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Les apôtres de la vérité radicale

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Les apôtres de la vérité radicale

Les progressistes ont la passion de la vérité. Ils la créent, ils la défendent avec hargne, ils l’imposent même, s’étant donné, à cette fin, une multitude de moyens. La vérité est sacrée – et nul n’oserait prétendre le contraire –, mais, dans le cas des progressistes, uniquement leur vérité est digne de recevoir l’onction, car elle seule est infaillible, elle seule est vraie.
Leurs postulats sont au-dessus du doute, et celui qui s’y risque est, sans tarder, relégué dans le camp de haute surveillance où doivent croupir les complotistes – ennemis de cet ordre hideux qu’est l’assentiment collectif, l’unanimité obligatoire. Celui qui se méfie, qui n’accepte pas aveuglément tout ce qu’il lui est demandé de croire, qui se pose et pose des questions est considéré comme un être nuisible, car il peut mettre en danger la construction de la société crédule conçue par les forces de progrès. Celui qui discute, qui ose contester, est un rebelle – et pour ces gens-là, il faut créer des centres de rééducation à la vérité.

Un pouvoir seul habilité à dire le vrai

Pourtant, l’histoire pullule de complots, elle en est même faite en grande partie. Des coups d’État, des assassinats, des révolutions, des guerres n’ont pu être organisés qu’à la suite de complots. Et, le plus souvent, les intentions étaient mauvaises. Accuser, donc, de complotisme ceux qui, de nos jours, se contentent de ne pas croire la parole officielle, sans fomenter quoi que ce soit, est non seulement risible – cela pourrait tenir de l’imbécillité si ce n’était une forme particulièrement perverse d’autoritarisme. C’est nous qui disons la vérité et il est obligatoire de l’accepter.
Chevalier blanc de la vérité, Emmanuel Macron a levé, depuis la campagne électorale, le glaive contre les fausses nouvelles. Certes, il s’est bien gardé de donner les quelques précisions qui nous seraient précieuses : qui décide de la véracité d’une information ? quels sont les critères ? que nous faut-il accepter ou rejeter ? Sage précaution, en fait, puisque même lui ne pouvait prévoir les contorsions à venir et les vérités variables que celles-ci allaient imposer comme nécessaires. Une seule chose pouvait se deviner dans ses dires : le pouvoir qui s’installait et ses amis étaient seuls habilités à dire le vrai ; tous les autres, charlatans et dissidents, sont, par la force des choses, des propagateurs de mensonges. Il apparaît, pourtant, que ce ne sont pas les mensonges qu’il faut éliminer, mais les positions qui divergent, qui mettent à mal la vérité officielle. Ce qu’il faut obtenir, c’est une opinion publique uniforme et, surtout, soumise.
Diverses structures ont été inventées, afin d’aider le peuple à se maintenir dans le réel édicté. Des êtres bienveillants, des « sachants », s’occupent de notre santé mentale, sociale et politique, nous disant, jour après jour, ce que nous pouvons croire et ce que nous devons repousser avec indignation. Nous disant, en somme, ce qu’il nous est autorisé de penser. Ils apposent le sceau de l’infamie sur les « contenus illicites » – mais par rapport à quelles lois ? –, sur les thèses « controversées » – mais par qui ? –, sur les propos des « conspirationnistes » – mais qui ne conspirent contre personne. Aveugles, incultes, stupides, nous devons être guidés sur le chemin du discernement. Quelle injure plus lamentable pouvait être faite à l’esprit public ?
Infaillibles par définition, ces importants personnages se livrent avec acribie à la « vérification des faits » (fact checking, selon le terme consacré). Ils sont les éradicateurs du faux, les détrompeurs, ils dénoncent les complotistes de toutes sortes, ils constituent une sorte de secte de la vérité. Grâce à eux, celui qui dit ce qu’il ne faut pas dire est discrédité, réduit au silence. Tout le monde doit croire la même chose – c’est la mission qui leur est assignée –, et ils s’évertuent, pour arriver à cette haïssable fin, de prendre en otage l’opinion publique. À une époque où la vérité est devenue radicale comme tout le reste, il faut à ces bienfaiteurs de la pensée de veiller sans relâche. C’est le prélude de la censure et, pire, de son acceptation par la masse.

L’empire de la vérité du moment

La différence est minime avec le monde soviétique, où la vérité était édictée par le Parti – sans, pour autant, qu’elle fût constante : les intérêts politiques pouvaient, à tout moment, la faire changer. Les gens vivaient donc sous l’empire de la vérité du moment. Nul n’avait le droit de s’en abattre ni de la contester, sous peine de graves persécutions. Nul, non plus, ne pouvait demander pourquoi ce qui avait été vrai la veille cessait de l’être le lendemain. Ou pourquoi énoncer une chose tenue pour vraie une semaine plus tôt, mais tombée en désuétude depuis, faisait courir un risque insensé. Il fallait, sans arrêt, se tenir au courant des fluctuations de la vérité.
Le propagandiste était l’équivalent de l’actuel vérificateur de vérité. Lui seul savait ce qu’il fallait croire à chaque moment. Celui qui contredisait ses propos ou, simplement, les nuançait, tombait dans la catégorie pénale des « lanceurs de fausses rumeurs », devenait un « rumoriste ». Des peines de prison étaient prévues pour ces imprudents.
Nous n’en sommes pas encore là. Ou, plutôt, nous n’y sommes pas de la même manière. Pour l’instant charitables, les progressistes se contentent de fustiger les complotistes, de les exposer à l’opprobre général et de les censurer, quand leurs devanciers, plus expéditifs, envoyaient en prison les rumoristes, ancêtres involontaires de nos complotistes. Cela viendra peut-être.
La force de la démocratie, néanmoins, est de mourir lentement. Avant d’être emportés à jamais par le vent, ses lambeaux flottent encore dans l’air, nous donnant l’impression que nous avons toujours à quoi nous accrocher. Ces tristes débris tiennent lieu d’étoiles dans le firmament sous lequel éclot le monde nouveau avec ses terribles promesses.

Illustration : Les progressistes défendent avec hargne la vérité qu’ils crèent.

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