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Les débris délétères de la démocratie chrétienne à la française

Les gens vertueux trahissent leur camp, en permanence. Parce qu’ils mettent l’estime qu’ils ont pour eux-mêmes au-dessus de tout, même du bien commun.

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Les débris délétères de la démocratie chrétienne à la française

Maints nationalistes considèrent la démocratie chrétienne, lato sensu1, comme une calamité politique. De fait, bien des catholiques ont concouru à la dilution de la religion dans un humanitarisme aussi veule que perverti, et, par voie de conséquence, à la ruine de la civilisation.

Une succession d’exemples édifiants

Au XIXe siècle et au début du XXe, les catholiques libéraux à la Montalembert, Denys Cochin, Jacques Piou et autres ne comprennent pas que le libéralisme issu de 1789, auquel ils se rallient, est fondé sur des valeurs et principes opposés, aux leurs. En 1924, sous le Cartel des Gauches, Robert Schuman se contente, pour défendre le maintien du régime concordataire en Alsace et Moselle, d’un discours de juriste à la Chambre, laissant le combat proprement dit à la Fédération nationale catholique. En 1946, le Mouvement républicain populaire (MRP) s’oppose au premier projet de constitution de la IVe République, d’inspiration socialo-communiste, qui consacrait le règne des partis, mais se contente d’ajouter au texte du PCF et de la SFIO des dispositions mineures qui n’entament en rien la partitocratie délétère du nouveau régime.

C’est sans doute en matière éducative que l’influence démocrate chrétienne se fait le plus sentir. Nombre de pédagogues avaient des racines chrétiennes : le suisse Adolphe Ferrière, fondateur de la Ligue pour l’Éducation nouvelle (LIEN), à l’origine de tout le pédagogisme contemporain, était inspiré par sa spiritualité protestante ; en cela, il prolongeait la voie ouverte par les Français Félix Pécaut, Jules Steeg et Ferdinand Buisson, collaborateurs de Jules Ferry. Au XXe siècle, en France, l’influence du catholicisme progressiste a imprégné dans une large mesure le courant pédagogiste. Henri Wallon était l’héritier d’une vieille famille de catholiques républicains. Plus près de nous, des pédagogues comme Guy Avanzini et Philippe Meirieu étaient des catholiques de gauche. Par ailleurs, c’est le catholicisme moderniste qui anime depuis toujours la Fédération des Parents d’Élèves de l’Enseignement Public (PEEP), laquelle passe pour se situer à droite de l’échiquier politique, quoique ses idées ressortissent au pédagogisme du meilleur jus et ont inspiré en partie les désastreuses réformes de l’enseignement opérées en France depuis la fin des années 1960. Son président le plus important, Antoine Lagarde (1974-1980) fut un militant du Centre des Démocrates sociaux (CDS), héritier du MRP, lui-même avatar français de la démocratie chrétienne européenne.

En phase parfaite avec celle de la gauche tout entière

Marie-France Garaud voyait dans les centristes de simples convoiteurs de maroquins. Pourtant, ils ont la fierté de leur identité. Les exemples ne manquent pas. Bernard Stasi, figure éminente du CDS, député presque sans interruption de 1968 à 1993, député européen, président de région, éphémère ministre, en est un, éclatant. En 1984, alors que son propre parti et la coalition de la droite et du centre, à laquelle il appartenait, appelaient nos compatriotes à serrer les rangs autour de l’unité nationale et de la défense des intérêts français en Océanie, lui fustigeait le colonialisme en Nouvelle-Calédonie et exonérait les socialistes (alors au pouvoir) de leurs responsabilités dans l’éclatement de l’insurrection kanak. La même année, il publiait un livre, L’immigration, une chance pour la France, qui reprenait le discours des socialistes sur les prétendus avantages de la société polyethnique et multiculturelle2. Stasi préconisait, entre autres, la création d’emplois dans les pays d’origine des immigrés, et une politique volontariste d’amélioration de la formation professionnelle de ces derniers. En clair, une véritable charge pour notre pays, invité prioritairement à tout faire pour insérer des étrangers sur son sol et à créer des emplois… chez les autres. Il allait jusqu’à demander le droit de vote aux élections municipales pour les immigrés, et la multiplication des jumelages entre la France et leurs pays d’origine. Vingt ans plus tard, en 2004, le même homme défendra une conception de la laïcité on ne peut plus communautariste, en phase parfaite avec celle de la gauche tout entière.

Anne-Marie Comparini, récemment disparue, donne, elle aussi, un bon exemple de cette mouvance démocrate chrétienne encline à se parer de toutes les vertus. Députée MoDem du Rhône, elle succéda le 9 janvier 1999, à la tête du conseil régional Rhône-Alpes, à Charles Millon, homme de droite (UDF) dont la réélection à cette fonction venait d’être invalidée et avait suscité une bruyante polémique en raison de l’appui que lui avait accordé le Front national. Remplaçant un Millon qui avait vendu son âme au diable, Anne-Marie Comparini, soutenue par le centre et la gauche, fut saluée comme symbole de la plus haute élévation morale. Battue en 2004 par le socialiste Jean-Jacques Queyranne, elle se porta candidate du MoDem dans le Rhône aux législatives de 2007. Eliminée dès le premier tour, elle refusa de se désister en faveur de Michel Havard, candidat RPR, au second tour, au nom de la pureté morale du MoDem. Ce refus lui valut la reconnaissance de la gauche, comblée par cette défection d’une candidate centriste à l’égard de la coalition à laquelle le MoDem appartenait. Madame Comparini est une adversaire comme la gauche les aime, c’est-à-dire préférant, comme jadis Michel Noir, « perdre les élections plutôt que perdre son âme », et jouer contre son camp, au nom d’une morale frelatée. Elle est également une « catho » comme cette même gauche les aime aussi, c’est-à-dire penchant de son côté, et « ouverte », autrement dit non hostile à l’immigration incontrôlée et à l’avènement d’une France communautariste.

