Nous avons besoin de l’épopée, nous aimons l’épopée.
Après la guerre de 14, les Poilus, tout juste sortis des tranchées, ébahissaient ceux qui n’avaient pas pu y être par leurs récits magnifiques ; ce n’était autour d’eux qu’yeux écarquillés et bouches rondes. Cela dura une bonne quinzaine d’années et puis on commença à dire que les Anciens combattants rabâchaient, radotaient, avec leur sempiternelles histoires de shrapnells. Heureusement, vint la seconde guerre mondiale. Elle a mieux réussi que la première, on ne s’en lasse pas. Depuis quatre-vingts ans, on ne connaît qu’elle, on n’aime qu’elle, on n’admire qu’elle ; elle procure de délicieux frissons, de vertueuses indignations et des levers de menton.
Les heures sombres de notre histoire
Le « jeune immature », qui se sent appelé à de plus hautes destinées et qui a le mérite d’être souvent cité dans nos colonnes, est un rude spécialiste de la seconde guerre mondiale, il la cite à tout bout de champ, il ne connaît qu’elle. On ne l’a, par exemple, jamais entendu parler de Charlemagne et de Mazarin, qui étaient pourtant des êtres remarquables et instructifs ; les connaît-il seulement ? Son goût immodéré pour cette guerre ne l’empêche pas de commettre à son endroit quelques erreurs. Comme il établissait la généalogie de l’antisémitisme en France, il a cité le camp du Struthof, qui était tenu par des nazis dans l’Alsace germanisée. Mais ce n’est là qu’une bricole, il est persuadé que la plupart des Français le suivent dans son enthousiasme pour « les heures sombres de notre histoire ». Mais attention, quelques esprits tout de même commencent à trouver que cet enthousiasme, ce ressassage, ce rabâchage deviennent un petit peu lassants. Heureusement, le jeune homme en question nous promet une prochaine guerre, nous allons avoir de l’épopée toute neuve.