta d’une proposition de loi anticasseurs « visant à renforcer et garantir le maintien de l’ordre public lors des manifestations ». Une de ses dispositions significatives prévoyait la possibilité pour le préfet d’interdire de manifester « toute personne à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public » et qui, dans le passé, aurait commis des infractions ou serait liée à un groupe ayant commis ou commettant des infractions sur la voie publique. Si l’intention se comprend, il est difficile de donner à une autorité administrative un pouvoir qui évoque la « loi des suspects » ou qui rappelle fâcheusement l’internement d’office par le préfet, heureusement supprimé en 1993… Le Conseil constitutionnel censura le 4 avril 2019 la disposition controversée, en s’appuyant notamment sur le fait que l’interdiction individuelle de manifester est imposée pour des faits qui n’ont pas de lien avec la manifestation dans le collimateur. En conséquence, il y avait une atteinte disproportionnée au droit d’expression collective des idées et des opinions. La gêne était telle que même le président de la République avait, exceptionnellement, saisi le Conseil constitutionnel… C’est dire l’embarras de ce qui peut être proposé dans un même camp politique.

Loi « Avia » : une liberté de communication épargnée de peu

Pour combattre la « haine en ligne », certains parlementaires ont été prêts à instaurer un système permettant à l’administration de demander à un hébergeur de retirer des sites certains contenus ayant un caractère pédopornographique ou terroriste. Si la diffusion de ces contenus constitue incontestablement un abus de la liberté d’expression et de communication, comme l’avait relevé le Conseil constitutionnel dans sa décision du 18 juin 2020, le caractère illicite de ces contenus était cependant subordonné à la seule appréciation de l’administration. Qui plus est, le retrait obligatoire dans un délai d’une heure, sans que le recours ne présente de caractère suspensif, révèle une atteinte à une liberté que le Conseil constitutionnel a considéré comme disproportionnée du fait que ce retrait ne passe pas par l’aval d’un juge. Comment une appréciation nécessairement humaine aurait-elle pu, objectivement, sans le moindre contrôle, affirmer le caractère illicite du contenu de tel site ? Il a donc fallu le raisonnement alambiqué du Conseil constitutionnel, selon qui toute atteinte à une liberté suppose l’intervention d’un juge (selon l’article 66 de la Constitution de 1958, l’autorité judiciaire est en effet la gardienne de la liberté individuelle et, par extension, des autres libertés), pour protéger le citoyen d’une censure aux mains de l’administration… C’est à un recul sans précédent de la liberté d’expression que l’on a échappé de peu. Sous prétexte de lutter contre le désordre sur Internet, on ne saurait habiliter une administration surpuissante qui déciderait de la liberté de cliquer. On s’interrogera surtout sur le fait que la représentation nationale ne se soit pas interrogée sur l’énormité d’une telle solution. L’intervention d’un juge permet, au moins, un débat contradictoire.

D’autres libertés dans le collimateur ?

La multiplication des atteintes est saisissante. Mais on peut citer d’autres exemples plus récents, qui ne présagent rien de bon. Récemment, lors de « l’affaire Sciences-Po », la Première ministre s’est rendue au conseil d’administration de la Fondation nationale des sciences politiques pour y tenir un insolite et surprenant lit de justice. Si l’intention est louable – le combat contre l’antisémitisme et la volonté de répondre aux dérives de l’établissement –, du point de vue des libertés académiques cette démarche soulève un vrai problème. Comme tout établissement d’enseignement supérieur, Sciences-Po dispose d’une autonomie qui permet à ses instances légitimes de l’administrer librement. Dans cette perspective, les dysfonctionnements ne peuvent être combattus que par le conseil d’administration. Sans non plus s’illusionner sur la vigueur et la rigueur de nos établissements d’enseignement supérieur, il existe tout de même des garde-fous qui nous rappellent que ces institutions sont leur propre régulateur… Plus récemment, Emmanuel Macron se dit favorable à la suppression des arrondissements parisiens, ces subdivisions de la ville de Paris qui, sans être des collectivités locales, sont élues au suffrage universel direct. Ils ont leur équivalent à Lyon et à Marseille. Une atteinte en vue contre les libertés locales et la libre administration des collectivités territoriales ? Comme si l’affaiblissement de nos libertés devenait un festival où chaque jour révèle sa lourde peine…

 

Illustration : Laetitia Avia, ancienne députée (LREM) de Paris, condamnée à six mois de prison avec sursis et deux ans d’inéligibilité pour harcèlement moral sur ses attachés parlementaires : elle pratiquait la haine en direct.

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