Croisement de laïcité et de religion

Encore un exemple, celui de Françoise Gatel. Cette notable de l’Union des Démocrates Indépendants (UDI), autre avatar de la mouvance démocrate-chrétienne, s’est illustrée par son aide aux adversaires de la liberté de l’enseignement. En 2016, Najat Vallaud-Belkacem, ministre socialiste de l’Éducation nationale, avait vu invalider par le Conseil Constitutionnel son texte de loi soumettant à une autorisation préalable du ministère toute ouverture d’une école libre et hors contrat avec l’État. Les « sages » du Palais-Royal avaient jugé cette mesure attentatoire à la liberté de l’enseignement, reconnue par la Constitution. On pouvait penser que la messe était dite. C’était sans compter sur l’intervention de Mme Gatel, pourtant dans l’opposition lorsque Vallaud-Belkacem était ministre. Cette bretonne catholique pratiquante ne trouva rien de mieux que de faire voter, en juillet 2017, un texte de loi qui, certes, ne reprend pas l’exigence d’autorisation préalable du projet vallaudbelkacémien, mais permet à l’État (incarné par le ministère ou le préfet) de fermer toute école libre dont « les enseignements sont largement incompatibles avec les valeurs de la République », suivant les termes mêmes de la sénatrice3. Si cette loi ne foule pas aux pieds la liberté scolaire comme le faisait Vallaud Belkacem, elle la menace tout de même : un ministre ou un préfet laïcard et intolérant pourra interdire l’ouverture d’une école libre ou la fermer sans qu’il lui soit difficile de soutenir que ses enseignements sont incompatibles avec ces trop fameuses « valeurs de la République ». La loi Gatel prévoit également la soumission des écoles libres « aux règles en vigueur pour les établissements recevant du public ». Là aussi, on peut nourrir quelque inquiétude : il sera relativement facile d’estimer que telle école contrevient à ces règles, assez floues pour être interprétées et étendues de manière contestable.

En résumé, une catholique pratiquante penchant à droite n’a rien trouvé de mieux à faire que de rendre légale une bonne partie du projet d’un gouvernement hostile à la liberté scolaire et ne concevant d’enseignement qu’inspiré de bout en bout par le credo idéologique de la gauche. Toute la démocratie chrétienne française est là.

Dernier exemple du comportement aberrant des notables de ce courant politique : celui de Marielle de Sarnez, la plus fidèle lieutenante de François Bayrou, laquelle se distingua, le 10 décembre 2013, au Parlement européen, en votant – aux côtés des communistes, socialistes et écologistes – contre le rejet du rapport Estrela qui prétendait dessaisir les États membres de l’Union européenne de leur compétence souveraine en matière d’avortement et de liberté sexuelle pour la transférer aux instances européennes (Conseil européen et Parlement européen), et entendait leur imposer à tous la reconnaissance du droit à l’IVG, alors que le groupe du Parti populaire européen (PPE), auquel elle appartenait, combattait ce texte.

Les idiots utiles d’une gauche qui les encense tout en les dédaignant

Partie prenante de coalitions conservatrices, les démocrates chrétiens français jouent en fait le rôle d’idiots utiles de la gauche. Mais celle-ci les tient en lisière. Si elle s’entend à les utiliser, elle se refuse non seulement à les porter au pouvoir, mais même à les faire participer au sien, sinon de façon marginale. Rappelons ici la fameuse « ouverture » du gouvernement Rocard, en 1988, qui vit l’entrée en celui-ci de certains centristes (Bruno Durieux et autres), lesquels tinrent lieu de simples figurants. Et, actuellement, la gauche refuse son appui, même conditionnel, à François Bayrou, devenu Premier ministre, car elle ne veut pas être sa roue de secours, et préfère attendre son heure, en 2027 (ou avant). Le seul résultat des choix des démocrates chrétiens à la française, alliés inconstants et infidèles de la droite, auxiliaires piteux de la gauche, est d’empêcher toute politique de droite pour le plus grand profit de leurs adversaires.

 

1. Par « démocratie chrétienne » nous entendons ici non seulement les partis et autres mouvements démocrates chrétiens, au sens strict du terme, mais aussi le catholicisme libéral, une part non négligeable du catholicisme social, et les courants révolutionnaires liant socialisme (marxiste, le plus souvent) et christianisme, notamment la trop fameuse « théologie de la révolution ».

2. Plus de 20 ans plus tard, il récidivera avec Tous Français, l’immigration, la chance de la France (2007).

3. Devenus ministre déléguée à la ruralité depuis le 21 septembre 2024 (gouvernements Barnier et Bayrou).

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